Interview de Christian Roques – Chef d’unité juridique au sein de la Direction Générale ressources humaines à la Commission européenne

Formation :

  • HEC, Sciences Po Paris et études de droit en parallèle.
  • Obtention du concours de fonctionnaire des institutions européennes.

Carrière :

  • Travail aux Etats-Unis dans le domaine du conseil en stratégie
  • Travail dans un bureau d’avocat d’affaires et de fiscalistes (Willkie Farr & Gallaguer).
  • Eurostat pendant 2 ans (création de bases de données, révision d’un règlement sur la statistique structurelle…)
  • DG Concurrence (rapporteur sur plusieurs affaires antitrust: Michelin II, affaires Mercerie, nombreuses concentrations d’entreprises…).
  • Référendaire pour le président du Tribunal de l’Union européenne
  • Case Manager, Settlement officer et Chef d’unité faisant fonction à la DG concurrence.
  • Chef d’unité juridique et du dialogue social de la DG ressources humaines.
A savoir sur l’organisation de la Commission

La Commission est aujourd’hui organisée en directions générales et l’une d’elle notamment a une fonction de « back office » et c’est celle des ressources humaines qui recouvre l’ensemble des politiques de ressources humaines (évaluation des collègues et de leurs performances, recrutement, développements professionnels, gestions de droit et obligations éthiques, rémunération, assurance maladie, pensions), assistée en cela parfois par des offices (Office Infrastructures et Logistique à Bruxelles et au Luxembourg et l’Office de gestion et liquidation des droits individuels) Cette direction générale recouvre aussi celle de la sécurité qui surveille les accès et plus largement la sécurité au sein des institutions.

Le Petit Juriste : Quel est votre quotidien en tant que chef de l’unité juridique de la direction en charge des ressources humaines de la Commission ?

Christian Roques : Au sein de cette DG, je suis en charge des questions juridiques et du dialogue social. Plus particulièrement, cette unité repose sur quatre piliers. Le premier est le suivi et la réponse à des questions concernant le Statut.  Ce Statut est en quelque sorte notre Code du travail au sein des Institutions. Nous avons un texte qui est à la base un règlement du Conseil datant de 1967 et comme tout texte juridique,  il est régulièrement réformé.

Quelques généralités sur le Statut

Le Statut s’applique à tous les agents des institutions de l’Union européenne. Une partie touche les fonctionnaires et une autre les autres agents (contractuels et temporaires). Il fait l’objet d’actes dérivés et de conclusions interprétatives des chefs d’administration des Institutions. Par ailleurs, la jurisprudence des juridictions de l’Union a eu notamment pour effet que les directives sociales, même négociées entre  les partenaires sociaux,  s’appliquent aux institutions.

Il est à signaler que les interprétations de la CEDH (Convention européenne des droits de l’Homme) et les interprétations de la CJUE de la Charte des droits fondamentaux ont de plus en plus d’impact sur l’interprétation du statut.

Dans chaque DG il y a une direction ressources humaines. Elles nous posent leurs questions auxquelles nous nous devons de répondre pour assure la cohérence et l’adéquation de la gestion des ressources humaines avec le statut. Chaque année, nous répondons à plus ou moins un millier de questions environ. Ces questions sont diverses puisqu’elles peuvent toucher tant le domaine fiscal, que les domaines sociaux, pécuniaires ou éthique.

Le deuxième pilier comprend l’application du droit dérivé. Ce droit dérivé est produit par les décisions prises par les institutions puisqu’il convient de préciser et d’appliquer le statut.

Le troisième pilier englobe le domaine pécuniaire. Je suis en charge de suivre la mise en œuvre de la « méthode salariale ». C’est un mécanisme d’indexation salariale défini par la révision statutaire majeure de 2013 qui prévoit ce mécanisme. Il est fondé sur des comparaisons d’évolution de pouvoir d’achat entre les fonctions publiques nationales et celle de l’Union européenne. En fonction de ces évolutions les salaires des agents de l’Union changeront à la baisse ou à la hausse. Nous collaborons à ce sujet avec Eurostat et régulièrement nous rendons des rapports au Conseil et au Parlement.

Le quatrième pilier, qui fût très important de 2010 à 2013, a été la réforme du Statut. Il est continuellement en modification puisque il y a une « clause de rendez-vous » qui donne le droit aux Etats membres de revoir les conditions salariales et le fonctionnement des institutions. Ils ont utilisé ce droit en 2008 lors de la crise pour que l’on opère un effort budgétaire. Ces clauses seront utilisées en 2018 et 2022 et les questions sur le « Grexit » et sur l’union monétaire seront sûrement abordées. Bien entendu, elles passeront par une négociation avec le Conseil de l’UE et le Parlement. Mais, notre situation n’est pas à l’abri de changements face à l’actualité.

Par ailleurs, je m’occupe aussi de la protection des données au sein de la DG HR régulées par le règlement n°45-2001 qui est révisé par le Parlement. Etant donné que nous gérons 70% des données personnelles et professionnelles en interne (données maladies, fiscales…), nous devons assurer une sécurité aux fonctionnaires et aux agents.

LPJ : Un concours est-il nécessaire pour travailler dans les institutions européennes ou dans les agences européennes qui se répartissent en Europe ?

CR : Le concours n’est pas toujours nécessaire pour travailler au sein des institutions puisqu’elles sont composées de fonctionnaires et d’autres agents.

Qu’est-ce qu’un agent ? Qu’est-ce qu’un fonctionnaire ?

Les fonctionnaires : ils représentent 22 000 personnes au sein des institutions. Ils traitent des politiques régaliennes de l’UE car ils sont permanents.  Ils travaillent principalement dans les institutions telles que le Parlement, la Commission ou le Conseil de l’UE)

Les agences quant à elles n’ont pas ou peu de fonctionnaires car elles n’ont pas une vocation à être permanentes (sauf par exemple l’Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur (OHMI)).

Toute personne ne peut devenir fonctionnaire que par un concours interne ou externe. Les agents temporaires (ainsi que les agents contractuels depuis 2013) peuvent se voir offrir la possibilité de passer des concours internes mais ces concours ne peuvent représenter qu’une petite minorité des recrutements annuels.

Les agents temporaires : il en existe divers types car leurs conditions de travail diffèrent.

· Les 2F : leurs conditions de travail sont proches des fonctionnaires mais ils n’ont qu’un contrat à durée indéterminée et pas un emploi de fonctionnaire. Les 2B : ce sont des personnes qui remplacent des fonctionnaires ou autres agents pour des durées limitées comme des congés maternité ou maladies.

· Les 2A : Ils sont engagés pour une situation spécifique comme par exemple le besoin d’un spécialiste dans un domaine d’une grande technicité.

· Les 2C : ce sont des temporaires qui vont travailler au sein d’un cabinet de commissaire ou en tant que référendaire à la Cour de Justice ou au Tribunal. Ces agents sont engagés sur le fondement d’un lien de confiance avec leur membre. Ils peuvent donc être licenciés car c’est un choix politique fait par le commissaire ou le juge, mais leurs conditions d’engagement reposent sur le choix de leur membre.

· Les 2E : c’est une catégorie créée depuis 2010 pour le Service Européen d’Action Extérieure (SEAE). Le but était de fusionner les corps diplomatiques nationaux avec les relations extérieurs de l’Union puisqu’il fallait des agents étant des fonctionnaires nationaux tout en étant des agents de l’Union.

· Les 2D : ce statut a été créé pour la recherche car ils dépendaient d’un budget différent. Pour ces agents, la sélection est « ad hoc ». Des quasi-concours oraux et écrits peuvent avoir lieu mais cela dépend de chaque institution. Ils ne travaillent par exemple pour la plupart que quelques années au sein de la Commission.

Les agents contractuels :

Au sein de la Commission ils peuvent avoir des contrats à durée indéterminée (offices, action extérieure) contrairement aux contrats à durée déterminée qu’ils vont conclure au sein des institutions en général. Ils doivent obligatoirement travailler sous la supervision d’un fonctionnaire. Une forme de sélection est organisée par l’EPSO pour devenir contractuels, cela s’appelle les CAS

LPJ : Comment préparer le concours pour accéder à la fonction publique européenne ?

CR : Cela est difficile à dire car les concours changent fréquemment. En Europe, les traditions en termes de sélection au sein des fonctions publiques sont très différentes.

La plupart des fonctions publiques fonctionnent par cooptation. La base est l’examen des études effectuées et des diplômes obtenus par les candidats. Par la suite, les candidats se présentent à des entretiens. Cela se pratique notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et dans les pays de l’Est.

Au contraire, les pays latins fonctionnent par concours et la France est la parfaite illustration de ce modèle. Lorsque je suis entré dans les institutions, le système ressemblait à celui pratiqué en France avec un côté plus international (dissertations, notes de dossiers, tests de langue). Aujourd’hui, le concours est plus constitué de tests, situationnels, de compréhensions verbales et de logique. Ces tests permettent de brasser un nombre considérable de candidats  pour un faible coût.

Ensuite, les candidats passent par un « Assessment Center » dans lequel des examinateurs vont examiner leurs compétences.

Après le concours, il y a une phase de cooptation. Il faut savoir que le concours ne donne que le droit de se présenter dans chaque service. Cependant, la réussite au concours  ne donne pas aux candidats un poste directement. Il y a encore une sélection possible en fonction des modes de fonctionnement des unités et directions.

LPJ : La hiérarchie au sein de la Commission européenne

CR : La Commission est organisée de manière très structurée. Cela se justifie par l’importance du budget à gérer, de son personnel (33 000 personnes), des politiques et décisions qui ont un impact politique important. L’administration est et doit être contrôlée par le niveau politique. L’organisation de la Commission se justifie par l’importance de son budget et la taille de son personnel.

Les catégories d’emploi

Un Assistant commis : travail de bureau de base comme secrétariat.

Un AST : ce sont des clercs qui ont une fonction de para-légal par exemple, pour le traitement de l’information, la préparation des réunions, les aspects budgétaires etc…

Un AD : c’est un diplômé d’université, mais cela ne le différencie plus car bien des collègues AST ont aussi ce type de diplômes. Il applique les politiques. Celles de back office, ou de front office concurrence, commerce, marché intérieur etc. Ce sont aussi  par exemple des référendaires

Chef de secteur : il va gérer quelques collègues (1,2 ou 3).

Chef d’unité adjoint : il va remplacer le chef d’unité lorsqu’il sera absent et l’assiste.

Chef d’unité : personne qui s’occupe de diriger une unité au sein d’une DG.

Directeur : c’est une personne qui gère de quatre à cinq unités dans une DG.

Directeur général adjoint : c’est le bras droit du Directeur général, il va même le remplacer lorsqu’il sera absent.

Directeur général : il gère l’une des 22 directions générales. C’est un poste très prenant avec de fortes responsabilités.

LPJ :Est-il facile de changer de position au sein des différentes institutions ?

CR: Ce n’est pas impossible mais c’est relativement difficile à l’exception des AD pour qui cela peut se faire assez facilement en début de carrière. Dès lors que l’on monte dans les échelons la possibilité de changer de position est très complexe puisque lorsqu’on a une compétence dans un domaine. A la DG ressources humaines, nous sommes favorables à la mobilité et nous essayons  comme les multinationales d’établir des parcours de carrière.

Propos recueillis par Ines Rodriguez 

 

 

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