L’Union européenne vers un avenir numérique : la création d’un marché unique numérique européen

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) s’ancrent de plus en plus dans notre quotidien. Le droit qui les encadre reste encore une matière récente, parfois fragile, devant faire face à une évolution technologique permanente. Depuis ces dernières années, la Commission européenne a pris l’initiative d’établir un projet numérique ambitieux, et prévoit pour fin 2016 la création d’un marché unique numérique européen. Au menu, plusieurs mesures et réformes portant sur des thèmes majeurs : le commerce électronique, les télécoms, les données personnelles et le droit d’auteur.  

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Conscientes de l’essor et de l’importance des NTIC, les institutions européennes ne se restreignent plus seulement aux sphères économique et monétaire. Elles s’attellent désormais à l’univers du numérique, « propice à la création d’emplois et à la croissance » [i] explique Andrus Ansip, vice-président pour le marché unique numérique, accompagné de Günther Oettinger, commissaire en charge du numérique, et de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne.

Le marché unique numérique européen comporte 16 actions réparties en trois objectifs : « améliorer l’accès aux biens et services numériques dans toute l’Europe pour les consommateurs et les entreprises », « créer un environnement propice au développement des réseaux et services numériques innovants et des conditions de concurrence équitables » et « maximiser le potentiel de croissance de l’économie numérique ».

En résumé, les maîtres-mots sont un meilleur accès, une concurrence plus équitable et le développement de l’économie numérique.

 

Améliorer l’accès aux biens et services numériques en Europe

La Commission européenne propose huit actions.

On retrouve en première ligne la volonté d’« harmoniser les règles de l’Union européenne concernant les contrats et la protection des consommateurs lors d’achats de biens physiques ou de contenus numériques ». Dans le même esprit, les services de livraison de colis devront être « plus efficaces et moins onéreux ».

Ces initiatives ne sont pourtant pas nouvelles. En effet, un premier pas avait été fait avec les dispositions de la directive européenne du 8 juin 2000 « sur le commerce électronique », donnant lieu à une transposition en droit français avec la loi du 21 juin 2004 « pour la confiance dans l’économie numérique ».

Par ce nouveau projet, la Commission européenne décide ainsi de renforcer ces mesures pour favoriser le commerce électronique, tout en encadrant les pratiques pour protéger les consommateurs, souvent parties faibles aux contrats de vente.

Une autre mesure phare concerne le géo-blocage, autrement dit le blocage géographique. Il permet d’« empêcher les consommateurs d’accéder à un site internet sur la base de leur localisation » et, souvent, ils seront redirigés vers un site de leur pays affichant des prix de vente différents. La Commission européenne décide d’y mettre un terme, considérant le système comme une « pratique discriminatoire injustifiée qui est utilisée pour des raisons commerciales ».

Le géo-blocage pose-t-il certaines barrières entre les consommateurs et les services ? Freine-t-il l’activité économique en Europe ? Ces problématiques se posent d’autant plus s’agissant du domaine audiovisuel. Les films, les séries, les chaînes de télévision font effectivement l’objet d’un géo-blocage important. Les responsables de l’Union européenne pointent du doigt ce dernier, estimant que la compétitivité des entreprises européennes se retrouve ainsi menacée face à celle des entreprises américaines, très présentes sur le marché.

La question du géo-blocage nous amène sur le terrain du droit des affaires, et plus précisément du droit de la concurrence. Parmi les points listés sur la feuille de route du projet, figure la volonté d’ouvrir une « enquête sur les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur du commerce électronique ».

Plusieurs grandes entreprises sont dans le collimateur de la Commission européenne, allant du domaine de l’habillement à celui de l’électronique. Margrethe Vestager, Commissaire européenne à la concurrence, défend fermement la mesure : « J’entends déterminer l’étendue de ces obstacles et leurs effets sur la concurrence et les consommateurs. S’ils s’avèrent préjudiciables à la concurrence, nous n’hésiterons pas à prendre des mesures coercitives en application des règles de concurrence de l’Union européenne ». Un rapport préliminaire est prévu courant 2016, et le rapport final au premier trimestre de 2017. [ii]

Le droit d’auteur est aussi au cœur du projet d’un marché unique numérique européen. Et c’est avant la fin de l’année 2015 que des propositions législatives devraient voir le jour, l’objectif étant de « réduire les disparités entre les régimes de droits d’auteur », mais aussi d’« élargir l’accès en ligne aux œuvres dans l’ensemble de l’Union européenne ». La Commission parle d’une « modernisation » du droit d’auteur, aujourd’hui codifié en France dans la première partie du Code de la propriété intellectuelle.

D’autre part, pour favoriser et aider les jeunes entreprises, le projet prévoit d’établir « un seuil de TVA commun » et de « réduire la charge administrative ». En effet, les barrières administrative et financière sont régulièrement à l’origine d’une réticence des entrepreneurs à se lancer dans la création d’entreprise.

 

Favoriser une concurrence plus équitable

La finalité est d’encourager le développement des réseaux en matière de télécommunications en Europe, mais aussi d’assurer des conditions de concurrence équitables.

Pour ce faire, la Commission européenne propose cinq actions.

En première page, on retrouve la volonté de « réviser la réglementation européenne des télécommunications », notamment concernant la gestion des fréquences et la mise en place de « critères communs pour l’assignation des fréquences à l’échelon national ». En la matière, un premier pas avait été fait avec le Paquet Télécom de 2002, révisé en 2009, dont les objectifs étaient entre autres d’« accélérer le développement du très haut débit » et de « réduire le fossé numérique entre zones rurales et zones urbaines ». [iii]

La Commission européenne propose également d’« analyser le rôle des plateformes en ligne ». Parmi ces dernières, figurent les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. À la une du projet : une meilleure « transparence des résultats de recherche et des politiques tarifaires », la question des informations et des données que ces plateformes recueillent, et le problème des contenus illicites.

Force est de constater que la multiplication des prestataires internet complique la tâche des juridictions. Lequel peut être qualifié de fournisseur ? D’hébergeur ? Sous quelles conditions ? Quel régime juridique est dès lors appliqué ? On se rappelle de l’affaire Google Adwords contre Louis Vuitton [iv] et de l’arrêt Dailymotion [v]. Un hébergeur, du fait de sa neutralité technique, n’est pas responsable du contenu qu’il véhicule ou qu’il stocke. Il n’engage sa responsabilité que s’il ne retire pas promptement le contenu effectivement illicite lorsqu’un tiers lui a notifié la présence de ce dernier [vi] [vii].

Néanmoins, l’arrêt dit « Google Spain » [viii] semble tempérer ce principe. Les moteurs de recherche, dont Google, sont considérés comme « responsables des traitements » de données personnelles opérés en Europe. Ainsi, il existe un « droit au déréférencement » [ix] permettant aux personnes de demander aux moteurs de recherche le déréférencement des liens apparaissant dans les résultats de recherche. Cette possibilité, pourtant encadrée par certaines conditions, est parfois sujette à des contournements. Par la suite, le système a donc fait l’objet de précisions et de lignes directrices établies par le G29 [x], lequel a souhaité une harmonisation de cette jurisprudence au niveau européen.

Là où la jurisprudence et les textes encadrent de plus en plus les prestataires internet classiques – hébergeurs et fournisseurs, sont appréhendés de nouveaux acteurs tels que les réseaux sociaux et les nouvelles plateformes hybrides, presque multifonctions, qui soulèvent des enjeux de taille comme celui de la protection de la vie privée.

La Commission européenne promet, d’ici le début de l’année 2016, l’adoption de nouvelles dispositions en matière de protection des données. Il s’agira d’une révision de la directive « Protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données » [xi], et d’une autre s’intitulant « Vie privée et communications électroniques » du 12 juillet 2002 [xii], modifiée en 2009, qui, à l’heure actuelle, concerne principalement la question des spams et des cookies. Cette directive a été transposée en droit français dans le cadre de la loi « pour la confiance dans l’économie numérique » du 21 juin 2004.

 

Développer l’économie numérique

L’univers de l’économie numérique possède à son actif un grand potentiel qui n’est pas suffisamment exploité, selon les responsables de l’Union européenne. La Commission propose alors trois actions.

Elle souhaite la « libre circulation des données dans l’Union européenne », et surtout « lever des restrictions souvent sans rapport avec la protection des données à caractère personnel ». L’objectif est de briser les barrières qui peuvent exister entre les pays membres, il reste toutefois à délimiter précisément lesdites restrictions.

Elle désire, d’autre part, « définir les priorités en matière de normes et d’interopérabilité » dans des domaines tels que « la santé en ligne, la planification des transports ou l’énergie (compteurs intelligents) ».

Enfin, la Commission souhaite « définir un nouveau plan d’action pour l’administration en ligne », qui prévoit de « connecter tous [les] registres du commerce dans toute l’Europe et l’interopérabilité des différents systèmes nationaux pour que les entreprises puissent communiquer leurs données une fois pour toutes aux administrations publiques ».

La France s’est d’ores et déjà attelée à ces questions de simplification et réduction de la charge administrative des entreprises, notamment avec le programme « Dites-le nous une fois » [xiii] lancé début mai par le gouvernement.

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Les 25 et 26 juin derniers, le projet d’un marché unique numérique européen était à l’ordre du jour du Conseil européen. Risqué du fait des modifications et réformes importantes concernant des sujets sensibles tels que les données personnelles, ce projet aux multiples facettes est aussi ambitieux et dense, mêlant droit européen, droit de la propriété intellectuelle, droit des NTIC, et droit de la concurrence.

Entre les réticences de quelques pays et celles des entreprises, le chemin vers l’unanimité semble alors bien loin. Toutefois, l’initiative et la volonté d’accompagner l’Union européenne vers un avenir numérique, regorgeant de perspectives et d’enjeux économiques, sociaux mais aussi juridiques, ne peuvent être que saluées et encouragées.

 

 

Rosalyne CHAPUIS

 

[i]  Communiqué de presse de la Commission européenne, « Un marché unique numérique pour l’Europe : la Commission définit 16 initiatives pour en faire une réalité », 6 mai 2015 (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-4919_fr.htm)

[ii] Communiqué de presse de la Commission européenne, « Pratiques anticoncurrentielles : la Commission ouvre une enquête sectorielle sur le commerce électronique », 6 mai 2015 (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-4921_fr.htm)

[iii] Ministère de la Culture et de la Communication, Textes et champ d’application du « Paquet Télécom » adopté en 2002 (http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Audiovisuel/Sous-Dossiers-thematiques/Paquet-telecom-et-Politique-du-spectre/Le-Paquet-Telecom2/I.-Textes-et-champ-d-application-du-Paquet-Telecom-adopte-en-2002)

[iv]  CJUE, 23 mars 2010, C-236/08

[v]   Cass. Civ. 1ère, 17 février 2011, décision n° 09-67896

[vi]  Article 6 de la loi du 21 juin 2004 « pour la confiance dans l’économie numérique » (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=JORFARTI000002457442&cidTexte=JORFTEXT000000801164)

[vii] http://www.senat.fr/rap/a02-351/a02-35110.html

[viii] CJUE, 13 mai 2014, C‑131/12

[ix] http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/Vos_libertes/Droit_au_dereferencement-Interpretation-Arret.pdf

[x]  http://ec.europa.eu/justice/data-protection/article-29/documentation/opinion-recommendation/files/2014/wp225_en.pdf

[xi]  Directive du 24 octobre 1995 « Protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données » (95/46/CE) (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31995L0046&from=FR)

[xii]  Directive du 12 juillet 2002 « Vie privée et communications électroniques » (2002/58/CE) (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32002L0058&from=FR)

[xiii]  Programme « Dites-le nous une fois » (http://www.modernisation.gouv.fr/les-services-publics-se-simplifient-et-innovent/par-des-simplifications-pour-les-entreprises/dites-le-nous-une-fois-un-programme-pour-simplifier-la-vie-des-entreprises)

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