Le droit de sourire

 

Tordre le coup aux idées reçues. C’est le challenge auquel est confronté le juriste. Eh, oui ! le droit est souvent perçu aux yeux de « Monsieur tout le monde » comme une matière rigoureuse, austère et complexe ; bref, en un mot ennuyeuse.

 

Mais la législation peut aussi prêter à sourire… Petit florilège.

 

Des mots d’un autre temps dans les textes


« Les communes et établissements publics ne peuvent transiger qu’avec l’autorisation expresse du roi » ! C’est le Code civil et son article 2045 qui nous l’apprennent. Et le juge de préciser que l’accord doit être demandé au chef du pouvoir exécutif, fonction dévolue au Premier ministre par l’article 21 de la Constitution1.

 

La peine de mort perdure…dans les textes. L’article 83 du Code civil est formel : « Les greffiers criminels seront tenus d’envoyer, dans les 24 heures de l’exécution des jugements portant peine de mort » les renseignements nécessaires à la rédaction de l’acte de décès.

 

Autre exemple de ce voyage dans le temps : l’Algérie puisque la loi de 1955 instituant un état d’urgence et en déclarant l’application en Algérie mentionne que « l’état d’urgence doit être déclaré sur tout ou partie » de ce territoire !

 

Des lois jamais appliquées

 

Une loi du 15 février 1872 – jamais appliquée ni abrogée! – donne aux Conseils généraux un rôle à jouer en cas de circonstances exceptionnelles. Ces derniers doivent s’assembler immédiatement et de plein droit si l’Assemblée nationale est illégalement dissoute ou empêchée de se réunir.

 

Puis, il est précisé qu’ “une assemblée composée de deux délégués élus par chaque conseil général, en comité secret, se réunit dans le lieu où se seront rendus les membres du Gouvernement légal et les députés qui auront pu se soustraire à la violence ”. Cette même assemblée “est chargée de prendre, pour toute la France, les mesures urgentes que nécessite le maintien de l’ordre ”.

 

On peut remarquer que la Constitution précise que l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent “siéger en comité secret à la demande du Premier ministre ou d’un dixième de ses membres” (article 33).

 

Des textes datant de Vichy

 

Certaines lois de Vichy sont toujours en vigueur. Il en est ainsi de l’interdiction de rémunérer un intermédiaire afin qu’il se charge d’assurer le bénéfice d’accords amiables ou de de décisions judiciaires pour le règlement des indemnités. Cette loi du 3 avril 1942 et son article premier sont toujours invoqués par le juge2.

 

Des lois étonnantes

 

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les parents peuvent s’opposer au mariage de leurs enfants même majeurs.

 

Issu d’une loi du 17 mars 1803, l’article 173 du Code civil précise que “le père, la mère, et, à défaut de père et de mère, les aïeuls et aïeules peuvent former opposition au mariage de leurs enfants et descendants même majeurs ”.

 

Il faut tout de même préciser que les parents doivent invoquer un motif légal c’est-à-dire portant sur une des conditions du mariage. Impossible donc d’empêcher la célébration d’une union pour une simple raison d’opportunité.

 

Reste donc à espérer que les parents n’aient pas de notions juridiques trop poussées pour qu’ils ne puissent appliquer ce texte vieux de plus de 200 ans. Ce qui n’a pas été le cas d’un père qui a formé opposition considérant qu’il était contraire à l’intérêt de son enfant de s’unir avec une personne transsexuelle. Le mariage posthume a été aussi l’occasion d’exercer ce droit d’ingérence. Sans succès3.

 

Des arrêtés municipaux étonnants !

 

L’histoire se déroule dans le département des Pyrénées-Atlantiques à Sarpourenx, village de 260 habitants.

 

Ne pouvant agrandir le cimetière, le maire prend un arrêté qui « interdit à toute personne ne disposant pas d’emplacement dans le cimetière (…) de décéder sur le territoire de la commune ».

 

Cette idée saugrenue n’est pas nouvelle. Le 20 septembre 2000, le maire du Lavandou prit une décision similaire via un arrêté interdisant « à toute personne ne disposant pas de caveau de décéder sur le territoire de la commune ».

 

Autre illustration : protestant contre la fermeture d’une maternité, le maire de Sainte-Colombe (Bourgogne) prend un arrêté, le 2 juin 2008, « interdisant aux femmes de procréer ».

 

En lisant ce texte, on y apprend que « les femmes enceintes devront quitter le territoire communal dès le 1er juillet 20084 » et que « des panneaux d’interdiction seront mis en place à l’entrée du village et des hameaux5 ».

 

Si tous ces exemples – parmi tant d’autres – peuvent prêter à sourire, ils rendent également le droit difficilement accessible et compréhensible. Conscient de ce problème le président de la République : « Au second semestre 2011, le gouvernement marquera une pause pour que le Parlement puisse, s’il le souhaite, délégiférer. « Nul n’est censé ignorer la loi », dit-on. Mais la complexité est souvent telle que personne ne s’y retrouve plus. Il sera grand temps de s’attaquer au chantier de la simplification législative et administrative ».

 

Nul doute que cela est une nécessité pour tous les professionnels du droit et une obligation pour respecter l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi fixé par le Conseil constitutionnel6.

 

Paul de VAUBLANC

 

Notes

 

[1] Cour administrative d’appel de Bordeaux, 20 mars 2008.

[2] Cour d’appel d’Angers, 5 novembre 2008.

[3] Cour de cassation, chambre civile I, 30 mars 1999.

[4] Article 2.

[5] Article 3.

[6] Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.

 

Paul de Vaublanc, Plage interdite aux éléphants et autres bizarreries du droit », éditions Bréal, novembre 2010.

 

 

 

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