Liberté d’entreprendre et marché intérieur de l’Union : une limitation de la libre prestation de service

Le 9 décembre 2013, un accord a été conclu à Bruxelles entre les 28 ministres du travail des Etats membres. Un compromis qui prévoit la mise en place d’une nouvelle directive concernant le détachement de travailleurs dans le cadre d’une prestation de services.

 

libcirculationLa libre circulation des travailleurs est un fondement de la libre prestation de service qui constitue l’un des piliers principaux du marché intérieur de l’Union Européenne. Ces libertés consacrées par les articles 56 et 57 du traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne n’étaient officiellement remise en cause par aucun membre du Conseil des Ministres. Cette position portée par la France avait néanmoins l’hostilité du Royaume-Uni ou encore de la Hongrie et de Malte, y voyant une remise en cause de la liberté de circulation des biens et des personnes nécessaires au développement d’une liberté d’entreprendre à l’échelle européenne.

Il est ainsi important de constater la place qui est faite à cette liberté d’entreprise au sein du paysage juridique de l’union (I), avant d’observer l’organisation de la libre prestation de service à l’intérieur du marché intérieur (II) pour constater les remises en cause et la portée d’un tel accord (III).

 

La Liberté d’entreprendre à Bruxelles

La liberté d’entreprise découle d’un échange entre les créations nationales, communautaires et conventionnelles. Elle fut consacrée en premier par l’article 16 de la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe en 1961.

Celle-ci reprenait une Jurisprudence de la Cour de Justice qui procédait alors à la fusion d’une liberté d’exercer une activité économique ou commerciale et des articles 4 § 1 et 2 du traité sur la Communauté Européenne traitant de l’exercice de la concurrence.

Ainsi si l’ancien article 52 du traité prévoyait dors et déjà des limites à l’article 4, ce dernier consacrait le principe de l’économie de marché auquel adhérait pleinement l’union communautaire et dont la liberté d’entreprise était le corrollaire.

Il s’agissait ainsi d’une liberté construite et consacrée par la superposition d’objectifs et de libertés.

Le Conseil Constitutionnel français marqua lui-même une hésitation quand à la portée d’une telle liberté. Ainsi, dans une décision du 16 janvier 19821 offrit-il une première formulation de cette liberté d’entreprendre qu’il rattacha à l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

 

Aussi, dans une décision rendue 7 années plus tard2, il formule que « la liberté d’entreprendre n’est ni générale, ni absolue ; qu’il est loisible au législateur d’y apporter des limitations exigées par l’intérêt général à la condition que celles-ci n’aient pas pour conséquence d’en dénaturer la portée », offrant une protection dite « minimaliste » à cette liberté.

 

Au fur et à mesures des années et influencé par les perspectives d’ouverture européenne, le Conseil s’autorise un renforcement de la protection, offrant une dernière formulation le 16 janvier 2001, considérant qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

Poursuivant sa démarche, la Cour de Justice en se fondant sur les droits fondamentaux, a défini la portée des garanties accordées au libre exercice du commerce, du travail et d’autres activités professionnelles.

C’est alors le Traité de Maastricht, rattachant à la Citoyenneté Européenne l’exercice des libertés de circulations et de prestation de service, qui consacre une avancée primordiale dans la protection de la liberté d’entreprendre et de ses composantes.

La Directive 2006-23, appelée directive service, traite ainsi à la fois de la libre prestation de service au sein de l’Union et de sa forme plus stable et durable : la liberté d’établissement.

 

Opérant une véritable codification de la jurisprudence de la Cour de Justice, la directive service établie une libéralisation du marché intérieur en consacrant les droits acquis des citoyens européens.

Ces droits, sont ainsi destinés à permettre l’exercice de leur liberté d’entreprise sans ingérence étatique, marqué notamment par le passage d’autorisations à de simples attestations.

Le projet de construction d’un véritable marché unique participe au renforcement de la protection de la liberté fondamentale d’entreprendre par le droit de l’Union. Une protection verticale qui se traduit par de nombreux recours en manquement exercés par la Commission à l’encontre d’Etats protectionnistes 3, ou encore par l’effet direct de normes européennes permettant d’écarter dès les juridictions nationales les textes étatiques contraires à l’exercice de cette liberté.

La libre prestation de services comme expression de la liberté d’entreprise

 La libre prestation de service peut-être définie comme la faculté qui est reconnue à tout ressortissant d’un état membre établi sur le territoire de l’UE d’offrir et de réaliser des prestations de service de manière temporaire sur le territoire d’un autre état membre ou sur son propre territoire auprès de ressortissants d’un autre état membre, au titre d’une activité économique indépendante.

Il s’agit de l’une des 4 grandes libertés de circulation. Ces quatre libertés ont été considérées par la Cour de Justice comme des libertés fondamentales dans l’arsenal juridique du droit de l’Union.

Pour la libre prestation de service, Bruxelles a depuis 1957 œuvré afin de mettre fin à ses restrictions. La première étape a été d’éliminer celles imposées par les réglementations nationales jusqu’à les interdire totalement. Cette interdiction a été posée pour la première fois par le traité d’Amsterdam et pourra être retrouvée à l’article 56 de la version consolidée du TFUE.

Il s’agit ici d’assurer une liberté sur l’ensemble du territoire européen et concerne des services de divers ordres : cela peut aller des services intellectuels aux services purement artisanaux.

Toutefois, cette liberté reste résiduelle et ne sera utilisée comme protection de la liberté d’entreprendre qu’après épuisement de toutes les autres libertés. Ainsi, l’arrêt Bordessa du 23 février 1995 de la Cour de Justice consacre ce principe en lui préférant la libre circulation des capitaux en cas de conflit de qualification dans les moyens de défense.

La directive service 4, négociée dés 2004, va aboutir à un compromis entre les membres du Conseil. Son article 16 §1 précise que les Etats doivent respecter le droit des prestataires de fournir des services dans un autre état membre de celui dans lequel ils sont établis. Les Etats doivent garantir le libre accès à l’activité de service ainsi que son libre exercice.

 

La directive n’autorise les réglementations nationales à poser des restrictions à cette liberté que sous couvert du respect par elles de 3 grands principes directeurs : la non discrimination, la nécessité et la proportionnalité.

préférence nationale et dumping social, vers une remise en cause du caractère absolu de cette liberté européenne

 Lors de l’élaboration de la directive service par la commission Prodi et le commissaire Bolkestein, l’on s’est appuyé sur le constat selon lequel les plus fortes restrictions apportées à la libre prestation de service venait de l’application des réglementations nationales du pays de destination du service.

Il a donc été trouvé une solution qui était simple mais également radicale : la seule réglementation désormais applicable serait celle du pays d’origine, soit celui du prestataire. Toutefois, notamment en matière sociale, des règles relatives au droit du travail restaient applicables.

Bien que la directive adoptée soit bien plus édulcorée, de nombreux montages ont vu le jour et ont permis l’apparition d’un dumping social, situation médiatiquement connu sous le titre de l’affaire du « plombier polonais ».

Ainsi comme le relevait Maîtres Place et Bloch, « le salarié détaché [dans le cadre d’une prestation de service] bénéficie des droit sociaux du pays hôte mais son régime de protection sociale continue à relever de son pays d’origine. En d’autres termes, le salarié détaché en France est payé au smic et doit se voir appliquer le Code du Travail mais son employeur demeure soumis aux cotisations sociales qui s’appliquent dans leur pays d’origine ». 

 

Un rapport d’information du Sénat5 indique ainsi une augmentation entre 2010 et 2013 de 30% de travailleurs détachés officiellement en France.

 

C’est afin de lutter contre la fraude et d’élargir les possibilités de restrictions à la libre prestation de service (articles 9 et 12) que le Conseil des 28 Ministres du travail a adopté un accord le 9 décembre 2013 à Bruxelles.

Fabien SCHAEFFER

1 Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982

2 Décision n° 89-254 DC du 4 juillet 1989

3 par ex : CJCE 29 octobre 98 Commission contre Espagne

4 Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

5 Rapport d´information du Sénat N° 527 du 18 avril 2013 en matière de détachement des travailleurs, par Éric Bocquet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.