Négociations de bonne foi en droit français et en Common Law

La réforme du droit des contrats a des conséquences sur l’obligation de loyauté pendant la période précontractuelle. Analysons l’obligation de loyauté telle qu’elle est (I) puis telle qu’elle sera après la réforme (II), et enfin dans les systèmes de Common Law (III).

I- L’obligation de loyauté précontractuelle actuelle

En droit français, les parties ont une obligation de négocier loyalement les contrats. Ce n’est cependant pas une obligation légale, car l’actuel article 1134 du Code civil ne mentionne une telle obligation que pour l’exécution des contrats. Ainsi, cet article dispose que les conventions « doivent être exécutées de bonne foi ». Si l’exécution du contrat doit être faite en toute bonne foi, il n’y a pas de mention légale d’une obligation de négocier loyalement les contrats. Néanmoins, cette obligation est bien présente en droit français.

En effet, l’obligation de négocier loyalement les contrats provient d’une jurisprudence constante, qui ressort de l’arrêt Manoukian, rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 novembre 2003. En l’espèce, il avait été jugé que, bien qu’il y ait un principe de liberté contractuelle, il pouvait y avoir une sanction en cas de rupture abusive des négociations. Ce point a été caractérisé dans cet arrêt par le fait que la rupture avait été faite tardivement. Néanmoins, les dommages et intérêts ne peuvent porter que sur les pertes subies, et non sur la perte de chance d’obtenir des gains supplémentaires.

II- L’obligation de loyauté après la réforme d’octobre 2016

Cette jurisprudence constante sera très prochainement codifiée. Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 énonce, en son article 1104 que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi », et que cette disposition est d’ordre public. Cette obligation est également rappelée au futur article 1112[1] qui codifie intégralement l’arrêt Manoukian. La bonne foi dans les négociations contractuelles sera donc une obligation à laquelle il sera impossible de déroger, consacrant définitivement cette décision.

Cet article était souhaité, et il figurait dans le rapport du groupe de travail de la Cour de cassation, dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription du 15 juin 2007[2].

Il s’agit non seulement d’une codification de la jurisprudence, mais aussi de la pratique du marché, et pas uniquement de la pratique française. Ainsi, les parties ont tendance à faire des avant-contrats, avec des clauses d’exclusivité pour avoir l’assurance d’une bonne foi réciproque dans la négociation précontractuelle. Ces avant-contrats peuvent même inclure des clauses d’indemnisation du fait de la rupture, y compris dans des cas où elle ne serait ni abusive, ni faite de mauvaise foi.

Néanmoins, la codification de cette obligation est utile, car lors des négociations précontractuelles, il y a parfois un engagement de frais et de moyens importants.

III- La loyauté dans les systèmes de Common Law

Dans les systèmes de Common Law, la solution est différente. Ainsi, en droit anglais, le principe de bonne foi dans les négociations a été rejeté en 1992 par la House of Lords dans Walford v Miles. Le concept de bonne foi, dans les relations précontractuelles, a été considéré par les juges, dont Lord Ackner (ancien juge en appel), comme étant contradictoire par rapport à la pratique, car au stade précontractuel, les parties ont des intérêts divergents. Néanmoins, il y a quelques exceptions à ce principe, par exemple, si une des parties n’avait pas l’intention de conclure de contrat, mais a négocié pour d’autres raisons (avoir accès à des informations sur le cocontractant…). Malgré cela, le principe demeure le refus de l’obligation de bonne foi avant la conclusion du contrat, au nom de la liberté de négociation, et pour avoir les avantages que les parties souhaitent obtenir.

La solution est la même en droit américain. Il est à noter que Friedrich Kessler (ancien professeur à Yales) et Edith Fine (ancienne professeure à Puerto Rico Law School et ancienne juge au Massachusetts) ont considéré qu’il s’agissait d’une décision de « bon sens ». Une décision allant dans ce sens a été rendu en appel dans Venture Associates Corporation v. Zenith Data Systems Corporation en 1996. Il a été précisé explicitement dans cette affaire que la négociation de mauvaise foi était possible, car la liberté de ne pas contracter doit être protégée.

Néanmoins, la Cour Suprême du Delaware a rappelé en décembre 2015 dans SIGA Technologies, Inc. v. PharmAthene que si les parties à un contrat s’engagent dans un avant-contrat à négocier loyalement, cette obligation devra être respectée, sous peine d’être condamné au paiement de dommages et intérêts.

Pourtant, en droit français, le principe de liberté contractuelle ne semble pas être une limite à la loyauté, contrairement à la solution énoncée en droit anglais.

Ainsi, en droit français, si une partie ne satisfait pas à son obligation de loyauté au stade précontractuel, elle pourra être condamnée à verser des dommages et intérêts à l’autre partie. Cela ne sera généralement pas le cas dans les systèmes de Common Law. Ainsi, si une affaire telle que l’affaire Manoukian se présentait face aux juridictions anglaises ou américaines, le demandeur serait probablement débouté.

Pour conclure, l’ordonnance d’octobre 2016 va codifier une jurisprudence constante selon laquelle les parties doivent être loyales lors des négociations contractuelles, mais en cas de faute, il ne peut y avoir de réparation du gain manqué. Dans les systèmes de Common Law, l’obligation de loyauté dans les négociations contractuelles est rejetée au nom de la liberté contractuelle. Dans les deux systèmes, la sécurité juridique est assurée, étant donné que la jurisprudence anglo-américaine est constante, et qu’il est improbable que cette partie de l’ordonnance d’octobre soit modifiée prochainement.

Cyril AUFRECHTER

Sources :

Rapport du groupe de travail de la Cour de cassation Sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription15 juin 2007.

Kessler, Friedrich/ Fine, Edith, Culpa in Contrahendo, Bargaining in Good Faith and Freedom of Contract : A Comparative Study, 77 Harv.L.Rev. 1963/64, at 401 et seq.

Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Arrêt Manoukian (Cour de cassation, chambre commerciale, Audience publique du mercredi 26 novembre 2003, N° de pourvoi: 00-10243 00-10949).

[1992] 2 AC 128, [1992] 1 All ER 453, [1992] 2 WLR 174, [1992] ANZ Conv R 207 Coram : Lord Ackner.

Venture Associates Corporation, Plaintiff-appellant, v. Zenith Data Systems Corporation, Defendant-appellee, 96 F.3d 275 (7th Cir. 1996)

SIGA Technologies, Inc. v. PharmAthene Cour Surpême du Delaware, décembre 2015

Pour en savoir plus :

Étude détaillée dans le Réforme du droit des obligations – Un supplément au Code Civil 2016 (à jour de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016), édition Dalloz.

Nutshell Contract Law (Nutshells) par Robert Duxbury.

[1] -« L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu. »

[2] La bonne foi s’impose « dans toutes les phases de la vie du contrat : négociation, information, conclusion, exécution, interprétation, modification, renégociation, inexécution, rupture et ses conséquences».

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