La solution juridique de « l’affaire AFER » : consécration de la technique du cumul des mandats au détriment de l’action de groupe

Le mercredi 6 juillet, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt offrant un dénouement juridique à la longue affaire AFER. La solution retenue consacre tant la technique du cumul des mandats ad litem dans le cadre du recours collectif en restitution, que l’utilisation de la technologie numérique dans le cadre de la procédure.

L’Association Française d’Epargne et de Retraite, est créée le 16 juin 1976 et a pour objectif de négocier auprès des assureurs de meilleures conditions contractuelles concernant les assurances-vie.
Le 17 décembre 1986, une série d’accords occultes est ratifiée par l’AFER et l’assureur Aviva : ce dernier se voit confier par l’AFER l’exclusivité de gestion de ses contrats d’assurance-vie. À cet effet, l’assureur créé la SNC Sinafer (1), société commerciale de courtage dont l’objet est de gérer les contrats souscrits par l’AFER. En contrepartie, le Président et le Secrétaire Trésorier de l’Association ont perçu, de manière occulte, des commissions sur ces contrats via la SEP SINAFER. Celle-ci capte une partie des bénéfices de la SNC Sinafer. « Ces sommes étaient des ristournes de commissions d’apport et de gestion qui auraient dû profiter aux membres de l’association AFER, notamment sous forme d’une diminution des droits d’entrée»(2). En 1997, les fondateurs de l’AFER liquident la SEP SINAFER en réalisant une forte plus-value qui aurait également dû bénéficier aux adhérents.

Le 10 juin 2008 la Cour d’appel de Paris déclare le Président et le Secrétaire Trésorier de l’Association coupables d’abus de confiance commis au préjudice de l’AFER et de ses membres. Ils se pourvoient en cassation au moyen que les sommes d’argent jugées frauduleusement détournées, « n’avaient pas été remise par les adhérents, mandants»(3). La demande est rejetée par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation le 2 décembre 2009. Les juges de cassation on entendus perpétuer la jurisprudence fermement établis selon laquelle « le mandataire qui reçoit un avantage en raison de son mandat, doit en faire profiter ses mandants, et non le conserver pour lui seul. Que la remise soit faite par le mandant ou qu’elle soit faite par un tiers, cela peu importe»(4).

I- La question de la recevabilité de la technique du cumul des mandats dans le cadre de l’action collective en restitution. (5)

A. Le recours en restitution des épargnants

Dès 2008 les capitaux détournés, prés de 130 millions €, sont placés sous-main de justice. En 2011, l’AFER reçoit mandat de 55 114 adhérents réclamant des sommes modestes pour lesquelles une action en justice à titre personnel n’était pas économiquement envisageable. Elle forme, auprès de la Cour d’Appel de Paris, requête en restitution de 24. 557. 101, 82 € en application de l’article 710 du code de procédure pénale ; somme dont l’AFER est chargée d’exécuter la répartition entre les mandants.
Or, la Cour d’appel, dans un arrêt du 20 janvier 2014, déclare irrecevable cette requête au motif que « nul ne plaide par procureur » ; et que même si l’AFER a reçu mandat individuel de chacun des adhérents lésés, « elle entend exercer en lieu et place, leur droit à demander la restitution de sommes placées sous-main de justice » ; et la Cour d’appel de comparer la demande à une « class action ». Sans doute, les juges d’appel ont craint une nouvelle tentative (6) d’introduire cette technique étrangère en droit français. Celle-ci n’étant pas du ressort du juge, la censure peut paraître légitime.

B. La consécration de la recevabilité du cumul des mandats dans le cadre de l’action collective en restitution

Suite à la décision de la Cour d’appel, l’AFER se pourvoi en cassation. Dans un arrêt du 20 mai 2015, la Cour de Cassation fait droit à la demande de l’Association.(7)

Les juges de cassation précisent d’emblée « qu’aucun texte n’interdit de donner mandat à un tiers de présenter une requête en restitution dés lors que l’existence de ce mandat est prouvée et que le nom du mandant figure dans chaque acte de procédure effectué par le mandataire ».

Ayant invoqué la règle de droit selon laquelle « nul ne plaide par procureur » pour refuser la requête formée par l’AFER au nom de ses mandants, la Cour de Cassation disqualifie cette opposition. Il s’agit, en effet, d’un argument juridique invoqué de longue date tant pour dénigrer que pour soutenir l’introduction de la class action en droit français (8). Les juges de cassation infirment l’interprétation de la juridiction d’appel. L’adage d’Ancien régime n’a pas vocation à interdire la représentation par mandat lors d’un procès, mais signifie que le mandant « ne saurait se dissimuler sous couvert d’un procurator qui agirait proprio nomine » (9).

L’article 2 du code de procédure pénale dispose que « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». L’avocat général dans son avis pose la question suivante : « en dehors de ces cas, celui qui a personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction doit-il impérativement formuler lui-même la demande ou peut-il donner mandat – conventionnel – à un tiers de solliciter, en son nom, la réparation ou la restitution ? ». Certes, on trouve une jurisprudence constante en faveur de la première proposition : « l’action civile devant les tribunaux répressifs, ayant pour résultat nécessaire de mettre en mouvement l’action publique, est un droit exceptionnel qui, à raison de sa nature, doit être strictement enfermé dans les limites fixées par le code » (10). Pour autant, M. l’avocat général dans son avis propose une distinction « suivant que l’action civile tendrait à mettre en mouvement l’action publique ou, seulement, à intervenir devant la juridiction de jugement pour obtenir réparation d’un préjudice, auquel cas la victime pourrait donner mandat de l’exercer pour son compte à l’instar de ce que juge la chambre criminelle à propos notamment des tiers subrogés dans les droits de la victime ». Les juges de cassation ont, sans y faire directement référence, retenu cette proposition.

Enfin la Cour de Cassation réfute la comparaison entre la requête en restitution formée par l’AFER et une class action. De fait, à la date à laquelle a été publié l’arrêt attaqué, l’action de groupe n’était pas introduite en droit français. Elle a été instituée par la loi Hamon, entrée en vigueur le 1er Octobre 2014. Or, comme le précise le professeur Pierre-Yves Gautier, ayant travaillé sur le dossier : « La class action du droit américain est une action autorisée par le juge, menée par une association ou un cabinet d’avocats, au nom d’une catégorie entière de victimes, qui ne l’ont pas mandaté. Celles qui ne souhaitent pas faire partie de l’action doivent le faire savoir expressément (système de l’opt out). D’autres peuvent s’y agréger en cours d’instance » (11). D’autre part, l’action de groupe est réservée, en droit français, aux groupes de consommateurs. Ce que n’est pas l’Association Française d’Epargne et de Retraite. Cette dernière ne cherche pas non plus « à exercer une action collective ou de groupe, en son nom et pour le compte d’un ensemble indéterminé de personnes », ajoute P-Y Gautier (12). L’analogie établie par les juges du fond entre la class action, propre à la tradition politico-juridique anglo-saxonne et la technique du mandat, apparue sous Justinien (13), apparaît donc comme inexacte.

II- Le cumul des mandats ad litem comme substitut à l’action de groupe devant les juridictions civiles

On peut, par surcroit, considéré avec Maitre Pardo, avocat de l’AFER, que la technique du mandat ad litem est plus efficace pour mener une action collective que de « passer par les arcanes compliquées et restrictives imposées par la loi de 2014 qui institue les class action à la française » (14).

A. Les restrictions posées à l’action de groupe au regard de celles posées au mandat

Pour l’essentiel, soumise au droit procédural civil classique, seule « une association de défense des consommateurs représentative au niveau nationale et agréée (15)» par décret peut agir dans le cadre d’une action de groupe. En 2015, une quinzaine d’associations de consommateurs se sont ainsi vues conférer le droit d’agir en justice à travers la technique d’action de groupe. L’AFER n’en faisait pas partie. De plus, ces associations doivent justifier d’au moins 1 an d’existence, d’une activité publique et effective de défense des consommateurs et d’au moins 100 000 adhérents. Ces conditions restrictives posées à l’agrément du ministère public sont supposées être de nature à garantir la représentativité des associations de consommateurs ainsi reconnues. D’où l’absence de la nécessité pour l’association requérante d’obtenir le mandat des consommateurs. Pour autant, l’association doit justifier, lors de la phase d’assignation, des préjudices subis par les individus. Les bénéficiaires ne sont donc pas des consommateurs indéterminés. Aussi l’action de groupe se préserve de l’adage selon lequel « nul ne plaide par procureur, hormis le Roi ».
En comparaison, dans la procédure civile classique, « le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes de la procédure » (16). Contrairement à l’action de groupe, le mandat né, en principe, d’une relation de confiance solide entre mandant et mandataire. Toute personne qui entend en représenter une autre doit justifier de cette relation qui les lie, notamment par la production d’une procuration écrite. Toutefois les avocats sont mandataires présumés de leurs mandants (17), et peuvent à ce titre se soustraire à cette formalité.

D’autre part, l’action de groupe est limitée dans la définition des manquements du professionnel faisant l’objet de la poursuite. En effet, le législateur retient que l’action de groupe ne peut porter que sur les manquements apparus lors des contrats de vente, de la prestation du service ou résultants de pratiques anticoncurrentielles, préalablement condamnées, portant préjudice aux consommateurs. L’action de groupe ne peut porter que sur un préjudice patrimonial, subis de manière « similaire ou identique » (18) et résultant d’une « cause commune » (19).
Quant au mandat, il couvre, en vertu du principe de liberté contractuelle, les champs dont ont convenues les parties qui se lient par lui. Toutefois le mandataire est légalement limité dans son action « à l’égard du juge et de la partie adverse (…). ». Il est présumé, de manière irréfragable, être mandaté pour « faire ou accepter un désistement ; acquiescer, faire, accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement » (20). Aussi certain que soit l’excès commis par le mandataire dans l’exercice de son mandat, l’acte de procédure ne pourra faire l’objet d’une contestation émanant du mandant (21).

B. Comparaison des complexités procédurales et matérielles des deux techniques

Enfin, l’action de groupe implique l’omnipotence du juge dans la procédure (22): par une unique décision, il juge de la recevabilité de l’action, de la qualité de l’association demanderesse et de la responsabilité du professionnel poursuivi. Il instruit le procès et l’exécution de la décision : Il trace les contours du groupe de consommateurs bénéficiaire de l’action, et en définit les critères d’appartenance. Il juge des différents préjudices subis par chaque catégorie distincte de consommateurs constituant le groupe, et leur montant. Une fois la décision rendue, s’ouvre une phase de mise en état. Les consommateurs concernés en sont informés. Ils doivent manifester leur adhésion à l’action pour bénéficier de sa solution. Ainsi le droit français, contrairement au droit américain, ne retient que le systéme de l’opt-in. Une adhésion qui s’apparente à une sorte de mandat a posteriori.

Ainsi il apparaît que la technique du mandat permet de passer outre les restrictions imposée par l’action de groupe. D’un point de vue procédural également, la procédure civile classique paraît plus simple. Enfin, un mandataire de confiance paraît assurer une plus ample sécurité juridique par rapport à une action diligentée par une association de consommateurs qui détient le monopole tant de l’initiative que de la conduite.
La dernière difficulté au cumul des mandats dans le cadre d’une affaire de cette ampleur est matérielle. À cet égard il est intéressant de noter que les 600 boites contenants les dossiers des mandants ont été remises par l’avocat de l’AFER, après numérisation, sous la forme d’un disque dur externe au greffe de la cour d’appel de Paris. Cette affaire marque une nouvelle étape dans la dématérialisation des procédures devant les juridictions civiles et pénales.

*

Suite à l’arrêt de cassation, l’affaire est renvoyée auprès de la Cour d’Appel de Versailles. Cette dernière suit et confirme la décision des juges de cassation en ordonnant la restitution de 17. 292. 290, 73 € actualisés au taux légal.

Robin THONNAT

1. A noter, qu’au moment des faits, les SNC ne sont pas tenus de publier leurs comptes.
2. https://blogavocat.fr/space/brice.cotteret/tag/escroquerie
3. RTD Com. 2010 p.441 « Abus de confiance. Détournement de ristournes » (Crim. 2 déc. 2009, pourvoi n° 08-86.381, arrêt n° 6237 F-P+F, AJ pénal 2010. 78). Bernard Bouloc, Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
4. Crim. 12 nov. 1985, Bull. crim. n° 349 ; Crim. 15 déc. 2004, AJ Penal 2005. 615, obs. Bouloc)
5. Arrêt n° 564 du 20 mai 2015 (14-11.851) – Cour de cassation – Troisième chambre civile.
6. Civ. 1re, 26 mai 2011, no 10-15.676. Une association de consommateur obtient de nombreux mandats via l’internet pour constituer un groupe et poursuivre les manquements d’un opérateur téléphonique. La demande est rejetée.
7. « Des mandats par milliers… » Nicolas Dissaux, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Université de Lille 2,Recueil Dalloz 2015 p.1419
8. CABALLERO, « Plaidons par procureur ! De l’archaïsme procédural à l’action de groupe » RTDciv. 1985, p. 247
9. L. Boyer et B. Starck, Adage du droit français, Litec, 4e ed., 1999, n°278, spéc. p. 552.
10. Crim. 25 fevrier 1897, S. 1898. 1. 201
11. « La « somme » de mandats en droits civil et processuel français » Pierre-Yves Gautier, Professeur à l’Université Panthéon-Assas, Recueil Dalloz 2012 p.208
12. idem
13. Histoire du droit Romain, tome I, 1926, Dalloz, numéro 173 et suivants, page 94 et suivantes, P. COLLINET et A. GIFFARD
14. http://patrimoine.lesechos.fr/assurance/assurance-vie/0211108028728-assurance-vie-largent-detourne-sera-restitue-aux-adherents-de-lafer-2013055.php
15. C. conso., art. L. 623-1
16. article 411 code de procédure civile
17. article 416 code de procédure civile
18. circulaire du 26 septembre 2014
19. idem
20. article 417 code de procedure civile.
21. Civ. 2e, 27 févr. 1980, Bull. civ. II, no 43 ; RTD civ. 1980. 815, obs. Perrot ; D. 1980. IR 464, obs. Julien
22. article L 623-4. C.consom

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