Dossier médical partagé:les premiers vrais pas

C’est par le décret du 4 juillet 2016 (1) que le dossier médical partagé (DMP) fait ses premiers (vrais) pas et signe l’avènement d’un véritable parcours de soin coordonné du patient. En effet, grâce au DMP, les professionnels de santé ont accès à l’historique médical du patient. Ceci assure notamment la prévention de la multiplication des prescriptions inutiles voire dangereuses et participe à la bonne gestion des dépenses de santé.

L’histoire mouvementée du DMP

Le DMP désigne le dossier médical informatisé ayant vocation à faire bénéficier aux patients du meilleur niveau de santé possible en assurant la coordination, la qualité et la continuité des soins. Celui-ci permet aux professionnels de santé d’inscrire et de partager avec les autres professionnels de santé, l’ensemble des informations relatives au patient, constituant « l’historique médical » de celui-ci.

La loi du 13 août 2004

Son histoire débute avec l’article 3 de la loi du 13 août 2004 (2) qui a suscité de vives critiques du fait qu’il subordonnait le niveau de prise en charge par la sécurité sociale des actes et des prestations de soins à la création du DMP. Autrement dit, le patient qui refusait la création de ce dossier était pénalisé et se voyait appliquer un taux de remboursement inférieur. Cette disposition était donc implicitement contraignante pour le patient. Toutefois, le Conseil Constitutionnel (3), dans son contrôle exercé a priori, a estimé que le législateur avait opéré une conciliation qui n’était pas manifestement disproportionnée, eu égard aux finalités de la loi : l’amélioration de la qualité des soins et la réduction du déséquilibre financier de l’assurance maladie. Le DMP ainsi créé n’était donc pas contraire à la Constitution et ne violait ni le droit au respect de la vie privée ni les dispositions relatives au droit à la protection sociale constitutionnellement garantis par l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946.

La loi du 21 juillet 2009

Son histoire se poursuit avec la loi HPST du 21 juillet 2009 (4) qui modifie les dispositions relatives au DMP. Celui-ci est désormais intégré au Code de la santé publique (5) (CSP) et non plus au Code de la sécurité sociale. Par ailleurs, l’assuré qui n’autorise pas le professionnel de santé à accéder à son DMP n’est plus sanctionné par une baisse du niveau de prise en charge des actes et prestations de soins. Toutefois, son application était subordonnée à la parution de décrets pris en Conseil d’Etat dont l’absence a empêché l’application de ces dispositions.

La loi du 26 janvier 2016

C’est donc avec la loi santé du 26 janvier 2016 et surtout (et enfin) avec le décret d’application du 4 juillet 2016, que le DMP fait son grand retour et peut désormais faire ses vrais débuts en tant que « dossier médical numérique destiné à favoriser la prévention, la qualité, la continuité et la prise en charge des soins » (6).

Un outil de gestion au service des patients

Le DMP s’impose comme un véritable outil de gestion du parcours de soin du patient particulièrement utile pour la coordination de son parcours à travers la diffusion de l’information entre les professionnels de santé. Le DMP témoigne par ailleurs d’une véritable volonté de placer le patient au cœur de la maitrise de son parcours de soin.

De nombreux droits pour les bénéficiaires du DMP

En tant que titulaire du dossier, celui-ci a la possibilité d’y accéder (7) ainsi que de procéder lui-même ou de demander aux professionnels de santé ou à la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) de rectifier des informations (8). Il peut par ailleurs en demander la clôture (9) (entrainant son archivage durant 10 ans). Egalement, le patient peut décider « que des informations le concernant contenues dans son dossier médical partagé ne soient pas accessibles aux professionnels de santé autorisés à accéder à son dossier» (10). Ainsi, le patient dispose de la totale maîtrise de son dossier médical et est le seul à pouvoir autoriser les professionnels de santé à y accéder et à déterminer le contenu auquel ils ont accès.

Plus concrètement, le DMP est créé pour tout bénéficiaire de l’assurance maladie sous condition de recueil du consentement du patient ou de son représentant légal. Celui-ci ou son représentant légal en est le titulaire tandis que la CNAMTS est considérée comme responsable de traitement (11). Ceci implique qu’elle doit s’assurer du respect des dispositions de la loi informatique et libertés (12) à savoir notamment la sécurité, la fiabilité, la pérennité des données, le respect des obligations d’information et de consentement, la détermination et la sécurisation des accès etc.

Un enjeu important: la protection des données personnelles

Etant des données de santé, celles-ci sont considérées comme sensibles et requièrent un haut niveau de protection. Il s’agit de les protéger afin d’assurer notamment le respect de la vie privée et du secret médical. En effet, la détention de ces informations par des tiers tels que des assureurs pourraient avoir des conséquences nuisibles comme des hausses injustifiées des primes d’assurances. Afin d’assurer la protection des données, l’hébergement des données de santé doit donc s’effectuer auprès d’un hébergeur agréé à cet effet (13).

Les professionnels de santé, eux, ont accès au DMP par voie électronique depuis un site internet ou un logiciel. Celui-ci contient les données relatives au bénéficiaire de l’assurance maladie et aux actes et prestations de soins effectuées. Il est alimenté de manière constante par les professionnels de santé « le jour de la consultation, de l’examen ou de son résultat et au plus tard le jour de la sortie du patient après une hospitalisation ». Par ailleurs, le DMP contient les données relatives à la dispensation des médicaments contenues dans le dossier pharmaceutique, aux directives anticipées, à la personne de confiance, au don d’organe, ainsi que la liste des professionnels autorisés à accéder au DMP etc (14).

Un outil à la réussite incertaine

Nous l’avons vu, le DMP a mis longtemps avant de voir le jour et il est légitime de se demander quelles en sont les raisons. En comparaison, le dossier pharmaceutique a été mis en place très rapidement car impulsé par les pharmaciens. Plusieurs explications peuvent être avancées.

Les échecs du passé

Tout d’abord, le DMP est un projet émanant d’une volonté politique et surtout budgétaire car destiné à réduire les dépenses de la sécurité sociale en évitant notamment la répétition des actes inutiles notamment. Si cet objectif est louable, il aurait fallu rechercher une véritable adhésion des professionnels de santé. L’histoire a en effet montré que les relations entre les professionnels de santé et l’Etat sont conflictuelles. Ces derniers tenant à leur indépendance, la réussite d’une réforme dans le champ médical est conditionnée par l’adhésion des professionnels de santé au projet, faute de quoi une véritable résistance s’établit. Beaucoup de professionnels critiquent donc cet outil par lequel n’importe quel autre médecin peut avoir accès aux prescriptions qui ont été faites.

Par ailleurs, ce projet s’est heurté à la question de la protection des données personnelles. Le décret relatif à l’hébergement des données de santé est intervenu en 2006, soit deux ans après la création du dossier médical personnel. On aurait pu penser qu’à ce moment, le DMP aurait pu prendre son envol. Toutefois, les investissements nécessaires n’ont pas été pris.

Avec la loi de 2009, le dossier ne devient plus obligatoire mais simplement facultatif et les remboursements ne sont plus conditionnés à la création et l’alimentation de ce dossier. Les professionnels de santé n’étant pas favorable à ce projet, il n’en a pas fallu plus pour mener celui-ci à son échec.

Les incertitudes du futur

Mais voilà qu’aujourd’hui, le DMP est remis au goût du jour. Répondra-t-il à ce que l’on attend de lui depuis plus de quinze ans ? L’idée est plaisante. Grâce à lui, il en serait fini du temps où il fallait répéter aux différents professionnels de santé tout son historique médical, au risque d’en oublier une bonne partie et de se retrouver dans une situation risquée (au moins avec les professionnels dont nous avons préalablement autorisé l’accès !).

Pour autant, le DMP tel que prévu comporte toujours des imperfections. Il reste facultatif alors que l’objectif de coordination des soins voudrait que celui-ci soit généralisé. Par ailleurs, une très grande protection des données personnelles a été mise en place. Si cela procède de la volonté de respecter les droits des patients une question se pose : si les patients ont la possibilité de déterminer le contenu du dossier ainsi que les professionnels de santé y ayant accès, quelle est donc la garantie d’une véritable efficacité des soins ?

Par ailleurs, il s’agit d’un outil complémentaire au dossier médical déjà existant et qui « ne se substitue pas au dossier que tient chaque établissement de santé ou chaque professionnel de santé, quel que soit son mode d’exercice, dans le cadre de la prise en charge d’un patient » (15). Le DMP peut donc également apparaître comme un instrument de complexité supplémentaire à une époque où les médecins déplorent la multiplication des tâches administratives.

Le DMP fait enfin ses (vrais) premiers pas et ceci, au plus grand bénéfice du patient qui en est le titulaire et le décideur. Il n’est pas certain toutefois que les professionnels de santé adhèrent au projet, condition sine qua non à la réussite du DMP. Faudra-t-il mettre en place une incitation financière ? Cette question reste en suspens …

Laura CHEVREAU

(1) Décret n°2016-914 du 4 juillet 2016, relatif au dossier médical partagé
(2) Article 3 de la loi n°2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie
(3) Décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004
(4) Article 50 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
(5) Article L. 1111-14 du CSP
(6) Article R.1111-26 du CSP
(7) Article R.1111-35 du CSP
(8) Article R.1111-37 du CSP
(9) Article R.1111-32 du CSP
(10) Article R.1111-38 du CSP
(11) Le responsable de traitement est défini par l’article 2 du Règlement(UE) 2016-679 du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, comme « la personne physique ou morale, l’autorité́ publique, le service ou un autre organisme qui, seul ou conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens du traitement
(12) Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés
(13) Article L. 1111-8 du CSP
(14) Article R.1111-30 du CSP
(15) Article R. 1111-28 du CSP

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