Réforme du droit des contrats: qu’est-ce qui va changer ?

Ordonnance du 10 février 2016

Portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Principales dispositions en matière contractuelle

 

 

Depuis le bicentenaire du Code civil, et l’annonce de la Présidence de la République, la réforme du droit des contrats était fort attendue.  De nombreux projets ont ainsi vus le jour (Projets Catala, Terré ou encore Unidroit…etc.)

En effet, il était urgent de réformer le droit des obligations, et en particulier le droit des contrats (la responsabilité devant faire l’objet d’une prochaine réforme) pour lequel les solutions ne se trouvaient plus dans le Code civil (quasiment inchangé depuis 1804 pour le droit des obligations) mais dans le Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. « Le Code civil n’est plus ni le reflet ni l’écrin du droit positif » (Présentation de la réforme du droit des contrats, D. Mazeaud, Gazette du Palais du 23 février 2016 p. 15).

Face aux lacunes du Code, le régime juridique était d’avantage construit par les juges. Le Code civil apparaissait donc comme obsolète mais surtout inaccessible et ne permettant pas une prévisibilité des solutions. En effet, il est plus aisé de renverser une jurisprudence que de modifier une loi.

A cette volonté d’efficacité se sont ajoutées celles d’efficacité et de protection de la partie faible.

La loi du 16 février 2015, en son article 8, a ainsi habilité le Gouvernement a procédé à cette réforme par voie d’ordonnance qui devait intervenir dans l’année suivante. Un projet d’Ordonnance a été présenté le 25 février 2015 et a conduit à l’édiction de l’ordonnance du 10 février dernier.

La Chancellerie a ainsi réalisé un travail de synthèse. L’ordonnance procède donc, pour la plupart de ses dispositions, à une codification des solutions jurisprudentielles désormais acquises. « C’est une réforme ; non une révolution » D. Mazeaud.

Les dispositions de cette ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016 (article 9 de l’ordonnance) pour les contrats nouvellement conclus, tacitement reconduits ou renouvelés à compter de cette date.

Les contrats conclus avant restent soumis à l’empire de loi ancienne sauf pour les dispositions des articles 1123 (pacte de préférence), 1158 (représentation) et 1183 (confirmation).

Le premier bouleversement de taille est sans doute la renumérotation des articles du TITRE III du Code civil.

 

Le plan du Sous-titre Ier du TITRE III est désormais le suivant :

  • Titre III : Des sources d’obligations (Articles 1100 à 1100-2)
  • Sous-titre Ier : Le contrat
  • Chapitre Ier : Dispositions liminaires (Articles 1101 à 1111-1)
  • Chapitre II : La formation du contrat (Articles 1112 à 1187)

 

  • Section 1 : La conclusion du contrat
  • Section 2 : La validité du contrat
  • Section 3 : La forme du contrat
  • Section 4 : Les sanctions

 

  • Chapitre III : L’interprétation du contrat (Articles 1188 à 1192)
  • Chapitre IV : Les effets du contrat (Articles 1193 à 1231-7)

 

  • Section 1 : Les effets du contrat entre les parties
  • Section 2 : Les effets du contrat à l’égard des tiers
  • Section 3 : La durée du contrat
  • Section 4 : La cession de contrat
  • Section 5 : L’inexécution du contrat

 

La responsabilité civile délictuelle est quant à elle envisagée aux articles 1240 à 1245-17.

Cette renumérotation est perçue par de nombreux praticiens et universitaires comme étant d’avantage claire et lisible.

Il convient d’examiner les modifications apportées par l’ordonnance en matière contractuelle en distinguant ce qui relève d’une simple codification (I) et ce qui modifie le droit existant (II).

 

  1. Codification de la jurisprudence en matière contractuelle

Il convient d’examiner les règles codifiées selon les étapes du processus contractuel.

 

A. Les principes essentiels

Il est créé un nouveau chapitre consacré aux principes essentiels.

La définition de contrat figure toujours à l’article 1101 mais est légèrement modifiée. Le contrat est défini comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligation ». Par ailleurs, le terme « convention » disparait au profit de celle de « contrat ». Cette analogie peut être critiquée dans la mesure où une convention n’est pas nécessairement un contrat.

La liberté contractuelle est fermement définie à l’article 1102. Elle recouvre non seulement la liberté de contracter ou de ne pas contracter, celle de choisir son contractant[i] mais également le contenu de son contrat.

Le principe général dégagé est que les règles concernant le contrat sont supplétives de volonté sauf mention contraire (article 1105). On perçoit là le caractère libéral de la réforme.

Les dispositions de l’article 1134 actuel sont étoffées mais figurent désormais dans plusieurs articles distincts.  Les articles 1103 et 1193 posent le principe de la force obligatoire sans modification notable.

En ce qui concerne la bonne foi, elle sera envisagée à l’article 1104 qui a le mérite d’affirmer qu’elle s’applique à tout le processus contractuel (et non seulement lors de l’exécution comme le mentionnait l’article 1134) : négociation, formation et exécution. La bonne foi précontractuelle trouve donc sa place dans le Code civil alors qu’elle n’était affirmée que par la jurisprudence. La bonne foi est d’ordre public et les parties ne peuvent contractuellement s’en affranchir.

Les articles 1106 à 1111 procèdent à une définition de chaque type de contrat : synallagmatique/unilatéral, onéreux/gratuit, commutatif/aléatoire, consensuel/solennel/réel, gré à gré/adhésion, contrat cadre/contrat d’exécution. Sont donc insérées de nombreuses définitions supplémentaires au Code civil actuel.

 

B. La formation et la validité du contrat

Le Code civil tel qu’il est en vigueur aujourd’hui n’envisage quasiment pas les étapes précontractuelles et notamment les négociations. Il s’agissait donc d’un pan de la réforme fort attendu et réclamé par la doctrine.

Tout d’abord, le principe du consensualisme est affirmé avec ses tempéraments (article 1113).

De plus, les règles relatives à la négociation des contrats sont codifiées (alors qu’il n’en existe aucune dans le Code actuel). Elles sont libres mais doivent être placées sous l’égide la bonne foi. Par ailleurs, la  sanction de la rupture déloyale est consacrée[ii]. Le Code précise que la réparation ne peut avoir pour objet la perte des avantages attendus du contrat non conclu[iii] (article 1112).

Sont ensuite envisagés les régimes de l’offre et de l’acceptation tels que construit par la jurisprudence (articles 1113 à 1122). Notamment, le Code réaffirme que l’acceptation d’une offre rétractée avant la fin du délai déterminé ne peut entrainer la conclusion forcée du contrat (article 1116).

Sont ensuite définis le pacte de préférence ainsi que la promesse unilatérale de vente ainsi que la sanction de leur violation (articles 1123 et 1124). Une importante jurisprudence est consacrée en matière de pacte de préférence[iv], celle du 26 mai 2006. Le bénéficiaire d’un pacte de préférence évincé ne peut demander la nullité du contrat conclu en violation du pacte et demander sa substitution à l’acquéreur, que s’il parvient à démontrer que l’acquéreur avait connaissance du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir. A défaut, seuls des dommages et intérêts pourront être octroyés.

En ce qui concerne la promesse unilatérale tout contrat passé en violation de celle-ci est nul (article 1124) si le tiers acquéreur connaissait son existence.

L’obligation précontractuelle d’information est consacrée à l’article 1112-1. Celui qui dispose d’une information qu’il sait être déterminante pour l’autre partie doit la divulguer. Il s’agit d’une obligation couvrant un champ plus large que la réticence dolosive dès lors que l’intention de nuire n’a pas à être démontrée.

En matière de vices du consentement, le Code rappelle que l’erreur sur les motifs ou la valeur[v] ne sont pas une source de nullité. L’erreur sur les motifs ne sera admise que si elle est entrée dans le champ contractuel et devenue ainsi un élément déterminant du consentement[vi].

En revanche, l’erreur provoquée par dol (article 1139) est toujours excusable[vii] (même si elle porte sur la valeur ou sur les motifs).

La violence économique[viii], à savoir l’abus d’une situation de dépendance du contractant, est consacrée dans l’article 1143 comme cause de nullité du contrat.

Par ailleurs, l’article 1131 affirme que la nullité pour vices du consentement est une nullité relative[ix].  Les nullités relative et absolue ainsi que leur régime (nullité partielle et confirmation) sont distinguées au sein du Code (articles 1178 à 1185).

Enfin, la caducité fait son apparition dans le Code civil (articles 1186 et 1187).

 

C. Les effets et l’exécution du contrat

Une section est consacrée à la durée du contrat (articles 1210 à 1215) et a le mérite de reprendre de manière claire les principes selon lesquels le contrat à durée indéterminée peut être rompu à tout moment par chacune des parties et le contrat à durée déterminée exécuté jusqu’à son terme.

Est intégrée dans le Code civil la règle selon laquelle si les tiers contribuent à la violation d’un contrat, leur responsabilité délictuelle peut être engagée[x].

Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, l’exécution forcée en nature devient le principe alors que le Code civil actuel ne la prévoyait qu’en cas d’obligation de donner (articles 1221 et 1222). L’exception réside dans le cas où le coût pour le débiteur serait disproportionné avec l’intérêt du créancier.

L’exception d’inexécution est généralisée à tous les contrats dès lors que l’inexécution est suffisamment grave (article 1226).

 

II. Modifications du droit positif

Si la réforme du droit des contrats est avant tout une codification, elle modifie néanmoins quelque peu le droit positif.

 

A. Formation et validité du contrat

En matière de conditions de validité, la réforme majeure, ayant fait couler beaucoup d’encre, est sans doute la « suppression » de la cause comme condition de validité du contrat. Or, la jurisprudence lui avait découvert de nombreuses fonctions. L’objet certain et la cause licite fusionnent désormais dans un « contenu licite et certain » (article 1128).

Néanmoins, malgré cette suppression, les trois fonctions qu’elle occupait en droit positif demeurent :

  • La protection de l’ordre public[xi] désormais assurée par l’article 1128 qui impose un contenu licite ;
  • La protection des intérêts du contractant au détriment de qui le contrat est structurellement déséquilibré qui sera désormais assurée par l’article 1169 (qui pose le principe de la nullité du contrat dont la contrepartie est dérisoire ou illusoire[xii]) ;
  • Le maintien des obligations essentielles[xiii] dont traitera l’article 1170.

La suppression de la cause est donc purement lexicale. Ses fonctions restent ainsi disséminées à l’intérieur de ce nouveau sous-titre consacré au droit des contrats. La question du but de cette suppression se pose alors légitimement…

Par ailleurs, l’ordonnance est venu mettre fin à des hésitations jurisprudentielles[xiv] en posant le principe selon lequel le décès de l’offrant emporte, qu’elle soit ou non assortie d’un délai, caducité de l’offre.

Quant à la date de formation du contrat, le Code prévoira désormais qu’elle se situe lors de la réception, par l’offrant, de l’acceptation et non plus lors de son émission[xv].

La conclusion par voie électronique fait l’objet de plus de développements ce qui est fort heureux à une période où une grande partie des contrats sont conclus par cette voie (articles 1125 à 1127-6).

Quant à la fixation du prix, elle pouvait être unilatérale depuis 1995[xvi] car n’étant pas un élément essentiel. En octobre 2016, le principe redeviendra la fixation bilatérale et la fixation unilatérale ne sera possible que dans les contrats cadres.

Enfin, la révocation d’une promesse unilatérale de vente ne sera plus un obstacle à la formation du contrat contrairement à ce qu’affirmait la jurisprudence depuis 1993[xvii]. Cette modification a le mérite de donner à la promesse un intérêt pratique très important.

 

B. Effets et exécution du contrat

La modification majeure au stade de l’exécution du contrat est l’admission, en droit français, de la théorie de l’imprévision (article 1195). Refusée depuis 1876[xviii] (solution réaffirmée par une jurisprudence constante) l’intervention du juge est désormais admise. Ainsi, si en cas de changement de circonstances, imprévisibles lors de la conclusion du contrat, l’exécution du contrat devient excessivement onéreuse pour l’un des contractants, les parties devront renégocier le contrat. En cas de refus ou d’échec, le juge sera compétent pour résilier ou réviser le contrat.

Néanmoins, selon Denis Mazeaud, la révolution de cette réforme réside dans l’insertion des contrats d’adhésion dans le Code civil et la possible suppression judiciaire des clauses abusives. Pour la première fois depuis 1804, le contrat n’est plus uniquement perçu comme un accord de volonté, ce qui reflète la réalité des relations contractuelles. Le contrat d’adhésion est défini comme celui dont les conditions générales n’ont pas été négociées et ont été déterminées à l’avance par l’un des contractants (article 1110).

Alors que seuls le Code de la consommation et le Code de commerce permettaient la suppression des clauses abusives, cette possibilité est ouverte dans le droit commun des contrats dès lors que les clauses créent un déséquilibre contractuel significatif (article 1171). Ces clauses seront alors réputées non-écrites. Par ailleurs, en termes d’interprétation du contrat, la règle selon laquelle le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé est consacrée (article 1190).

Le nouveau concept « d’action interrogatoire » est introduit et connaît trois applications. Elle permet :

  • à un tiers de demander au bénéficiaire d’un pacte de préférence s’il souhaite s’en prévaloir et à défaut de réponse dans un délai raisonnable, le bénéficiaire ne pourra plus agir (article 1123)
  • à un contractant de « forcer » l’autre partie à opter pour l’annulation ou la confirmation du contrat en cas de nullité relative (article 1183)
  • à un tiers de purger les doutes qui peuvent exister sur l’étendue des pouvoirs du représentant habilité à conclure un acte, en lui demandant confirmation de son habilitation par écrit (article 1158)

Ce mécanisme a le mérite d’instaurer une meilleure sécurité juridique.

Enfin, en matière de remèdes à l’inexécution, l’ordonnance prévoit la faculté de réduire unilatéralement le prix par mise en demeure (article 1223) mais également de recourir à la faculté de remplacement sans autorisation du juge

En conclusion, cette réforme ne doit pas effrayer les praticiens dans la mesure où l’essentiel des dispositions n’est qu’une codification de jurisprudences bien établies. Les solutions resteront donc quasiment inchangées. Seule la renumérotation nécessitera une adaptation. Cependant, certains regretteront très certainement la qualité littéraire du Code de 1804 au profit d’une rédaction plus claire mais plus simpliste.

 

Evane Pereira-Engel

 

 

 

[i] Com. 7 avr. 1998

[ii] Com., 26 novembre 2003

[iii] Com. 26 nov. 2003

[iv] Mixte 26 mai 2008

[v] Com. 26 mars 1974

[vi] Civ. 3 août 1942 / Com. 30 mai 2006

[vii] Civ. 3e, 21 févr. 2001

[viii] Civ. 1re, 30 mai 2000

[ix] Civ. 1re, 1er mars 1988

[x] Cass. ,  ass. plén., 9 mai 2008

[xi] Civ. 1re, 7 oct. 1998

[xii][xii] Civ. 1re, 3 juill. 1996

[xiii] Com 22 octobre 1996

[xiv] Civ 1ère, 25 juin 2014 n° 13-16529

[xv] Com, 7 janvier 1981 n° 79-13499

[xvi] AP, 1er décembre 1995 n° 93-13688

[xvii] Civ 3ème, 15 décembre 1993 n° 91-10199

[xviii] Civ. 6 mars 1876

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