Le cinéma à la barre : Hook ou la Revanche du capitaine Crochet, de Steven Spielberg (1991)

« J’ai lu dernièrement qu’on utilise des hommes de loi à la place des rats dans les expérimentations scientifiques. On le fait pour deux raisons. Primo, les savants risquent moins de s’attacher aux hommes de loi et, secundo, il y a des choses que même les rats ne font pas ».

A l’occasion de son 25ème anniversaire, il est amusant de (re)voir le film Hook ou la revanche du Capitaine Crochet, dans lequel Peter Pan, interprété par l’éminent Robin Williams, n’est plus cet enfant rêveur que l’image d’Epinal renvoie de lui. Il est devenu avocat, et ne croit plus au pays imaginaire, aux fées, aux pirates… Il a même oublié qu’il avait été Peter Pan, chef des enfants perdus du Pays imaginaire dont les acteurs se sont récemment réunis à l’occasion de l’anniversaire du film.

Ce choix volontaire de faire du petit héros originel de J. M. Barrie un avocat n’est pas dû au hasard. Bien loin de laisser penser que tous les juristes sont en puissance « des enfants perdus » (ou trouvés au sens de l’article 58 du Code civil), le monde juridique a pour réputation d’être un monde froid, strict, absolument dépourvu de la moindre trace de fantaisie. La frontière semble donc franche entre les deux domaines que sont le Pays imaginaire et Peter Pan d’une part, le monde juridique et Peter Banning d’autre part. A cet égard les paroles suivantes sont révélatrices : « c’est [bien] Peter Pan, mais son esprit s’est avocatisé ».

Il est certain que le monde du Droit est sérieux, mais pour autant cette affirmation n’est pas absolument vraie. En atteste une simple recherche dans l’index à la fin du Code Civil dont certains des termes sont des plus évocateurs : qu’il s’agisse du « trésor » des articles 716 et suivants, des « tatouages » (jurisprudences sous l’article 1128), des strip-teases éventuellement (pour une toute autre forme de fantaisie)… Et surtout, le prouve l’utilisation des fictions juridiques !
De même, foisonnent aujourd’hui les manifestations tels les sites ou les colloques juridiques rapprochant le fantastique et le droit, que ce soit avec Harry Potter, la Guerre des Etoiles, le Seigneur des Anneaux ou encore l’univers Marvel pour ne citer qu’eux.

A tel point qu’il serait possible d’accuser le juriste d’être atteint du Syndrome de Peter Pan justement ! Le juriste ou sa création, à savoir le droit, qui semblent tous deux manifester le désir de rester dans l’enfance, tout au moins de ne pas vieillir ou devenir adulte.

Il sera donc question, dans ces quelques lignes, de la pénétration du Droit dans ce film de Steven Spielgerg. Il serait possible de faire une analyse terre-à-terre, et de traiter le scénario comme une sorte de gigantesque cas pratique et d’évoquer ainsi en détail le meurtre et les tentatives de sévices sur mineurs qui y sont perpétrés… Néanmoins, peut-être convient-il de s’interroger plutôt sur le rapport qu’entretiennent le droit et ces personnages de légende que sont Crochet et Peter Pan. En d’autres termes, il importe de se demander si le Droit et le pays imaginaire ne sont pas, somme toute, une seule et même réalité ?

Or si, de prime abord, le juriste paraît avoir contaminé sa création du même syndrome de Peter Pan, ce monstre apparaît finalement comme une réplique du pays imaginaire.

Le Droit, un (im)patient atteint du syndrôme de Peter Pan

Intrinsèquement, le Droit semble, comme nombre de héros de fantasy en quête de la fontaine de Jouvence. A l’instar de Dorian Grey, il tente vainement, par tous les moyens, de ne pas vieillir et de résister à l’écoulement du temps. Néanmoins, celui-ci défile, irrésistiblement, comme les tic-tacs d’un vieux réveil – que celui-ci soit au fond de l’estomac d’un crocodile ou non.
Que ce soit pour le capitaine Crochet ou pour l’univers juridique, il est possible de déceler ce même intérêt pour le temps. « Tic-Tac, Crochet a peur du réveil ? Non ! Crochet a peur du temps, du temps qui passe ! » aurait dit Peter Pan.

Le Droit et le juriste qui le créé se fabriquent ainsi leur propre conception du temps, leur propre temporalité même. Du moins, ils jouent avec le temps commun. L’exemple le plus flagrant en est la nullité qui, selon la Cour de cassation, « emporte, en principe, l’effacement rétroactif du contrat » (Civ.1ère, 16 juillet 1998). Cette rétroactivité qu’est-ce sinon une manière plus ou moins directe de jouer avec le temps ?

Cette manipulation n’est pas la seule qui permette d’empêcher à tout prix la senescence du droit. Ainsi, les multiples réformes sont autant de lifting qui lui permettent de rester jeune et de ne pas vieillir – en apparence tout du moins. A cet égard, la réforme du droit des contrats puis celle des obligations n’est pas sans évoquer un bain de jouvence pour cet univers juridique et, semble-t-il fictionnel, qu’est le Droit.

Le Droit, prototype, archétype ou succédané du pays imaginaire

Le Droit est apparemment l’endroit de prédilection des fictions. A bien y regarder, il n’est pas si fantaisiste de s’imaginer que le droit lui-même soit une fiction, mais pas des plus réjouissantes : un ersatz de pays imaginaire.

Une fiction juridique est selon le dictionnaire de vocabulaire juridique d’H. Capitant, « un procédé de technique juridique consistant à supposer un fait ou une situation différente de la réalité pour en déduire des conséquences juridiques ». Elles sont d’ailleurs légions, qu’il s’agisse de fictions légales – comme les immeubles par destination qui reviennent à qualifier d’immeuble une vache par exemple – ou normative – cette fiction bien pratique qui permet de concevoir un usufruit sur une chose consomptible notamment ou encore les fictions jurisprudentielles comme celle de la peine justifiée.
Ce jusqu’à l’Etat qui serait lui-même une fiction selon certains auteurs (G. Del Veccchio, philosophie du droit p 335 -336).

D’aucuns souhaiteraient, comme A. Boyart dans Les présomptions et les fictions en droit, « abandonner le langage de la fiction pour adopter un langage conforme à la réalité ». Cette entreprise, bien que certainement louable, n’est pas sans évoquer le comportement logique – en somme – de Peter Banning, mais tellement moins amusant que celui de Peter Pan. Néanmoins, pour utiliser cet exemple jusqu’au bout, il convient de préciser que Peter Banning n’est pas obéi par la tribu des enfants perdus, quand Peter Pan, lui, l’est.

Abandonner les fictions en grandissant, peut-être n’est-ce là que le cours naturel des choses… Il est cependant amusant de relever de quelle manière ceux qui souhaitent abandonner les fictions (L. Silance ou A. Boyart dans le livre « fictions et présomptions en droit »), le font qui par un jeu de mots, qui par une autre sorte de jeu revendiquée. Preuve étant, s’il en fallait, que les jeux du pays imaginaire ne sont pas si loin…

A ce stade, peut être que le droit ressemble à « l’imaginaribouffe », cette nourriture invisible que les enfants perdus mangent devant Peter Pan et que ce dernier, au premier abord, ne distingue pas… Il ne finira par la voir que lorsqu’il décidera d’y croire et de l’utiliser en l’envoyant sur quelqu’un d’autre ! A la manière d’un droit, invisible, irréel au premier coup d’œil mais presque palpable lorsqu’il est revendiqué ou utilisé en justice.

Le contrat social sur lequel est fondée la société selon la thèse dominante – qu’il ressemble à celui de Hobbes, de Rousseau ou d’autres – n’est-il pas une fiction lui-même ?
A cet égard, les paroles de François Ost sonnent douces aux oreilles des rêveurs puisque selon lui, « la fonction du droit tout entier est instituer un monde artificiel de procédures, de règles, de représentations qui donnent sens et formes au monde empirique. » (F. Ost, dire le droit et faire justice page 193). Cet artifice, cette fiction, qu’est le Droit, ressemble à s’y méprendre au Pays imaginaire.
Somme toute, l’un comme l’autre existent tant qu’il y a quelqu’un pour y croire…

Peut-être que le Droit n’est lui-même qu’un merveilleux pays imaginaire, dont il faut espérer que les hommes ne sortent jamais. Aussi, à ces deux titres, résonne claire et toujours si actuelle cette imprécation, véritable leitmotiv du film de Steven Spielberg, qu’est : « ne vieillissez jamais ! ».

Quentin Le Pluard 

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