Le renouveau de l’arbitrage international dans les litiges de consommation : l’introduction de l’arbitrage collectif en France


 

L’arbitrage collectif est un recours similaire à la class action au cours duquel plusieurs demandeurs s’assemblent devant un tribunal arbitral contre un même défendeur pour obtenir réparation d’un préjudice commun. Depuis la dernière décennie, cette nouvelle procédure connaît une croissance considérable principalement aux Etats-Unis et accessoirement en Europe. S’est posée dès lors la question de l’opportunité de son intégration en France. Cette démarche s’avère en effet, nécessaire du moment où les consommateurs français sont à l’heure actuelle dépourvus des avantages de l’action de groupe et n’ont à leur disposition que quelques procédés de recours collectif inefficaces et insuffisants pour atteindre le degré de protection escompté. C’est ainsi qu’un modèle d’arbitrage collectif, qui s’inspire des modèles existants de class arbitration et qui respecte au même temps la tradition juridique française, sera proposé afin de garantir un avenir resplendissant pour le consommateur dans son accès à la justice.


 

Pour concilier droit de l’arbitrage et droit de la consommation en France, « tout est à construire » [1]. Le phénomène de construction se fait généralement par l’ajustement de règles existantes ou encore par l’intégration de nouvelles voies qui seront plus bénéfiques à leurs titulaires. Certes, l’adaptation demeure le meilleur gage de survie [2]. Néanmoins, adapter ne suffit parfois pas, et innover semble être nécessaire. L’innovation proposée dans cette étude est l’introduction d’une nouvelle procédure à la disposition du consommateur international qu’est l’arbitrage collectif.

L’arbitrage collectif, encore dénommé « arbitrage de classe », « arbitrage de groupe », ou « arbitrage des litiges de masse » [3] est un recours similaire à la class action au cours duquel plusieurs demandeurs s’assemblent contre un même défendeur pour obtenir réparation d’un préjudice commun. Cependant, l’arbitrage collectif se fait non pas devant un juge mais devant un arbitre et il nécessite l’accord des parties [4].

Depuis la dernière décennie, cette nouvelle procédure connaît une croissance considérable. Un auteur la qualifie même de « la musique d’avenir » du droit de l’arbitrage [5]. En l’état actuel du droit, l’action individuelle devant l’instance arbitrale dans le domaine de la consommation s’est révélée d’un côté préjudiciable [6] et de l’autre côté opportune et dont l’exclusion serait périlleuse [7]. Plusieurs auteurs se sont alors accordés sur le fait que l’arbitrage nécessiterait une transformation en profondeur, conservant ses avantages et excluant ses inconvénients. La collectivisation du recours pourrait ainsi être cette modification importante que peuvent subir les procédures arbitrales. Cette démarche permet de favoriser l’accès à l’arbitrage des consommateurs dont le montant de leur dommage les dissuaderait d’agir individuellement devant un arbitre provoquant ainsi un déni de justice économique [8]. En effet, isolé, le consommateur n’est rien. Groupés, les consommateurs sont une puissance. La collectivisation est la voie préconisée pour la défense de leurs intérêts [9]. Avec l’arbitrage collectif, les forces entre les deux parties en litige, les consommateurs réunis et les entreprises, sont rééquilibrées [10].

A ce titre, si a priori l’arbitrage collectif semble être opportun, son intégration en France doit être justifiée (I). Par la suite, et toujours afin de parachever l’objectif de recherche d’une protection renforcée au consommateur, il convient de proposer un modèle d’arbitrage collectif à la française qui serait aboutissant (II).

I.   Les justifications de l’introduction en France de l’arbitrage collectif

Outre le fait d’alléger la charge de travail devant les tribunaux judiciaires, la collectivisation du recours devant le for arbitral assurerait une bonne administration de la justice en permettant au défendeur d’éviter une multiplication des recours individuels à son encontre pour des demandes identiques [11]. Son effet dissuasif pour le professionnel est aussi non négligeable. Elle évite également comme tout recours collectif le risque de recevoir des décisions contradictoires, pour des faits et des dommages similaires, qui diminueraient la confiance des citoyens dans les forums de justice. Les justifications de la mise en place de l’arbitrage collectif sont, de ce point de vue, multiples. La plus importante demeurerait néanmoins l’absence de l’action collective en France (A). Cette assertion peut être relativisé ou même remise en cause si des alternatives à l’action collective devant les tribunaux étatiques existent. L’existence de telles alternatives en droit français ne fait pas de doute. Néanmoins, leur efficacité semble être anéantie. C’est pourquoi l’intégration de l’arbitrage collectif en France se justifie avec plus de force (B).

A.   L’absence de l’action collective

Bien que la Cour de Strasbourg ait fait de l’action de groupe une exigence d’effectivité de l’accès au juge en droit de la consommation [12], la France reste parmi les Etats rétifs à l’action de groupe. Les acteurs du droit de la consommation s’accordent sur la nécessaire transposition en France de la class action. Malheureusement, ils n’ont pour le moment qu’à attendre à ce que les mécanismes sanctionnateurs de la CEDH exercent sur la France une pression autre que politique [13] pour concrétiser la mise en place de cette action.

Le débat sur l’introduction de la class action en France suscite la peur des professionnels qui craignent une déstabilisation des entreprises en raison du nombre important de leurs clients et de l’impact possible de l’action sur leurs finances et réputation, crainte d’autant plus fondée dans le contexte prégnant de crise économique et financière [14]. De plus, les spécificités de la procédure française rendent la class action américaine une action fort paresseuse à venir [15]. En effet, le succès de la class action suppose de créer des exceptions à nombres de principes du droit français : Pacte de quota litis [16] pour intéresser les avocats à ce type de procédure lourde, mandat implicite (opt out[17]) pour faciliter l’action collective, ouverture de l’action à d’autres personnes que les associations, publicité et sollicitation par toute voie utile afin de sensibiliser les consommateurs [18]. C’est ainsi que la transposition en France  d’une class action à l’américaine requiert une adaptation préalable.

En 2009, un groupe de travail a été mis en place afin d’étudier l’opportunité d’une telle transposition et d’apporter une réponse à certaines insuffisances du droit français [19]. Le 11 octobre 2011, a été adopté le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs. Un modèle d’action de groupe a néanmoins fait défaut dans ce projet. Face à ce choix gouvernemental, la Commission des lois du Sénat a estimé que le projet de loi manquerait son objectif de protection du consommateur. Elle a donc adopté, à l’initiative de son rapporteur pour avis, un amendement créant une procédure d’action de groupe fondée sur l’adhésion volontaire. Le dispositif proposé offrira un recours aux consommateurs qui renoncent actuellement à faire valoir leur droit, parce que la réparation qu’ils sont susceptibles d’obtenir resterait trop faible eu égard au coût de l’action judiciaire. Le Sénat a examiné le projet de loi les 20 et 21 décembre 2011. Néanmoins, dans une réponse ministérielle, le ministre du Commerce avait estimé que l’amélioration des procédures de traitement des contentieux de consommation ne passe pas, dans un contexte de sortie de crise économique, par l’introduction d’une action collective en réparation, mais par l’amélioration des voies de recours déjà existantes et par le développement des procédures de résolution amiable des litiges, notamment la médiation [20]. En dépit de ce refus ministériel exprès pour introduire l’action de groupe, quelques avancées se sont produites en l’an 2012. En effet, le Conseil national de la consommation a rendu, le 4 décembre 2012, un avis concernant les modalités d’une action de groupe qui pourrait être introduite dans le système juridique français. La lecture de l’avis laisse, cependant, un goût d’inachevé puisque de nombreuses questions posant de sérieuses difficultés, comme les conditions d’agrément des associations des consommateurs, les modalités de recueil des consentements des consommateurs [21] n’ont pas été abordées. Finalement, le 23 octobre 2012, une large concertation a été lancée sur l’introduction de l’action de groupe en droit français, dans la perspective de la présentation au premier semestre 2013, au parlement, d’un projet de loi en faveur de la consommation : le débat se poursuit !

A l’heure actuelle, les consommateurs français sont dépourvus de cette action collective qui est, d’un point de vue pragmatique un outil incontournable du droit processuel de demain [22]. C’est dans ce manque de l’action collective ou encore dans la lenteur de sa potentielle mise en place qu’un arbitrage collectif à la française peut trouver son fondement et sa justification. Cette réflexion demeurerait d’une pertinence peu considérable si les alternatives à l’action collective sont efficaces et performantes. Tel n’est cependant pas le cas.

B- L’insuffisance des alternatives à l’action collective

Le droit français autorise le regroupement de plusieurs consommateurs en vue d’une action commune. Même si elles sont qualifiées de « pseudo actions collectives » par de nombreuses associations de consommateurs, des catégories d’action en justice sont assimilables à des substituts de la class action : il s’agit d’une part des actions dans l’intérêt collectif des consommateurs et d’autre part de l’action en représentation conjointe [23].

Les articles L. 421-1 à L. 421-9 du Code de la Consommation définissent plusieurs formes des actions dans l’intérêt collectif des consommateurs. Les associations de consommateurs agrées ont, en effet, la possibilité d’intenter une action devant les tribunaux pour des faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs, et peuvent ainsi obtenir la suppression des clauses illicites et abusives contenues dans les contrats proposés aux consommateurs. Elles peuvent donc jouer un rôle en matière de contrôle, d’information et indirectement de répression puisqu’elles peuvent accompagner un consommateur en justice au nom de l’intérêt de la collectivité. Toutefois, cette voie ne permet pas aux consommateurs représentés d’être indemnisés individuellement des préjudices subis. Ces actions ont simplement une finalité préventive pour les victimes à venir ce qui s’analyse comme un signe fulminant et évident de son inefficacité sur le plan pratique.

L’action en représentation conjointe [24] est la seconde catégorie d’actions en justice susceptible de s’apparenter au système des class actions. Elle a été instituée aux articles L.422-1 à L. 422-3 du Code de Consommation. Elle permet à une association agréée de consommateurs d’agir en réparation pour le compte d’individus identifiés lui donnant mandat pour les représenter. La réparation est ainsi obtenue pour des préjudices individuels [25] subis par plusieurs consommateurs identifiés et causés par les agissements d’un même professionnel. L’action de l’association doit se fonder sur au moins deux mandats écrits donnés par des consommateurs, ce qui constitue une excellente définition de l’action de groupe.

Cette forme d’action a également subi un échec en partie. Elle n’a été utilisée que cinq fois depuis sa création en 1992.  À cela, plusieurs raisons. En premier lieu, il s’agit du caractère limité de l’appel aux victimes. En effet, légalement, le mandat doit être donné par écrit, et, surtout, le texte précise qu’il ne peut pas être sollicité par voie d’appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d’affichage, de tract ou de lettre personnalisée [26]. L’appel public à mandat peut donc être fait par voie de presse uniquement. En second lieu, l’extrême lourdeur de la gestion des mandats individuels reçus par les associations conduit à une paralysie de l’action. Ces dernières doivent en effet assurer pour le compte de chacun de leur mandant de nombreuses formalités d’information à toutes les étapes de la procédure ainsi que tous les actes de procédure découlant du mandat. Or, les associations disposent de moyens souvent limités et l’introduction de ce type d’actions, par son coût et par sa longueur, représente une charge importante. En dernier lieu, les associations qui agissent comme mandataires à l’égard des consommateurs doivent supporter toutes les responsabilités afférentes à leur qualité et rencontrent des difficultés pour s’assurer contre ce type de risque.  C’est pour ces différentes raisons que la majorité de la doctrine préconise que « l’action en représentation conjointe est pour l’instant une action mort-née » [27].

Dans cette optique, l’arbitrage collectif serait probablement le véhicule approprié pour introduire dans la coutume juridique française un système de recours collectif à la disposition des consommateurs afin de pallier l’absence de l’action de groupe et le dysfonctionnement de ses substituts. 

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II.   L’éventualité d’un arbitrage collectif à la française

Etant une procédure nouvelle, l’étude de la possibilité d’une intégration en France de l’arbitrage collectif et la présentation de celui-ci en tant que solution efficace pour une protection renforcée du consommateur, nécessitent quelques analyses préliminaires identifiant les circonstances de son émergence aux Etats-Unis, ainsi que ses caractéristiques (A). Par la suite, un modèle d’arbitrage collectif à la française pourrait en être déduit (B).

A-    L’émergence de l’arbitrage collectif : l’exemple américain

C’est dans le continent américain que la procédure de « class arbitration » a vu le jour. En effet, en vue de favoriser l’accès des consommateurs à la justice, la procédure civile américaine ne s’appuyait pas uniquement sur l’action de groupe mais également sur l’arbitrage[28]. Bénéficiant du recours collectif, de plus en plus de consommateurs se regroupaient dans le cadre de cette procédure pour poursuivre les entreprises. En réaction à cet engouement, et à cause de la crainte d’une pression médiatique que ce recours collectif peut entraîner, les entreprises et leurs avocats ont développé des techniques afin de décourager les consommateurs d’intenter un recours collectif : ils recouraient alors à l’arbitrage. Dans les contrats imposés aux consommateurs, ils inséraient des clauses qui renvoient tout différend entre les contractants à une procédure d’arbitrage privée et confidentielle. Rédigées spécifiquement dans le but d’empêcher un recours collectif, ces clauses d’arbitrage diminuaient l’accès à la justice des consommateurs. Cette conséquence brûlante n’a pas été anticipée lors de l’ouverture de l’arbitrage aux consommateurs. Pire encore, certaines compagnies sont même allées jusqu’à inclure une clause interdisant expressément un recours collectif dans leur contrat de vente ou de service [29] dite « class action waiver ».

Pour éviter une telle situation d’exclusion et ainsi ce phénomène de détournement de la clause d’arbitrage de sa finalité, certains Etats des Etats-Unis ont su innover par le biais des juges d’abord, et par la soft law ensuite, en leur offrant la possibilité de se regrouper et de se faire représenter dans le cadre d’une procédure hybride, l’arbitrage collectif. Un tel mariage entre la procédure d’arbitrage et celle du recours collectif est, a priori, selon certains auteurs, contre nature. D’un côté, l’arbitrage est une justice privée appréciée du monde des affaires et qui se caractérise par sa confidentialité, sa rapidité et sa flexibilité. D’un autre côté, le recours collectif, instrument puissant aux mains des consommateurs, est une procédure par essence publique, caractérisée par un haut degré de publicité, de formalisme, de garanties procédurales et d’interventions médiatiques [30]. Tout paraît les opposer et pourtant les objectifs poursuivis et les impératifs procéduraux de l’action de groupe et de l’arbitrage peuvent être combinés sans que «violence » soit faite à l’une ou à l’autre de ces procédures [31].

L’apparition de l’arbitrage de groupe [32] s’est fait d’abord à travers la jurisprudence de la Cour californienne. Cette dernière a décidé dans l’affaire Keating c. Superior Court [33] qu’il n’existe pas d’obstacle insurmontable à procéder à une action collective dans l’arbitrage. Dans cette affaire, la Cour n’a pas établi de critères précis pour l’application future de sa règle [34]. C’est ainsi que la soft Law à travers les règlements d’institutions privées a été considérée comme la deuxième source à l’origine de l’arbitrage collectif. Les « Supplementary Rules for Class Arbitrations » de l’American Arbitration Association (AAA) est la procédure la plus connue et utilisée. Ces règles font une synthèse de la jurisprudence Bazzle [35]. A la lumière de ces règles, l’AAA gèrera les demandes d’arbitrage de classe si (1) l’accord des parties précise expressément la possibilité de ce recours collectif ou encore si cet accord reste silencieux au sujet des class arbitrations [36]. En d’autres termes, l’arbitrage collectif est possible si l’accord des parties ne l’exclut pas explicitement. En cas de silence de la clause, il revient à l’arbitre de se prononcer sur le point de savoir si la clause compromissoire applicable au litige autorise l’action collective devant le for arbitral. Il doit à ce titre rendre une sentence partielle motivée appelée « Clause Construction Award ». Les parties ont alors trente jours pour contester la compétence du tribunal arbitral devant les juridictions étatiques. À l’expiration de ce délai ou lorsque les parties ont expressément informé l’arbitre qu’aucune contestation ne sera introduite, l’arbitre peut alors passer à la seconde étape de la procédure : la certification de la classe. L’arbitre prend soin de déterminer si tous les individus composant la classe ont signé une clause d’arbitrage identique ou similaire. De plus, le recours collectif ne sera admis que s’il n’existe pas de meilleure procédure afin de garantir un règlement efficace et équitable du litige [37]. A l’issue de la certification, l’arbitre doit rendre une sentence dénommée «Class Determination Award » définissant la classe en précisant les règles d’intégration et d’exclusion de la classe, identifiant les représentants et les conseils, et exposant les différentes prétentions des parties. Les parties ont alors à nouveau trente jours pour contester cette sentence devant les juges judiciaires. Par la suite, le tribunal arbitral procède à la notification de la procédure à tous les membres potentiellement identifiés. Le système est celui de l’opt-out : ainsi, le tribunal arbitral exclura de la classe les individus qui en ont fait la demande expresse et statue sur le fond du litige.

Il est utile de remarquer que ce mécanisme a trouvé récemment un écho en Europe. Il a été mis en place en Allemagne par l’institut allemand d’arbitrage. Ce modèle allemand se limite aux litiges entre les actionnaires et les entités financières ou les dirigeants [38]. En dépit de son cadre restreint, ce modèle, pose les fondations d’une forme européenne d’un arbitrage collectif qui a de belles perspectives [39], dans le contexte de litiges tant internes qu’internationaux. L’existence de l’arbitrage collectif sur le continent américain et son émergence en Europe faciliterait ainsi son  intégration en France.

B.   Un exemple d’un arbitrage collectif à la Française

L’atermoiement concernant l’adoption d’une class action à la française obscurcit la visibilité sur le modèle que peut revêtir un éventuel arbitrage collectif en droit français. Toutefois, certaines tendances peuvent se dégager des différents projets et permettent de prédire l’avenir de ce recours collectif. Afin qu’il soit cohérent, ce modèle devrait s’inspirer des exemples américains, tout en évitant les dérives qu’ils ont eues, mais également de tenir en ligne de compte l’existence de spécificités distinctives traduisant la tradition juridique française.

Concernant tout d’abord la constitution de la « classe » ; d’un point de vue juridique, le système d’opt-out que préconisent les modèles américains heurte le principe selon lequel « nul ne plaide par procureur ». Il serait dès lors préférable de prôner en France un système d’opt-in pour être représenté dans l’action. Ce système repose sur une déclaration explicite pour rejoindre l’action et non pas sur une présomption de participation. Un deuxième point important est de déterminer qui a la capacité de représenter la classe.  Pour certains, inspirés des droits américains, l’action devrait pouvoir être introduite par toutes personnes intéressées. Pour d’autres, ce sont les associations de consommateurs qui devraient introduire l’action. Cette deuxième alternative permet un grand renfort médiatique à l’action et assurerait davantage la dissuasion du professionnel. De plus, l’arbitrage collectif ne doit pas être un doublon inutile de la procédure étatique. En effet, le principal problème posé et critiqué dans le déroulement de cette nouvelle procédure atypique est le degré d’intervention judiciaire. Cela peut introduire le risque de multiplication de blocages et de recours dilatoires. Ainsi, afin de préserver l’autonomie de l’arbitrage collectif, le pouvoir de décider si la convention d’arbitrage permet l’exercice d’une action collective dans le for arbitral doit appartenir à l’arbitre, et non au juge. De même, l’arbitre aura le pouvoir de déterminer l’existence d’un préjudice de masse, autrement dit de l’intérêt à agir collectivement, et de la faute du défendeur. Il appartiendra aussi à l’arbitre de se prononcer dans une sentence finale sur le montant des dommages et intérêts [40]. Ce mécanisme devrait finalement demeurer volontaire et non obligatoire afin que le consommateur choisisse le véhicule procédural qu’il souhaite pour solutionner son problème.

Conclusion

« I am interested in the future because I am going to spend the rest of my life there » [41]. Cette citation résume tout le raisonnement sur le renouveau de l’arbitrage en matière de litiges internationaux de consommation. Les consommateurs ont besoin de nouvelles alternatives pour que la rencontre avec la justice, autrefois problématique, puisse avoir un avenir resplendissant.

L’arbitrage est un processus flexible et malléable. Il s’agit d’un droit en mouvement et en perpétuelle évolution. Il peut dès lors être le terrain de démarche constructive et créatrice. L’arbitrage peut être adapté comme beaucoup d’auteurs l’ont proposé en matière de la consommation, mais également peut se combiner à d’autres procédures pour donner naissance in fine à une procédure hybride. L’arbitrage collectif, un potentiel nouveau-né de la procédure arbitrale confirme l’approche démocratique que ce mode privé de règlement de litige poursuit.

L’arbitrage collectif revêt un intérêt indéniable. Sa jeunesse et son existence cantonnée à des systèmes étrangers ne permettent néanmoins pas d’apporter une conclusion définitive sur son succès ou sur son opportunité. Dans l’hypothèse de l’absence d’une « class action à la française », la voie de l’arbitrage collectif, en dépit des difficultés de sa mise en œuvre et des inconvénients qu’il présente et qui ont été dégagés par certains auteurs [42], mérite bien d’être pensée. Ce n’est qu’à ce moment là, que les subtilités et les défauts du modèle proposé de l’arbitrage collectif pourraient apparaitre.

Chiraz ABID

Doctorante, Paris II Panthéon-Assas


[1] J-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, Paris, LGDJ, 1999, n°117.

[2] P-C. Lafond, Rapport Général « le consommateur et le procès », in Le consommateur, Travaux de l’Association Henri Capitant, op.cit., p612.

[3] N. Antaki, « L’arbitrage collectif : pourquoi pas ? » in La justice en marche : du recours collectif à l’arbitrage collectif, Les journées Maximilien-Caron, éd. Thémis 2006 p. 51.

[4] R. De Chassey. Marc, « L’arrêt In re American Express Merchants Litigation de 2012 et sa mise au point sur l’arbitrage collectif en matière de contrat d’adhésion », soumis le 25/04/2012, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Arbitrage International, Master d’études bilingues des droits de l’Europe.

[5] Ch. Müller, « Class Arbitration », in Mélanges en l’Honneur de Pierre Tercier, Schulthess, 2008, p. 921

[6] Voir dans ce sens : M. De Fontmichel, Le faible et l’arbitrage, sous la direction de Th. Clay Université de Versailles – Saint-Quentin, 2011 ; C. Seraglini, « Les parties faibles face à l’arbitrage international : à la recherche d’un équilibre », Gaz. Pal ; F. Valencia, « Parties faibles et accès à la justice en matière d’arbitrage », Rev. arb., 2007 ; Th. Clay, « Arbitrage et modes alternatifs de règlement des litiges : Clause compromissoire dans le contrat de consommation », Rec. D. 2005 pan. p.3050 ; Ph. Delebecque, « Arbitrage et droit de la consommation », Dr. et Patrim., 2002 n°104, p51. E. Loquin, « Arbitrabilité et protection des parties faibles », Trav. Com. fr. DIP, Pedone, 2004-2006 ; M. De Fontmichel, « clause compromissoire et contrats internationaux mixtes », note sous Cass. 1re civ., 12 mai 2010, LPA, 21 février 2011 ; C.Abid, L’arbitrage international et la protection des consommateurs, sous la direction de Fabien Marchadier, mémoire Univ. de Limoges, 2011-2012.

[7] Cette idée a été bien défendue dans la thèse de M. De Fontmichel précitée.

[8] Voir dans ce sens, J. CLAVEL, Le déni de justice économique dans l’arbitrage international – L’effet négatif du principe de compétence-compétence,  sous la direction de G. KHAIRALLAH, Université Paris II Panthéon-Assas, 2011.

[9] P-C. Lafond, Rapport Général « le consommateur et le procès », in Le consommateur, Travaux de l’Association Henri Capitant, op.cit., p 624.

[10] L’arbitrage collectif : Une solution pour les consommateurs ? , Etude présentée au Bureau de la consommation d’Industrie Canda par Option consommateurs (l’association des consommateurs du Québec), juin 2007, p 12.

[11] I. Samson Bureau, The reconciliation of class actions, commercial arbitration and consumer rights, Thesis for the degree of Master of Laws LLM, University of Toronto, 2007, p22: « it is essential to combine the two tools – class actions and commercial arbitration- to assure the protection of consumer rights, contractual stability, easier access to the justice system and reduced use of the court system for cases that can be resolved through arbitration, thus creating more courtroom time for more complex cases»

[12] CEDH, 27 Avril 2004, Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, n° 62543/00, § 35, CEDH 2004-III

[13] C. Brenner, « Le consommateur et le procès en France », in Le consommateur, Travaux de l’Association Henri Capitant, op.cit., p680.

[14] La procédure de « discovery » (la phase où les parties doivent fournir des pièces pertinentes au dossier, constituant parfois des milliers de documents) est très coûteuse en temps et en argent.

[15] C. Pelletier, « La frustration des associations de consommateurs face à l’absence d’action de groupe en droit processuel français », RDC. 01 janvier 2012 n° 1, P. 151.

[16] Les pactes de quota litis (prévoyant des honoraires sur un pourcentage des sommes obtenues) – l’équivalent des « contigency fees » américaines – sont strictement interdits en France.

[17] « l’opt-out » pose un problème de constitutionalité au regard de la décision du Conseil constitutionnel (n° 89-257 DC du 25 juillet 1989), où conformément à l’adage « nul ne plaide par procureur », le Conseil a confirmé la nécessité d’une manifestation individuelle de volonté pour agir en justice.    

[18] G. Jahan, « Doit-on importer les class actions en France pour mieux défendre le consommateur ? », Gaz. Pal.,19 octobre 2006 n° 292, P. 20.

[19] P. Pietrois-Chabassier, « AT&T Mobility LLC v. Concepcion: l’évolution Outre-Atlantique face au conservatisme français », soumis le 24/04/2012, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Arbitrage International, Master d’études bilingues des droits de l’Europe.

[20] Commission des lois, Sénat : Communiqué 6 déc. 2011, Rép. min. Commerce n° 119071 : JOAN 29 nov. 2011, p. 12509, « l’introduction d’une action de groupe est de nouveau discutée », JBB, 01 janvier 2012 n° 1, P. 47

[21] L. Constantin, « Action de groupe : avis du Conseil national de la consommation », Avis, 4 déc. 2012, D. (actualité), 20 décembre 2012.

[22] C. Pelletier, « La frustration des associations de consommateurs face à l’absence d’action de groupe en droit processuel français », RDC. 01 janvier 2012 n° 1, P. 151.

[23] A. Bouvignies, Les class actions, op.cit., p28.

[24] Voir dans ce sens, R. Martin, «  L’action en représentation conjointe des consommateurs », JCP 1994. I. 3756 ; L. BORÉ, « L’action en représentation conjointe : class action française ou action mort-née », D. 1995. Chron. 267, etc…

[25] Pietrois-Chabassier, « AT&T Mobility LLC v. Concepcion: l’évolution Outre-Atlantique face au conservatisme français », op.cit.

[26] Voir par exemple Cass. 1re civ., 26 mai 2011, no  10-15676, D. 2011 ; Dans cette affaire, la Cour de cassation a préféré approuver la solution retenue par les juges du fond en disposant que« Attendu que la cour d’appel, … a exactement retenu qu’elle  (l’association des consommateurs) n’avait pas respecté les dispositions de l’article L. 422-1 du Code de la consommation lequel, … prohibe notamment tout appel public par moyen de communication de masse ou par lettre personnalisée ».

[27] J. Calais-Auloy, Colloque organisé par l’université d’Evry et l’ordre des avocats à la Cour de Paris, Class actions devant le juge français : rêve ou cauchemar ?, 18 novembre 2004, Petites affiches, 10 juin 2005, numéro spécial. Voir aussi : L. Boré, « L’action en représentation conjointe : class action française ou action mort née » : D. 1995, chron., p. 267

[28] Mitshubishi Motors v. Soler Chrysler-Plymouth, 473 U.S. 614 (1985). Cet arrêt a consacré l’arbitrabilité dans les matières touchant l’ordre public, domaine qui n’a cessé de croître depuis. V. en ce sens, Th. E. Carbonneau, The Law and Practice of Arbitration, Juris Publishing, 2004, p. 155

[29] L’arbitrage collectif : Une solution pour les consommateurs ? , op.cit., p12.

[30] M. De Fontmichel, « Arbitrage et actions de groupe – les leçons Nord-Américaines », Rev. Arb., Vol 2008 Issue 4, pp. 641 – 658

[31] M. De Fontmichel,  Le faible et l’arbitrage, op.cit.,  n°588, p398

[32] http://www.adr.org/sp.asp?id=25562 donne une liste d’une centaine d’arbitrages collectifs aux Etats-Unis.

[33] 167 Cal. Rptr. 481 (Cal. Ct. App. 1980).

[34] L’arbitrage collectif : Une solution pour les consommateurs ? , op.cit., p21

[35] Green Tree Financial Corp.c. Bazzle, 539 U.S. 444 (2003).

[36] G. Nater-Bass, “Class action arbitration, a new challenges?”, conference on new developments in international commercial arbitration 2008organized by the CEMAJ of the university of Neuchatel on November 21, 2008: “in line with the supreme court’s decision in Green Tree, the AAA provides in its policy that it will administer demands for class arbitration if (1) the underlying agreement specifies that disputes arising out of the parties’ agreement shall be resolved by arbitration in accordance with any of the association’s rules and (2) the agreement is silent with respect to class claims, consolidation or joinder of claims. In other words, the AAA will administer class arbitrations as long as the underlying agreement does not explicitly exclude this possibility.”

[37] AAA suplementary rules, rule 4: The arbitrator must find that class arbitration is “superior to other available methods for the fair and efficient adjudication of the controversy.

[38] V. dans ce sens: S.I. Strong, « Collective Arbitration Under the DIS Supplementary Rules for nCorporate Law Disputes: A European Form of Class Arbitration? ». in Matthias Scherer (ed), ASA Bull, (Kluwer Law International 2011 Vol 29 Issue 1 ) pp. 45 – 65.

[39] G. Nater-Bass, “Class action arbitration, a new challenges?”, op.cit.

[40] M. De Fontmichel,  Le faible et l’arbitrage, op.cit.,  n°608, p410.

[41] Citation attribuée à C.Kettering. Cf. http://www.specialty-calendars.com/future.html.

[42] Exp1. L’opinion de la majorité de l’arrêt AT&T Mobility c. Concepcion, préc. : « Le passage d’un arbitrage bilatéral à un arbitrage collectif sacrifie le principal avantage de l’arbitrage : son caractère informel, et rallonge le procès, augmente son coût et finalement, il est probable d’aboutir à une impasse procédurale plutôt qu’à une sentence définitive. Dans les arbitrages bilatéraux, les parties s’extraient de la rigueur de la procédure civile et renoncent à l’appel pour bénéficier des avantages des règlements privés des litiges (…). Mais dans l’arbitrage collectif, avant que l’arbitre ne statue au fond du litige, il doit, par exemple, au préalable, décider de la certification de la classe, de la représentativité suffisante des parties agissant au nom de la classe et comment les règles de « discovery » doivent être adaptées à la procédure », (Traduit)

Exp2 : Certaines institutions d’arbitrage se sont prononcées en défaveur de l’arbitrage de groupe. La CCI a déclaré que : « Implementing class action systems has adverse consequences for business and consumers that outweigh the perceived benefits to society » (in D. H. Freyer et G. A. Litt, « Desirability of International Class Arbitration » in Contemporary Issues I International Commercial Arbitration and Mediation: The Fordham Papers 2008 vol. 2, p. 171.

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