L’Italie s’attaque à sa Constitution

En janvier, le Sénat italien a voté le projet de loi constitutionnelle qui met fin… à la plupart de ses fonctions. C’est l’une des dernières étapes de l’aggiornamento de la Constitution voulu par Matteo Renzi qui s’est peut-être mis sur les pas de Charles De Gaulle.

I- LA SITUATION ACTUELLE : UN RÉGIME D’ASSEMBLÉE

 

Des analogies entre le régime politique italien et celui de la Troisième République en France sont faciles à faire. En 1947, les pères constituants n’ont pas voulu donner trop de pouvoir à l’exécutif, afin de ne pas répéter l’expérience du régime fasciste avec « un seul homme aux commandes ». Ainsi, ils ont inscrit dans la seule et unique Constitution du pays les principes du parlementarisme classique. Depuis, ce système prévoit le suffrage universel direct pour l’élection conjointe des députés et des sénateurs (théoriquement, pour 5 ans)[1]. La Chambre des Députés et le Sénat de la République votent la confiance au gouvernement et peuvent donc le renverser à tout moment, par le biais des instruments classiques (question de confiance, motion de censure…)[2]. Les deux chambres adoptent la loi dans les mêmes termes et disposent de pouvoirs identiques[3]. L’iter legis est donc très lent, voire impraticable, à cause de ce bicamérisme parfait. La conséquence prévisible est le recours exponentiel et abusif aux décrets-lois qui sont devenus, en pratique, le principal acte de production législative (alors qu’ils devraient servir en situation d’urgence)[4]. À ce système légicentriste s’unit une loi électorale avec un scrutin typiquement proportionnel qui donne naissance à des coalitions fragiles et à des compromis qui minent la durée des gouvernements ainsi que l’efficacité de leur action politique[5].

Ce régime a inévitablement porté à un record peu enviable : depuis 1946, la durée moyenne des gouvernements italiens (et, donc, des législatures) est de deux ans environ[6]. Et pourtant — mise à part l’adaptation nécessaire à l’intégration européenne — la Constitution a subi très peu de modifications, faute de majorité suffisante pour la réviser et de l’absence d’une réelle volonté politique en ce sens. Au moins jusqu’à aujourd’hui.

II- LA NECESSITÉ D’UNE RÉFORME PROFONDE. VERS UN RÉGIME À LA FRANÇAISE ?

 

C’est la Cour Constitutionnelle qui a fait bouger les choses. En déclarant — après huit ans de vie — la loi électorale de 2005 contraire à la Constitution[7], les Sages ont obligé l’exécutif à s’occuper de la question. Le chef du gouvernement Matteo Renzi a aussi jugé nécessaire une révision du parlementarisme italien. La loi électorale votée par les Chambres en mai 2015[8] comporte toujours un scrutin proportionnel, mais — fait inédit ! — elle prévoit deux tours[9]. Ainsi, dans le premier, tous les partis participent à l’élection ; ceux qui ont reçu au moins le 3% des voix seront représentés à la Chambre des députés. Le second tour a lieu si aucun des partis a obtenu le 40% des voix au premier tour. Dans ce cas, les deux partis qui ont obtenus plus de voix s’affrontent. Le parti qui gagne au premier tour avec au moins 40% des voix, ou qui gagne tout court au second tour, reçoit automatiquement le 54% des sièges à la Chambres des députes[10]. Ce système prévoit un « bonus » pour le gagnant (existant également en Grèce et à Saint-Marin) qui était déjà prévu dans la loi électorale précédente et fut l’une des raisons qui ont amené la Consulta à la déclarer inconstitutionnelle. Cependant, sous le profil exquisément politique, cette loi laisse entrevoir un espoir de gouvernabilité : elle fera disparaître la notion de « coalition » du panorama politique italien. En effet, même si elles restent toujours possibles, les coalitions de partis deviennent tout simplement inutiles : c’est le parti politique, et non pas un ensemble de partis alliés, qui reçoit le bonus du 54% des voix[11] (ce qui lui permet de gouverner tout seul, sans dépendre d’alliances fragiles) ; ce sont deux partis politiques qui s’affrontent au second tour et non plus deux coalitions de partis différents (droite contre gauche).

Les surprises ne sont pas terminées, car cette loi électorale doit être inscrite dans un plus grand dessein, celui de la réforme de la Constitution. Effectivement, la nouvelle loi électorale ne s’appliquera qu’à la Chambre des députes, et ce à partir du 1er juillet 2016. Pour cette date-là, le gouvernement espère avoir déjà finalisé son projet de révision constitutionnelle qui met fin au bicamérisme égalitaire en Italie. Présent seulement en Suisse, ce type de bicamérisme devrait bientôt être remplacé par un bien plus rationnel bicamérisme imparfait. C’est notamment ce que prévoit la « loi Boschi » (du nom de la ministre pour les réformes, Elena Boschi) : seule la chambre basse sera élue au suffrage universel direct ; elle seulement votera la confiance au gouvernement et aura le dernier mot dans le processus législatif. Quant au Sénat, il passera de 315 à 100 membres : 95 seront élus par les conseils régionaux (ce sera donc une élection au suffrage universel indirect, visant à réduire la légitimité de la chambre haute) et comprendront un maire pour chaque région. Le mandat des sénateurs coïncidera avec leur mandat de conseillers régionaux ou maires, ce qui veut dire qu’ils seront rémunérés seulement pour leur mandat local. Le Président de la République pourra toujours nommer 5 sénateurs à vie (auxquels s’ajoutent tous les anciens chefs de l’État). L’Italie envisage donc un Sénat « à la française », une chambre des autonomies (régions et communes, les départements étant amenés à disparaître).

S’agit-il d’une solution miracle ? On le sait pas encore. Ce qui est certain est que le gouvernement pourra enfin gouverner avec une majorité forte à la Chambre des députés, sans craindre ni le chantage des partis, ni l’hostilité du Sénat. Néanmoins, le long processus de la révision constitutionnelle prévu par l’article 138 de la Constitution n’est pas encore achevé : après deux votations conformes des chambres à distance de trois mois l’une de l’autre, il faut que le constituant originaire (le peuple) s’exprime par le biais d’un référendum. Celui-ci est prévu en octobre 2016. En effet, le gouvernement de Matteo Renzi ne dispose pas d’une majorité de deux tiers ; il faut donc passer par un vote populaire. À l’instar de tout référendum, son résultat ne sera pas seulement un jugement sur le projet de révision, mais aussi sur le gouvernement lui-même. Matteo Renzi — comme De Gaulle en 1958 — a déjà annoncé qu’il lie son avenir politique à cette consultation.

                                                                                                                   Antonino CENTO

 

 

 

Pour en savoir plus :

[1] Articles 56,57,59 de la Constitution (1947)

[2] Article 94 de la Constitution (1947)

[3] Article 70 de la Constitution (1947)

[4] Où va l’Italie ? (1994), page 41 – ouvrage de Catherine Guimbard – Presse de l’Université de Paris-Sorbonne

[5] Ibid.

[6] Il leviatano senza spada: Una teoria del popolo italiano (2012), page 11 ouvrage en italien de Luigi Cocola

[7] Décision du 17 janvier 2014 (arrêt n.1 année 2014) – Cour Constitutionnelle italienne

[8] Loi du 6 mai 2015, n. 52

[9] Article 1er de la loi électorale du 6 mai 2015, n. 52

[10] Ibid.

[11] Ibid.

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