L’action interrogatoire : Entre innovation attendue et difficultés de mise en œuvre annoncées.

L’action interrogatoire, introduite à l’article 1123 du code civil, est un écrit par lequel le tiers peut s’assurer de l’existence d’un pacte de préférence au profit d’un bénéficiaire supposé et de son intention de s’en prévaloir ou non. Parmi les innovations de la réforme du droit des contrats, entrée en vigueur le 1er Octobre 2016, il s’agit certainement ici de l’une des plus attendue. Innovation plus notable encore qu’elle s’appliquera communément aux contrats conclus antérieurement et postérieurement à la réforme. [1]

Cette nouvelle possibilité ouverte au tiers semble répondre, à première vue, efficacement aux difficultés d’insécurité juridique rencontrées par les praticiens en matière de pacte de préférence.

L’introduction attendue de l’action interrogatoire :

L’action interrogatoire relative au pacte de préférence offre donc au tiers la possibilité de s’assurer de l’existence d’un pacte de préférence au profit d’un bénéficiaire supposé. L’action lui permettra aussi de connaître l’intention du bénéficiaire de se prévaloir ou non du contrat final.

Le principal apport de l’action interrogatoire tient plus à ses effets qu’à sa nature. En effet, l’alinéa 4 de l’article 1123 dispose qu’à défaut de réponse dans le délai accordé au bénéficiaire, l’action en nullité ou en substitution du contrat conclu par le tiers et le promettant est fermée au bénéficiaire. Ces effets seront semblables en cas de réponse, par le bénéficiaire, indiquant sa non intention de se prévaloir de son droit de préférence. [2]

En principe, un tiers n’utilisant pas l’action interrogatoire peut, sous condition, voir son contrat conclu annulé ou y être évincé s’il existait au profit d’un bénéficiaire un droit de préférence. L’impossibilité de se prévaloir de l’action en nullité ou en substitution apparaît donc comme une sécurisation du contrat conclu par le tiers au détriment du bénéficiaire. Le tiers ayant un doute sur l’existence d’un pacte pourra dès lors préalablement s’assurer contre toute annulation ou éviction de son contrat conclu avec le promettant.

L’idée, bien que source de sécurité à la fois juridique et économique pour le tiers, semble souffrir d’ambigüité tant quant à ses conditions qu’à sa réelle utilité pratique.

L’ambigüité du texte quant aux conditions de l’action interrogatoire 

Les alinéas trois et quatre de l’article 1123 du code civil établissent conjointement trois conditions cumulatives à la validité de l’action interrogatoire. L’action doit tout d’abord être utilisée par le tiers sous la forme d’un écrit. Cet écrit, dans un second temps, doit nécessairement contenir mention des effets d’un défaut de réponse du bénéficiaire supposé. C’est-à-dire l’impossibilité pour le bénéficiaire de se prévaloir postérieurement de l’action en annulation ou en substitution.

La dernière condition concerne l’insertion, dans l’écrit, du délai de réponse accordé au bénéficiaire. Le délai est choisi par le tiers. Cependant cette fixation n’est pas discrétionnaire et doit correspondre à un délai raisonnable. Le délai raisonnable ne peut-il pas s’appréhender comme une source d’insécurité juridique pour le tiers ?

Dans un sens oui, il est complexe d’établir ce qu’est un délai raisonnable. Ce délai est fluctuant. Il peut être soumis à des circonstances relevant de la nature du contrat ou encore à l’appréciation du juge. Ces incertitudes créent une situation d’insécurité juridique pour le tiers.

A l’inverse, la fixation d’un délai minimal de droit commun omettrai les différences entre les contrats finaux envisagés. Difficile d’imposer un délai minimal à des contrats dont la valeur économique est fluctuante. En effet, cette valeur économique influence le temps nécessaire de réflexion du bénéficiaire de la promesse.

Le texte ne prévoit pas les conséquences attachées à l’absence d’une de ces trois conditions. Il est probable que cette absence emporte le maintien de l’action en nullité ou substitution pour le bénéficiaire quelle qu’ait put être sa réponse ou son absence de réponse.

Un texte incomplet quant à l’absence des modalités de la vente projetée

Il est ici question de l’hypothèse dans laquelle le tiers, usant de l’action interrogatoire, aurait déjà préalablement envisagé avec le promettant la conclusion du contrat.

Les modalités du contrat final s’entendent ici comme l’ensemble des particularités attachées à la possible convention entre le tiers et le bénéficiaire. Ces particularités s’apprécient d’un point de vue commercial et vont influencer l’acceptation de l’acquéreur. Il peut, par exemple, s’agir du prix, de possibles remises, d’un délai d’obtention d’un prêt. Au vu de la position de la Cour de Cassation à ce sujet, c’est principalement le prix, en tant que modalité essentielle du contrat final qui semble ici faire défaut.

En effet, La jurisprudence a considéré que le promettant était tenu du prix proposé au bénéficiaire vis-à-vis du tiers. Le promettant ne peut proposer, après un refus du bénéficiaire du pacte, la conclusion du contrat à un tiers à un prix inférieur à celui proposé au bénéficiaire antérieurement. Dans le cas contraire, il violerait son obligation contractuelle de préférence. Le prix alors projeté devient une indication précieuse pour le bénéficiaire de la promesse. Il peut, en effet, s’appuyer dessus dans sa prise de décision quant à son intention ou non de se prévaloir du pacte.

L’obligation d’insertion de cette modalité aurait donc été bienvenue. En effet, le promettant peut, par la suite, regretter sa réponse à l’action à la vue du contrat conclu entre le tiers et le promettant. Dans ce cas, il ne pourrait plus demander ni l’annulation ni sa substitution au contrat conclu.

Le maintien de la double condition : Un frein à l’efficacité pratique de l’action interrogatoire 

La principale lacune de cette nouvelle action tient au maintien de la double condition ouvrant la possibilité au bénéficiaire de demander l’annulation ou la substitution au contrat.

En effet, l’alinéa 2 de l’article 1123 prévoit, que l’action en nullité ou substitution est ouverte dans le cas où le tiers aurait eu connaissance du pacte de préférence ET de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir. Il s’agit en réalité de caractériser la fraude du tiers. Le texte reprend ici simplement les conditions établies par la jurisprudence préalablement à la réforme des contrats, sans apporter plus de précisions. Si la reprise de cette jurisprudence était attendue il n’en reste pas moins que des précisions auraient été les bienvenues. [3]

Ainsi le maintien de la seconde condition, qui tient à la connaissance pour le tiers de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, est restée en suspens durant la rédaction des projets de réforme. Finalement cette double condition est maintenue en droit positif. La pratique a pourtant démontré qu’il était très difficile pour le bénéficiaire de prouver cette même condition. L’annulation ou la substitution ouverte à la réunion de ces deux conditions est donc rarement appliquée au profit du bénéficiaire qui s’en retrouve lésé.

Dans ce cas, l’action interrogatoire perd de son utilité pratique. Les tiers ont très peu de chance de se voir opposer cette action. Il n’ont donc que peu d’intérêt à ne pas conclure le contrat directement sans user de l’action interrogatoire. L’action interrogatoire agirait comme un aveu non nécessaire, de leurs parts, les privant d’un contrat dont les intérêts économiques peuvent être conséquents à leurs égards. [4]

Reste à connaître la position de la Cour de Cassation à ce sujet. Quelles seront les conséquences de la non utilisation volontaire de l’action par le tiers ? Les actions resteront elles ouvertes au bénéficiaire si le tiers est resté passif alors même qu’il avait des soupçons ou connaissance de l’existence du pacte ?

Il serait peu probable que la Cour établisse une présomption simple de refus volontaire d’utilisation de l’action interrogatoire du seul fait de la connaissance de l’existence du pacte. Il s’agirait d’une complète négation du choix, fait par le législateur, de maintenir la double condition. A contrario, devoir apporter la preuve d’un refus volontaire du tiers d’user de l’action reste complexe pour le bénéficiaire lésé. Pour lui, cette preuve n’est pas plus aisée que de prouver la connaissance par le tiers de son intention de s’en prévaloir. Cela lui offrirait tout au plus une autre opportunité de remettre en cause le contrat conclu.

Dans tous les cas, la lettre du texte ne semble pas obliger le tiers à user de l’action, pour autant les possibles effets d’un refus volontaire ne sont pas encore établis. [5]

Jérémy Riguet

Sources:

[1] Sur l’applicabilité immédiate des dispositions de la réforme : http://www.clementfrancois.fr/droit-transitoire-ordo-reforme-contrats-rgo/

[2] A ce sujet et pour une analyse notamment des effets du refus expresse ou tacite du bénéficiaire, « La Réforme du droit des contrats » – Ouvrage de T. Douville.

[3] Décision : 3e CIV, 26 Octobre 1982 : relative aux conditions caractérisant la fraude du tiers. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007011039

[4] A propos des conséquences sur l’action interrogatoire du maintien de la double condition http://www.agefiactifs.com/droit-et-fiscalite/article/pacte-de-preference-consecration-dune-action-73366

[5] Sur l’hypothétique positionnement de la Cour de Cassation vis-à-vis du refus volontaire du tiers de se prévaloir de l’action : http://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/reforme-du-droit-des-contrats-du-regime-general-et-de-la-preuve-des-obligationsactions inter/h/0a8192ceae390cae5ff46e5806cb7966.html

 

 

 

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