Assistance médicale à la procréation sans tiers donneur : établissement de la filiation paternelle

Par une décision du 16 mars 2016[1], la Cour de cassation rappelle quelles sont les conséquences d’une assistance médicale à la procréation sans tiers donneur sur l’établissement de la filiation paternelle. Cette dernière ne pose pas de difficulté quant à l’exercice d’une action en recherche de paternité ainsi qu’à la preuve par tous moyens du lien de filiation.

Selon l’article L. 2141-1 du Code de la santé publique (CSP) l’assistance médicale à la procréation (AMP), appelée également procréation médicalement assistée (PMA), s’entend « des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle ».

Alors que se pose la question d’une future réforme du cadre légal de l’AMP avec notamment l’ouverture de cette procédure aux couples homosexuels féminins et aux femmes seules, cette décision de la Cour de cassation vient rouvrir les débats relatifs aux conditions du recours à l’AMP, dans un cadre général puis particulier, celui d’une AMP endogène.

Cette distinction entre AMP endogène et exogène, reprise par les juges du Quai de l’Horloge, est très classique. On parle d’AMP « endogène » ou « homologue », lorsque seuls les gamètes du couple sont utilisés. L’AMP est dite « exogène » ou « hétérologue » lorsqu’elle fait intervenir un tiers à travers un don de spermatozoïdes, d’ovocytes ou d’embryon (on parle de tiers donneur).

Ce droit est par ailleurs reconnu aux couples féminins en Belgique, en Espagne et aux Pays-Bas. En Angleterre, cette procédure est ouverte à toutes les femmes majeures, qu’elles soient mariées ou non, seules, en couple hétérosexuel ou bien homosexuel.

La décision :

Les faits ayant conduits les juges à statuer sur cette épineuse question sont les suivants : en février 2007, un enfant nait à la suite d’un processus de PMA endogène (avril 2006). La mère établit sans obstacle sa filiation à son égard. En 2013, elle décide d’agir en justice au nom de l’enfant afin d’obtenir l’établissement de la paternité à l’égard du père prétendu. A noter que le couple entretenait une relation sentimentale depuis 1997 mais qu’il ne constituait plus un couple depuis 1999. L’homme étant d’autre part marié et père de 3 enfants, il décide de ne pas reconnaitre l’enfant.

Les juges parisiens (CA Paris, 20 janvier 2015) constatent cette paternité. Cette décision est alors vivement contestée par l’homme qui se pourvoi en cassation.

Il argue d’une part, qu’une présomption de filiation est attachée à une AMP respectant les conditions légales, ainsi les juges du fond auraient violé les articles L.2141-1 et s. du CSP et 327 du Code civil (C.civ). Les juges ont refusé d’envisager que l’enfant avait pu naitre par procréation naturelle et d’étudier si les bénéficiaires de la PMA étaient ou non en dehors du cadre fixé par la loi (notamment la loi réservant la PMA aux cas d’infertilité du couple, et ce dernier devant au surplus être animé d’un projet parental et vivre ensemble).

D’autre part, la Cour aurait privé sa décision de base légale au regard des articles 311-19 et 311-20 du Code civil, qui précisent que le consentement donné à une PMA interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’en est pas issu ou que la communauté de vie ait cessé entre le couple quand il y a eu recours. Les juges n’ont pas recherché si l’enfant était issu de la PMA et si l’homme et la mère de l’enfant vivaient ensemble lorsque l’insémination a été pratiquée.

Par sa décision du 16 mars 2016, les juges de la Cour de Cassation rejettent le pourvoi.

Ils précisent dans un premier temps, que contrairement aux énonciations du moyen, les juges du fond ne se sont pas fondés sur une présomption de filiation. Ils ont retenu, à bon droit, que l’établissement judiciaire de la filiation à la suite d’une PMA sans tiers donneur obéissait aux règles générales édictées par les articles 327 et s. C.civ.

En effet, il n’existe pas à l’heure actuelle de règles particulières applicables à la filiation de l’enfant né à l’issu d’une PMA (endogène ou exogène), ce sont les règles de droit commun de la filiation qui s’appliquent. Il convient alors de distinguer qu’il s’agisse d’une naissance hors ou dans le cadre d’un mariage. S’agissant en l’espèce, d’une naissance hors du cadre du mariage, la filiation doit être établie par voie de reconnaissance (art. 327 C.civ) (alors que dans le cadre du mariage, la filiation paternelle est établie par le jeu de la présomption de paternité). Comme le rappellent en l’espèce les juges, la preuve de la paternité (c’est-à-dire ici que l’enfant est bien issu de la PMA et non d’une vérité biologique) peut être apportée par tous moyens (art. 310-3 al.2 C.civ).

Malgré les divergences doctrinales, on considère aujourd’hui que cette reconnaissance de filiation est une simple possibilité et non une obligation[2]. Ce point précis est notamment discutable dans le cadre de la PMA car ici le couple signe un « consentement en vue d’insémination artificielle du couple » en amont de la procédure. Ce document semble rendre de facto obligatoire la reconnaissance de l’enfant par le père. En ce sens, l’alinéa 4 de l’article 311-20 du Code civil précise que « Celui qui, après avoir consenti à l’assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l’enfant ». Ainsi, la reconnaissance de l’enfant est imposée dans le cadre d’une PMA, sa non-réalisation est source de responsabilité pour le père ou la mère.

Peu importe alors, qu’il s’agisse d’une PMA endogène ou exogène, le consentement de l’homme à la procédure médicale est suffisant pour établir la filiation paternelle ; l’enfant devant néanmoins être le fruit de ladite procédure, ce dont la preuve était bien rapportée en l’espèce au regard des différents certificats médicaux. Le demandeur n’a pas pu prouver que le processus de PMA n’avait pas engendré la grossesse, et qu’il pouvait y avoir d’autres causes possibles de grossesse.

Dans un second temps, les juges de la Cour de cassation précisent que la Cour d’appel a exactement rappelé, par motifs adoptés, que les dispositions des articles 311-19 et 311-20 du Code civil n’étaient pas applicables à l’action en établissement judiciaire de la filiation à la suite d’une PMA sans tiers donneur, ces textes ne régissant que les PMA avec tiers donneur.

En effet, on remarque à la lecture de ces deux articles que leur mise en œuvre est bien conditionnée par l’intervention d’un tiers donneur.

L’article 311-19 C.civ précise qu’ « En cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation. Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur. »

Et l’article 311-20 al. 1 et 2 C.civ de poursuivre que « Les époux ou les concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, doivent préalablement donner, dans des conditions garantissant le secret, leur consentement au juge ou au notaire, qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation. Le consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet ».

La lettre du texte est sans appel, cette disposition ne concerne pas la PMA endogène, ce qui était le cas en l’espèce. Elle est donc à juste titre non applicable. C’est bien toute l’argumentation du demandeur qui tombe. Il ne peut contester la filiation établie de manière spontanée au motif d’une absence d’infertilité du couple (art. L.2141-2 al.2 CSP) et de l’absence de projet parental (art. L.2141-2 al.1 CSP) et la cessation de vie commune (art. L.2141-2 al.3). On déplore que les juges ne se soient pas prononcés plus spécifiquement sur ces conditions d’ordre médical et surtout social qui permettent d’écarter la présomption de filiation en cas de PMA[3]. Ces arguments du demandeur sont rejetés par les juges sans même être discutés.

In fine, ceux qui consentent à la PMA, qu’ils soient bénéficiaires ou non d’un don de gamètes ou d’ovocytes, sont automatiquement les parents désignés de l’enfant. Ici les juges font tout simplement un rappel à la loi. Les choses auraient été différentes, si le demandeur avait été un tiers donneur. Les articles 311-19 et 311-20 C.civ auraient pu jouer. En l’espèce, le demandeur, malgré le fait qu’il ne soit plus en couple avec la mère de l’enfant, n’ayant pas de projet parental avec elle, et étant marié et père de 3 enfants avec une autre femme, ne peut prétendre être un tiers donneur, ayant donné lui-même son consentement au projet initial de PMA.

Et après ?

L’article L.2141-2 CSP prévoit en effet que « Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons […] la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation.

Et l’article 311-20 al 2 et 3 C.civ de préciser que « Le consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet. Le consentement est privé d’effet en cas de décès, de dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou de cessation de la communauté de vie, survenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée. Il est également privé d’effet lorsque l’homme ou la femme le révoque, par écrit et avant la réalisation de la procréation médicalement assistée, auprès du médecin chargé de mettre en œuvre cette assistance ».

Même dans le cadre d’une PMA exogène, il semble difficile qu’un demandeur remette en cause sa filiation alors que lui-même aurait omis de révoquer par écrit son consentement à la PMA ou de signaler au médecin chargé de la PMA la cession de la communauté de vie. Une telle faute d’un demandeur ne pourrait pas remettre en cause l’établissement de la filiation. Car seule subsisterait une faute du médecin et des équipes pratiquant la PMA, leur responsabilité pouvant probablement être engagée. Ils n’auraient pas alors mené une enquête assez minutieuse, trop superficielle.

En effet, le pouvoir de contrôle de ces conditions d’ordre social est entièrement dévolu aux praticiens. Le législateur a attribué aux médecins le pouvoir de contrôler, l’existence et le maintien d’une communauté de vie d’au moins deux ans au sein du couple demandeur[4]. Ce pouvoir est partagé entre les membres de l’équipe pluridisciplinaire et le médecin chargé de la procédure. Ainsi, la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation doit être précédée d’entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire du centre, qui peut faire appel, en tant que de besoin, au service social institué au titre VI du code de la famille et de l’aide sociale (Art. L2141-10 CSP). Cette appréciation semble bien au-delà des compétences d’un praticien. Comment un simple médecin pourrait évaluer si un couple maintient une vie commune depuis au moins deux ans. Certes les demandeurs apporteront des preuves en ce sens par témoignages ou autres mais personne n’ira en vérifier la véracité ou n’ira au-delà. L’appel au service social n’étant qu’une possibilité et non une obligation. Cette sollicitation semble rare en pratique. Elle alourdit la procédure pour les autorités médicales, qui sont avant tout des spécialistes de santé dont la mission est d’exercer la médecine, et non d’apprécier juridiquement des preuves. Un tel contrôle, pour qu’il soit de qualité, mériterait d’être effectué de manière automatique par les autorités administratives.

La législation relative aux conditions de la PMA date de la loi bioéthique de 2004[5]. Une telle réforme emporterait de nombreux enjeux : la question de la filiation de l’enfant issu d’une PMA à l’étranger, dans un couple de femmes, plus loin le débat autour des mères porteuses (gestation pour autrui), l’insémination post-mortem…Une adaptation de ce droit vers un modèle plus complexe et moins idéologique de l’AMP, afin de répondre à l’évolution récente de notre société, semble nécessaire[6].

Elodie GUILBAUD

[1] Cass. 1re civ., 16 mars 2016, n°15-13427

[2] François Viney, « Retour sur l’établissement de la filiation après une procréation médicalement assistée », Recueil Dalloz 2016, p.977

[3] Maîté Saulier, « Assistance médicale à la procréation endogène ou exogène : quand la filiation dépend du mode de conception », note sous arrêt : Cour de Cassation, 1ère civ., 16 mars 2016, n°15.13-427, AJ Famille 2016 p.212

[4] Article L.2141-2 al.1 CSP : « L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination »

[5] Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, JORF n°182 du 7 août 2004 page 14040

[6] Bahar Soleimani, « Filiation de l’enfant issu d’une PMA dans un couple de femmes : « fraude à la loi » ou déni de réalité du législateur ? », village-justice.com, mis en ligne le 1er juin 2016

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