Procédures collectives : la confidentialité face à la presse

Dans un arrêt du 15 décembre 2015, la Chambre commerciale, en s’appuyant sur l’article 10 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), a confirmé le principe selon lequel l’obligation de confidentialité des procédures collectives prévaut sur la liberté de la presse.

Pour estimer que les procédures collectives peuvent permettre une restriction de la liberté de la presse, la Cour s’est appuyée sur l’article 10 § 1 de la CESDH. Celui-ci dispose qu’il est possible d’apporter des restrictions à la liberté d’expression dans la mesure de ce qui est nécessaire dans une société démocratique pour protéger les droits d’autrui et empêcher la divulgation d’informations confidentielles, cette restriction s’appliquant indifféremment à la personne soumise à un devoir de confidentialité ou à un tiers.

 

Des restrictions à la liberté d’expression…

La liberté d’expression est prévue à l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lequel dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Le préambule de la Constitution de 1958 renvoyant à cette déclaration, cette liberté est ainsi constitutionnelle. Par ailleurs, il découle de l’article 10 de la CESDH que la liberté de la presse est une composante de la liberté d’expression.

Selon l’article 55 de la Constitution de 19581, la CESDH s’applique et est opposable à tous les États signataires de celle-ci. Ainsi, la France doit protéger et garantir la liberté de la presse, celle-ci ne pouvant faire l’objet de restrictions, sauf si cela est commandé par l’ordre public. En effet, pour être reconnue légitime, une restriction de la liberté d’expression doit être prévue et énoncée de manière claire et précise par la loi et motivée par la poursuite d’objectifs légitimes dans une société démocratique, par exemple, la nécessité d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles. Enfin, la restriction doit être réellement nécessaire et les mesures ou sanctions proportionnées au but.

 

… permises par l’objectif des procédures collectives

L’article L. 611-15 du Code de commerce dispose que « toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance, est tenue à la confidentialité ». Cette règle est d’ordre public. Aussi, la liberté d’informer le public doit-elle prévaloir sur la confidentialité des informations relatives à une société soumise à une procédure collective ?

L’intérêt de la procédure collective réside dans le fait que la société a une chance de survie. Il peut être procédé à un échelonnement voire à un effacement de tout ou partie de ses dettes, afin de poursuivre la pérennité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. Le but affiché d’une telle procédure est donc de protéger l’entreprise et de limiter les pertes qu’elle subit déjà.

Quel est l’intérêt de la confidentialité ? Pour rappel, la définition de la confidentialité est, selon l’Organisation internationale de normalisation, « le fait de s’assurer que l’information n’est accessible qu’à ceux dont l’accès est autorisé ». Dans le cadre d’une procédure collective, le fait de divulguer des informations sur l’entreprise ne pourrait ainsi que nuire à celle-ci qui, tentant de survivre, pourrait se faire fuir par des investisseurs découragés.

Mais le public n’a-t-il pas un intérêt à « savoir » ? La restriction apportée à la confidentialité des procédures collectives est-elle légitime ? Lorsqu’un investisseur décide d’investir dans une entreprise sous le joug d’une procédure collective, il connaît la situation globale de l’entreprise. Le fait d’en savoir plus pourrait le convaincre de ne pas investir. Dès lors, la sauvegarde ou le redressement judiciaire n’auraient plus d’utilité, il conviendrait de procéder directement à une liquidation puisqu’une entreprise en difficulté n’aurait, dès lors, aucune chance de survie.

Dans l’arrêt du 15 décembre 2015, il s’agissait d’un tiers qui divulguait des informations confidentielles. La Cour d’appel de Versailles(2) considérait qu’il n’était pas soumis stricto sensu à l’obligation de confidentialité découlant de l’article L. 611-15 du Code de commerce. Mais la Cour de cassation a considéré que, du fait que le tiers avait été appelé à la procédure collective, il avait connaissance d’informations confidentielles qu’il ne devait pas divulguer.

La Cour de cassation rappelle toutefois un tempérament « classique » à cette règle d’ordre public : l’information pourrait être divulguée dans le cas où elle présente un intérêt général et non plus le seul intérêt de l’entreprise en difficulté. Le but d’une telle décision est de rappeler la nécessité de protéger la vie des affaires. Si la liberté de la presse est fondamentale dans toute société démocratique, il est également nécessaire que cette même société garantisse la protection des personnes physiques et morales qui évoluent au sein de celle-ci. La presse doit et pourra toujours informer le public des questions relevant d’un intérêt général mais elle ne doit pas se servir de cette liberté pour divulguer des informations qui causeraient des préjudices certains à la vie des affaires et à la pérennité des entreprises en difficulté.

 

Charlotte POILLIOT

 

(1) Const., 4 oct. 1958, art. 55 : « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. ».

(2) CA Versailles, 27 nov. 2013.

 

Pour en savoir plus

Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation

Site Légifrance → Rubrique Jurisprudence judiciaireArrêt de la chambre commerciale du 15 décembre 2015.

Dossier complet sur Francis Lefebvre

Site Éditions Francis Lefebvre → RJDA → Mars 2016 → Décision n° 210 & Chronique p. 169.

 

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