Le 49/3 : un instrument de gouvernance toujours nécessaire ?

Face à une opposition parlementaire toujours plus hostile au projet de loi El Khomri, le Premier ministre a fait usage, pour la quatrième fois, de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, rebaptisé couramment le 49/3.

Autorisée en conseil des ministres le 10 mai dernier, l’utilisation de cette arme constitutionnelle a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines tant dans le monde politique que dans l’opinion publique. Retour sur un mécanisme controversé.

Mise à jour au 21 juillet 2016 : [Depuis, le Premier ministre a fait usage le 20 juillet dernier de l’article 49 alinéa 3 pour la troisième et dernière fois dans le cadre de la loi El Khomri, définitivement adoptée le jeudi 21 juillet à l’Assemblée nationale, aucune motion censure n’ayant été déposée].

I- Un levier constitutionnel efficace face à l’inertie parlementaire

 

« L’expérience a conduit à prévoir […] une disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manœuvres, le vote d’un texte indispensable »[1], tels étaient les propos de Michel Debré à l’époque où les dérives parlementaires de la Troisième République résonnaient encore dans les mémoires.

Visant à braver l’immobilisme parlementaire, le 49/3 permet au Premier ministre d’engager la responsabilité de son Gouvernement sur un projet ou une proposition de loi, après délibération en conseil des ministres.

En prononçant la clôture des débats et l’adoption sans vote du texte à l’Assemblée nationale, il ouvre aux députés le droit de voter une motion de censure dans les 24 heures. Selon les conditions prévues à l’article 49 alinéa 2, celle-ci doit être signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée, soit 58 députés.

Si le dépôt d’une motion de censure est relativement aisé, du moins pour l’opposition, encore faut-il que celle-ci soit votée dans les 48 heures par une majorité simple des députés et recueille ainsi 289 votes sur les 577 sièges de l’Assemblée. La motion déposée par la droite le 11 mai fut à cet égard un échec, celle-ci n’ayant rassemblé que 246 voix.

Inversement, en cas de succès, le Gouvernement doit démissionner conformément à l’article 50 de la Constitution, le président de la République devant alors nommer un nouveau Premier ministre afin de respecter le vote des députés. Il lui est cependant possible d’utiliser l’article 12 pour dissoudre l’Assemblée, manœuvre néanmoins risquée comme en témoigne la dissolution de 1997.

À noter que le mécanisme du 49/3 n’a pas d’équivalent au Sénat, le Gouvernement ne pouvant pas contourner le droit d’amendement et de vote des sénateurs. L’examen de la loi travail ayant débuté au Sénat le 13 juin dernier, il est hautement probable que le Premier ministre utilise une nouvelle fois le 49/3. Toutefois, malgré la limitation de son utilisation à un texte unique par session parlementaire, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008[2], le 49/3 peut être activé tout au long du processus législatif sans contrevenir à cette règle.

Souvent perçu comme la subsistance d’un ordre ancien, le recours au 49/3 n’a pourtant rien d’illicite puisqu’il est prévu par la Constitution. Néanmoins, son utilisation depuis 1958, à 86 reprises, illustre son efficacité sans failles, puisqu’il n’a pour ainsi dire jamais conduit à une censure du Gouvernement, d’où la multiplication des critiques quant à son caractère antidémocratique.

II- Un instrument intrinsèquement anti-démocratique ?

 

Si l’utilisation de l’article 49/3 est tant redoutée et critiquée quant à ses conséquences anti-démocratiques, c’est qu’elle conduit à l’adoption systématique par l’Assemblée nationale du texte soumis, et ce sans vote. Il existe donc bien un paradoxe à appeler « loi » un texte qui n’a pas été voté par les représentants du peuple. Ce constat reste toutefois à nuancer puisque le Gouvernement peut intégrer des amendements émanant des députés dans la version soumise au Sénat.

Surnommé la Grosse Bertha, le 49/3 permet en effet au Gouvernement de faire passer un texte en force s’il est certain de ne pas avoir une majorité de députés si hostile à son action qu’elle déciderait de le renverser. Si un consensus peut parfois être difficile à trouver, cela n’implique en rien qu’une majorité puisse être prête à aller au terme d’un désaveu irrémédiable. La loi El Khomri en est un parfait exemple : si le Gouvernement n’est pas parvenu à discipliner sa majorité, celle-ci n’est pas allée jusqu’à voter la motion de censure déposée par la droite.

Ce n’est donc pas tant l’article 49 alinéa 3 qui mène à lui seul à une forme de déni de démocratie, que sa combinaison avec le fait majoritaire dans un contexte bipartiste. Le projet de loi travail en constitue un exemple caractéristique puisque la haute autorité éthique du PS a été saisie au sujet des 24 frondeurs signataires de la motion de censure déposée par la droite.

Faut-il pour autant réviser la Constitution ? Si beaucoup estiment que le 49/3 devrait être supprimé, pour d’autres, comme R. Piastra, « il ne saurait être question de remettre en cause son principe qui est tout de même de permettre au [Gouvernement], face à un [Parlement] récalcitrant, de gouverner »[3]. Si le passage de textes en force questionne sur le caractère démocratique du processus, il permet néanmoins de prévenir les situations de blocage, notamment de shutdown, telles qu’il en existe aux États-Unis. Supprimer le 49/3 expose donc à des risques de paralysie qu’il ne faut pas minimiser à l’heure où l’adoption de réformes structurelles controversées se fait de plus en plus pressante dans le contexte européen.

Quoi qu’il en soit, l’ironie est poussée à son paroxysme lorsque l’on constate que ceux qui critiquent le recours au 49/3 « en tant qu’opposants, y ont parfois recours en tant que gouvernants »[4]. Il faut dire que « [la] question de confiance est l’arme du Gouvernement, et de lui seul »[5].

Face aux critiques tant de l’opposition que de l’opinion publique, il semble que le 49/3 constitue le seul moyen pour le Gouvernement Valls d’adopter le projet de loi travail, car, en la matière, « [entreprendre], c’est toujours plus ou moins casser l’ordre établi » (Jacques Barraux).

 

Alice GIRARDOT

Laure MENA

Numéro Spécial Libertés fondamentales, Juillet-Août 2016

[1] Michel Debré, Discours devant le Conseil d’État, 27 août 1958.

[2] Loi constitutionnelle n° 2008-724, 23 juillet 2008.

[3] R. PIASTRA, « Quelques propos sur l’article 49-3 de la Constitution », Recueil Dalloz 2004 p.2659.

[4] Idem n°3.

[5] Idem n°1.

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