Loi de finances 2016: quel avenir pour la fiscalité des entreprises?

Une fois n’est pas coutume, la loi de finances pour 2016 et la loi de finances rectificative pour 2015, promulguées le 30 décembre 2015, comportent de nombreuses dispositions à destination des entreprises dont voici une sélection non exhaustive.

En matière d’impôts directs (IS, IR), les petites et moyennes entreprises (PME) sont maintenues sous perfusion à travers une pluralité de mesures temporaires visant à alléger leurs charges fiscales (I). Par ailleurs, de nouvelles mesures de lutte contre la fraude fiscale voient le jour (II).

 I. Mesures temporaires d’allègement de charges : le statu quo

« Bis repetita placent » (les choses répétées plaisent) pourrait bien être la devise de ces lois de finances de fin d’année, faute de proposer un remède pérenne à la charge des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises. On trouvera ainsi de nombreux dispositifs temporaires introduits ou reconduits (A), et peu de changement définitif concernant la détermination du résultat imposable (B).

A. Les dispositifs temporaires d’incitation à l’emploi et l’investissement

Toute d’abord, une limitation des effets de seuil est introduite afin d’inciter les PME à embaucher un ou plusieurs salariés supplémentaires en limitant les incidences fiscales. En effet, des régimes fiscaux et sociaux plus favorables sont prévus en dessous d’un certain seuil de salarié. Ces dispositifs se traduisent notamment par une exonération d’impôt. Ces derniers sont notamment applicables aux entreprises de moins de 10 salariés implantées dans une zone de revitalisation rurale (art. 44 quindecies du CGI). La loi de finances pour 2016 prévoit ainsi que ces régimes continueront à bénéficier aux entreprises concernées malgré un franchissement du seuil de salariés, et ce jusqu’en 2018 (art. 15 LF 2016). De plus, les seuils, auparavant fixés à 10 salariés, sont rehaussés à 11, comme pour l’exemple précité ou encore concernant l’exonération de la contribution de 1 % sur les salaires due par l’employeur au titre de la formation professionnelle (art. 235 ter D du CGI)

Ensuite, le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) est logiquement prolongé au regard de sa montée en puissance, 17,5 milliards d’euros de créance fiscale ayant été déclarés en 2015 par plus d’un million d’entreprises, dont 13,2 milliards pour les PME. Celui-ci est accordé aux redevables de l’impôt sur les sociétés ou sur le revenu, en fonction des rémunérations, inférieurs à 2,5 fois le SMIC, versées à leurs salariés. Le montant du crédit correspond à 4% desdites rémunérations en 2013 et 6% en 2014 (art. 244 quarter C du CGI).

Enfin, le sur-amortissement de 40%, introduit par la Loi Macron du 6 Août 2015, est étendu à de nouvelles catégories de biens (matériels de remontée mécanique et fibre optique) ainsi qu’aux investissements réalisés par les associés de coopératives d’utilisation de matériel agricole (art. 25 et 26 LF 2016, art. 32 LFR 2015). Ce dispositif permet de déduire du résultat imposable un amortissement supplémentaire calculé sur le prix de revient des matériels et outillages industriels éligibles à l’amortissement dégressif, acquis entre le 15 avril 2015 et le 16 avril 2016. Cette prolongation concerne également, l’amortissement exceptionnel applicable au matériel de robotique industrielle pour les PME est prolongé d’un an jusqu’au 31 décembre 2016 (art. 21 LF 2016). Au titres des nouveautés, un amendement introduit sous les mêmes conditions un nouvel amortissement exceptionnel sur les imprimantes 3D acquises ou fabriquées par des PME entre le 1er octobre 2015 et le 31 décembre 2017 (art. 30 LFR 2015).

Mis à part ces mesures “classiques” d’aide temporaire à l’investissement, la loi de finances rectificative pour 2015 permet également à un particulier de déduire les pertes en capital subies dans le cadre d’un financement participatif des intérêts imposables générés par des prêts de même nature (art. 25 LFR 2015). A ce titre, l’article 125-00 A du Code général des impôts, créé à l’occasion, fait référence à la définition du prêt participatif prévue à l’article L511-6,7° du Code monétaire et financier. De plus, la déduction des pertes en capital est subordonnée au caractère irrécouvrable de la créance, par renvoi à l’article 272 du CGI, qui concerne la récupération de la TVA en cas d’impayé. Ce nouveau dispositif soutient l’investissement par le financement participatif (crowdfunding) en tenant compte du risque pour un contribuable de ne pas être totalement remboursé en cas d’échec du projet financé. Son utilisation est cependant cantonnée aux intérêts d’autres prêts participatifs, et n’est applicable qu’à l’impôt sur le revenu, et non aux cotisations sociales.

B. Les dispositions « définitives » en matière de détermination du résultat imposable

D’autres dispositifs auparavant en sursis sont finalement maintenus. Ainsi, les avantages fiscaux liés à l’adhésion à un organisme de gestion agréé pour les entrepreneurs individuels ou les sociétés de personnes ne seront pas supprimés en 2016. Il en résulte que le salaire du conjoint d’un adhérent restera déductible du résultat dans son intégralité. Les autres avantages fiscaux sont maintenus, à savoir la non application de la majoration de 25% du bénéfice professionnel pour l’imposition sur le revenu, et la possibilité de déduire des frais de comptabilité dans la limite de 915 euros par an (art. 37 LFR 2015). Pour les non-adhérents, le montant déductible du salaire du conjoint est relevé à 17 500 euros par an, à compter du 1er janvier 2016.

Quant aux rémunérations différées accordées aux dirigeants de sociétés cotées (retraites chapeaux, indemnités de révocation), celles-ci seront désormais déductibles dans la limite de 3 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (soit 115 848 euros en 2016), pour les exercices ouverts à compter du 1er novembre 2015 (art. 22 LF 2016).

Concernant les produits accessoires à l’activité professionnelle imputables au résultat imposable, la tolérance de 5% prévue à l’article 155 du CGI devient optionnelle sur demande expresse à compter du 1er janvier 2017 (art. 105 LFR 2015). Ceci induit qu’à défaut d’exercice de l’option, les produits relatifs à un bien inscrit au bilan mais non utilisé pour l’activité professionnelle seront imposés indépendamment comme des revenus non professionnels.

De manière générale, l’année fiscale 2016 ressemblera donc fortement à l’année 2015 pour les PME, la plupart des dispositifs temporaires d’incitation à l’emploi et l’investissement ayant été reconduits. Reste à savoir si les baisses de charges induites produiront l’effet escompté.

II. Fraude fiscale : la lutte continue

La loi de finance pour 2016 marque une intensification des mesures de lutte contre la fraude et la concurrence fiscale en matière de TVA (A) ainsi que concernant les obligations d’information à la charge des entreprises (B).

A. Des mesures anti-fraude à la TVA tous azimuts

En matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), trois nouveautés sont à signaler concernant les entreprises assujetties.

La première concerne le seuil d’assujettissement à la TVA française pour les ventes à distance réalisées entre une entreprise et un particulier (business to consumer) entre deux États membres de l’Union européenne. En principe, la TVA applicable est celle de l’État du vendeur, qui devra la déclarer et la reverser dans l’État où il a son établissement. Néanmoins, afin d’éviter une concurrence par les taux de TVA défavorable aux Etats membres ayant le plus grand nombre de consommateurs, la directive prévoit un seuil de ventes au-delà duquel la TVA applicable devient celle du lieu de consommation du bien. Jusqu’alors, le seuil d’assujettissement à la TVA française était fixé à 100 000 euros. La loi de finance pour 2016 abaisse ce seuil à 35 000 euros pour les ventes réalisées à compter du 1er janvier 2016 (art. 9 LF 2016), conformément aux dispositions de la directive, qui laisse aux Etats membres une option entre ces deux seuils. Les ventes à distance étant facilitées par l’usage d’internet, cette mesure a pour objectif d’assujettir plus rapidement à la TVA du lieu de consommation les achats à distance réalisés par des consommateurs français. A défaut d’harmonisation des taux, chaque État tire la couverture comme il peut pour limiter les effets de la concurrence fiscale intracommunautaire.

La seconde mesure contenue dans la loi de finance pour 2016 s’attaque directement au problème de la TVA collectée et non déclarée, en rendant obligatoire l’utilisation d’un logiciel de caisse certifié pour les assujettis, à compter du 1er janvier 2018 (art. 88 LF 2016). Cette exigence fait suite à de récentes enquêtes avaient mis en avant l’utilisation d’un logiciel de caisse « débridé », notamment dans les pharmacies, permettant de minorer le montant des ventes réalisées et ainsi d’éluder une partie de l’impôt du. A défaut de logiciel certifié conforme par un organisme accrédité ou l’éditeur, selon les critères de l’administration fiscale en termes de conservation des données, l’assujetti se risque à une amende de 7.500 euros. L’article L80 O du Livre des procédures fiscales prévoit également la possibilité d’un contrôle inopiné. Cette amende est automatique en cas d’utilisation d’un logiciel non certifié, bien qu’aucune fraude à la TVA n’ait pour autant été constatée. L’assujetti dispose simplement d’un délai de 60 jours pour obtenir un certificat à compter de la réception du procès verbal de l’administration.

Enfin, l’article 272-3 du CGI permettant de supprimer le droit à déduction de la TVA pour un assujetti est étendu aux prestations de services (art. 91 LFR 2015). Cette sanction a vocation à s’appliquer « lorsqu’il est démontré que l’acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due.» Ce dispositif vise principalement les assujettis impliqués dans un schéma de fraude carrousel, consistant à générer artificiellement de la TVA déductible, c’est à dire une créance sur l’État, sans que la TVA collectée sur la même opération ne soit reversée.

B. Des obligations d’information renforcées à la charge des entreprises

Les sites internet mettant en relation des particuliers pour des ventes de biens ou des prestations de services (ex : le Bon coin, Air bnb) devront désormais informer leurs utilisateurs des obligations fiscales et sociales incombant aux personnes tirant des revenus par ce biais, et ce à compter du 1er juillet 2016 (art. 242 bis CGI, art. 87 LF 2016). Cette obligation s’applique à chaque transaction réalisée en France ou par un résident français. Elle concerne toutes les entreprises considérées comme des plate-formes de mise en relation entre particuliers, indépendamment de leur lieu d’établissement.

Celles-ci devront par ailleurs fournir à leurs utilisateurs un récapitulatif de toutes les transactions effectuées au mois de janvier. De plus, le respect de ces obligations doit être certifié par un tiers indépendant et transmis à l’administration avant le 15 mars de chaque année, sous peine d’une amende de 10 000 euros.

Ces dispositions ciblent les particuliers tirant des revenus réguliers des transactions réalisées par le biais de ces plate-formes numériques. Bien que demeurant un phénomène marginal, ces revenus restent difficiles à appréhender à défaut de déclaration, échappant ainsi à toute imposition.

Le contrôle du respect de cette obligation d’information risque néanmoins d’être difficile à mettre en place à l’égard des entreprises implantées à l’étranger et pour les utilisateurs occasionnels ou de passage sur le territoire français.

Enfin, les grandes entreprises internationales devront obligatoirement déclarer les bénéfices de leur groupe réalisés pays par pays, en précisant l’activité et la localisation des entités du groupe (reporting country by country, art. 121 LF 2016, art. 223 quinquies C CGI). Cette mesure directement inspirée du plan BEPS (Base Erosion Profit Shifting) de l’OCDE s’applique aux entreprises possédant une entité à l’étranger et dont le chiffre d’affaires hors taxes consolidé dépasse 750 millions d’euros par an. Elle vise également les entités détenues par des sociétés situées dans un territoire n’imposant aucune obligation de reporting, suivant une liste fixée par arrêté, à moins que cette obligation ne soit accomplie par une autre entité située sur un territoire l’imposant. Le non-respect de cette obligation de déclaration annuelle est sanctionné par une amende pouvant atteindre 100 000 euros. Aux cours des débats parlementaires, il avait été question de la divulgation de ces informations au public, avant que cette motion ne soit finalement rejetée en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.

Il est encore trop tôt pour se prononcer sur les effets d’une telle mesure en termes de lutte contre la fraude fiscale, mais on peut d’ores et déjà souligner qu’elle dépendra d’une coopération internationale volontaire et renforcée, pour éviter une guerre du secret entre administrations.

Nicolas Guilland

Pour en savoir plus :

  • Les textes adoptés par l’Assemblée Nationale en lecture définitive :
    • Site de l’Assemblée Nationale → documents parlementaires → textes adoptés → loi de finance 2016 (n°648)
    • Site de l’Assemblée Nationale → documents parlementaires → textes adoptés → loi de finance rectificative 2015 (n°649)
  • La décision DC 2015-725 du Conseil constitutionnel sur la loi de finance 2016 :
    • Site du Conseil constitutionnel → décisions DC → décision DC 2015-725 : loi de finance pour 2016
  • Article « Les principales nouveautés fiscales » -Dalloz Edition du 6 Janvier 2016- Ludovic Arbelet :
    • Site Dalloz Actualités → Rubrique « Affaires » → Fiscalité → article « Les principales nouveautés fiscales »
  • Fiscalité du « crowdlending » : les pertes en capital sont imputables sur les intérêts d’autres prêts – Editions Francis Lefebvre, 15 janvier 2016
    • Editions Francis Lefebvre → actualités → fiscal → revenus mobiliers et plus-values → fiscalité du crowdlending
  • Loi de finance 2016 : détermination du résultat fiscal des entreprises – Editions Tissot, 15 janvier 2016 :
    • Editions Tissot → actualités comptabilité et fiscalité → loi de finances 2016
  • Pharmacies : un éditeur de logiciel mis en examen pour complicité de fraude fiscale, Le Monde, 11 mars 2015 :
    • Site Le Monde → rubrique Société → actualités du 11 mars 2015

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