Le mécanisme de privation des droits de vote en cas de non déclaration de franchissements de seuils déclaré conforme à la Constitution.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’article L233-14 du code de commerce, le conseil constitutionnel vient confirmer la constitutionnalité [1] du mécanisme de privation des droits de vote en cas de non déclaration des franchissements de certains seuils de détention de capital ou de droit de vote d’une société cotée [2].

Le mécanisme de déclaration de franchissement de seuil et sa sanction

Introduites par une loi du 17 juin 1987, les obligations de déclarations de franchissement de seuils sont aujourd’hui considérées comme des règles essentielles pour la bonne information et la transparence des marchés. L’article L233-7 dispose ainsi que « (…) toute personne physique ou morale agissant seule ou de concert qui vient à posséder un nombre d’actions représentant plus du vingtième, du dixième, des trois vingtièmes, du cinquième, du quart, des trois dixièmes, du tiers, de la moitié, des deux tiers, des dix-huit vingtièmes ou des dix-neuf vingtièmes du capital ou des droits de vote informe la société dans un délai fixé par décret en Conseil d’Etat, à compter du franchissement du seuil de participation, du nombre total d’actions ou de droits de vote qu’elle possède ». Le délai de déclaration à la société émettrice est fixé, depuis le décret n°2009-557 du 19 mai 2009, au plus tard à la clôture du 4e jour de bourse suivant le franchissement de seuil [3].

L’article L233-14, objet de la QPC, sanctionne le non-respect de cette obligation par une privation des droits de vote attachés aux actions excédant la fraction qui n’a pas été régulièrement déclarée pour toute assemblée d’actionnaires qui se tiendrait jusqu’à l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification.

Une constitutionnalité de la sanction contestée

En l’espèce, la société Madag, actionnaire de la société Domia Group cotée sur le marché libre [4], contestait la constitutionnalité de la sanction de l’article L233-14 (qu’elle subissait depuis plus de 6 ans) eu égard au principe de nécessité des peines (Article 8 de la DDHC) et de respect du droit de propriété (Article 2 et 17 de la DDHC). L’étude des observations formulées par les parties lors de la séance publique du 11 février 2014 permet de mieux comprendre le fondement de la requête [5].

Concernant le principe de nécessité des peines, les requérants faisaient valoir que l’inconstitutionnalité de la sanction découlait de son caractère automatique. En effet, ces derniers regrettaient que la privation des droits de vote ait lieu « sans aucune intervention judiciaire » afin de « constater la matérialité de l’infraction ». Ils ajoutaient que la présence d’un juge serait nécessaire afin de moduler la sanction en fonction des cas d’espèce : l’étude des faits montre en effet que les divers franchissements de seuils n’étaient pas le fait de la société Madag, mais celui d’un actionnaire avec lequel celle-ci est accusée d’agir de concert (que la société conteste depuis plus de 6 ans). Rappelons que cette modulation de la sanction est rendue impossible par le caractère d’ordre public de la sanction prévue à l’article L233-14.

Concernant le principe de respect du droit de propriété, le requérant faisait valoir que la sanction l’empêchait de disposer librement de son bien et notamment de lutter contre une dilution massive de sa participation (dilution que la société a subi suite à une augmentation de capital réservée à un tiers). Il était ainsi souligné que cette atteinte au droit de propriété n’était absolument « pas justifié au regard de la nécessité d’assurer la bonne information du public » sur le marché.

Le respect du droit de propriété affirmé

Après avoir rappelé que le droit de propriété est constitutionnellement protégé et que les atteintes qui lui sont portées ne peuvent être justifiées que par un motif d’intérêt général, le conseil constitutionnel souligne que « l’actionnaire détenteur des actions soumises aux dispositions contestées en demeure le seul propriétaire » et qu’il conserve son droit aux dividendes, son droit préférentiel de souscription, ainsi que tous les autres droits normalement reconnus à un actionnaire. Les sages considèrent ainsi, eu égard à la durée limitée de la sanction et le fait que celle-ci ne porte que sur la fraction des actions excédant le seuil non déclaré, que la sanction de l’article L233-14 n’entraîne pas « privation de propriété au sens de l’article 17 de la déclaration de 1789 ». Le conseil précise cependant que, si une atteinte à l’exercice du droit de propriété peut être reconnue, celle-ci ne revêt pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi.

La question fondamentale de la qualification de la sanction

Si cette décision mérite une certaine attention, c’est surtout pour la réflexion qu’elle entraîne sur la nature de la sanction de l’article L233-14. La réelle question que soulève la QPC est de savoir si cette sanction revêt le caractère d’une punition au sens de la déclaration de 1789 ? Rappelons que l’article 8 de la déclaration dispose que « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires (…) ». La qualification de punition entraîne donc la soumission automatique au principe de proportionnalité des peines posé ce même article 8.

La réponse du conseil est laconique : ce dernier estime que « cette privation temporaire des droits de vote ne constitue pas une sanction ayant le caractère d’une punition ». Pour appuyer ses propos, le conseil rappelle que la suspension des droits de vote est constatée par le bureau de l’assemblée générale et que les effets d’une telle suspension sont limités aux rapports entre les actionnaires et la société. On peut regretter la relative brièveté du raisonnement reproduit dans la décision et c’est pourquoi il convient une nouvelle fois de se pencher sur l’argumentation développée par les parties, non reproduite dans la présente décision, pour comprendre le raisonnement du conseil.

La défense s’est directement référée aux travaux parlementaires de la loi de 1987 pour comprendre la véritable finalité de cette sanction, telle que pensée par le législateur. Les travaux montrent ainsi que la règle de 1987, aujourd’hui codifiée à l’article L233-14, n’a pas été pensé comme un texte à finalité punitive mais bien à finalité régulatrice (des marchés) ; l’objectif étant de permettre à une société de réagir face à une prise de contrôle rampante et de permettre un certain rééquilibrage eu égard au « principe de loyauté dans les offres et contre offres » du droit des marchés financiers. Le texte n’aurait donc pas à être soumis au principe de l’article 8 de la déclaration de 1789.

Le conseil constitutionnel écarte donc les requêtes de la société Madag et déclare les dispositions en cause conformes à la constitution. Pour conclure, il peut être intéressant de se référer aux principes posés par la dernière directive transparence du 22 octobre 2013 [6] : ce texte constate en effet qu’un « régime harmonisé pour la notification de la détention de pourcentages importants de droits de vote (…) devrait améliorer la sécurité juridique, renforcer la transparence (…) ». Plus important encore, le texte souligne que « Les États membres devraient également pouvoir prévoir la suspension ou la possibilité de suspension de l’exercice des droits de vote des détenteurs d’actions et d’instruments financiers qui ne se conforment pas aux exigences de notification. Les États membres devraient pouvoir choisir de prévoir que la suspension des droits de vote ne s’applique que dans le cas des infractions les plus graves ». On voit donc que le mécanisme de sanction en cause est explicitement reconnu par le droit européen même si celui-ci laisse aux Etats une certaine marge de manœuvre quant à son application.

Alexis Mesnildrey

Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

 

Pour en savoir plus :

 

F. Martin Laprade, Conseil constitutionnel : la non déclaration d’un franchissement de seuil sanctionnée Option Finance, 24/02/2014


[1] Décision n°2013-369 QPC du 28 février 2014

[2] Cette obligation ne concernait à l’origine que les marchés règlementés au sens du code monétaire et financier, mais a été étendu aux marchés dits « non règlementés » en 2004.

[3] Article R233-1 du code de commerce

[4] Système multilatéral de négociation non organisé

[5] Audience publique à visionner sur le site du conseil constitutionnel.

[6] Directive 2013/50/UE du parlement européen et du conseil du 22 octobre 2013

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