Autorisation du téléphone portable en prison : le débat politique doit être lancé

L’arrêt Canali c/ France rendu le 25 avril 2013 par la Cour européenne des droits de l’Homme se fait l’écho de la perpétuelle problématique des conditions de détention au sein des prisons françaises. La Cour a ainsi considéré que la promiscuité entre détenus, combinée avec la durée du séjour en cellule et la vétusté des locaux engendraient une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, justifiant ainsi une condamnation de la France.

Mais, la Cour européenne pourrait également à l’avenir se fonder sur l’article 8 de la Convention, protégeant la vie privée et familiale, afin de statuer sur une problématique sous-jacente aux conditions de détention : l’isolement des détenus et la possibilité de détenir un téléphone portable pour les personnes privées de liberté.

1- L’impulsion du Contrôleur général des lieux de privation de liberté

En effet, l’un des moyens de remédier légitimement à cet isolement serait d’autoriser l’utilisation du téléphone portable en prison.

Interrogée sur ce point par France Inter, le 17 juillet 2014, la nouvelle Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, rappelait que le maintien des liens familiaux des détenus est l’une des conditions de la prévention de la récidive. Elle indiquait que le questionnement concernant l’autorisation du téléphone portable en prison serait repris lors de son mandat, dans la continuité du débat entrepris par son prédécesseur, Jean-Marie Delarue.

Selon Adeline Hazan, l’autorisation du téléphone portable en prison, sous réserve d’une limitation des numéros joignables -ceux destinés au maintien des liens familiaux- permettrait aux détenus de ne pas rompre totalement avec leur environnement extérieur et ainsi préparer au mieux leur réinsertion, par là prévenir le risque de récidive.

2- Les insuffisances de la téléphonie fixe en détention

Certes, les détenus ne sont pas privés de tout droit de téléphonie durant leur temps de détention, puisqu’il leur est possible d’utiliser les cabines de téléphonie fixe, sous réserve notamment de l’utilisation limitative de numéros contrôlés, la conversation pouvant être écoutée par l’Administration pénitentiaire.

Cependant, l’avis  du 10 janvier 2011 rendu par Jean-Marie Delarue -alors Contrôleur général– mettait en exergue les difficultés majeures de l’utilisation des téléphones fixes en prison.

D’une part, la localisation des cabines téléphoniques ne permettent pas une confidentialité satisfaisante vis à vis des autres détenus et du personnel pénitentiaire. Le respect du droit à la vie privée, de même que de la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client sont rendus ineffectifs par le positionnement des cabines, dans les cours de promenade ou dans les coursives de l’établissement, libres d’accès à de nombreuses oreilles.

Le Conseil d’Etat a d’ailleurs confirmé, dans un arrêt du 23 juillet 2014[1], l’ordonnance du Juge des référés du Tribunal administratif de Rennes du 23 avril 2014 ayant enjoint à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures pour garantir la confidentialité des appels téléphoniques passés par les détenus du centre pénitentiaire de Rennes-Vezin avec leur avocat quelles qu’en soient les circonstances ou avec leur famille lorsqu’ils justifient du besoin de ne pas être écoutés. L’ordonnance à l’origine de l’arrêt se fondait notamment sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le respect de la vie privée et familiale et des correspondances.

D’autre part, les conditions d’utilisation des cabines téléphoniques affaiblissent l’effectivité du maintien des relations familiales. En effet, l’avis du 10 janvier 2011 relève que dans la totalité des établissements pénitentiaires, le téléphone n’est plus accessible après 17h30, d’où l’impossibilité de joindre les personnes occupant un emploi, ou ne rentrant à leur domicile qu’après cette heure.

La téléphonie fixe en prison pose aussi problème en ce qui concerne son coût conséquent à l’heure où les forfaits de téléphonie mobile se vendent à des prix très abordables.

Enfin, les logiciels de téléphonie actuellement installés ne prennent pas en compte les numéros utilisés par de nombreux organismes de service, notamment d’emploi ou de crédit, qui nécessitent le préfixe 0800 et l’utilisation des touches du clavier téléphonique. Dès lors, les démarches en vue d’une réinsertion socio-professionnelle sont compliquées, ceci étant une donnée non négligeable au vu de la surcharge de travail actuelle que subissent les SPIP.

3- La nécessité d’une réflexion politique

Si le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a d’ores et déjà eu un rôle d’impulsion quant à la réflexion sur l’autorisation du téléphone portable en prison, celle-ci doit être menée à un niveau décisionnel effectif.

En effet, le Contrôleur général n’a qu’un pouvoir de recommandation. Jean-Marie Delarue s’est dores et déjà positionné en faveur de l’autorisation du téléphone portable en détention et en a exposé les arguments dans son  avis établi en 2011. Il en a de même exposé les buts : remédier à l’isolement du détenu en lui permettant de garder un contact familial dans des conditions satisfaisantes de confidentialité, préparer au mieux sa défense en établissant un contact strictement confidentiel avec son avocat, faciliter ses démarches quant à la recherche d’emploi et à sa réinsertion.

Ces buts sont éminemment convergents avec ceux d’une politique pénale mesurée et œuvrant pour l’ordre public en se concentrant davantage sur la réinsertion et la prévention que sur la seule répression. Ils vont a fortiori de pair avec la politique pénale mise en œuvre par la Garde des Sceaux actuellement en fonction.

C’est pourquoi la réflexion sur l’usage des téléphones portables en prison mérite d’être menée au plus proche du pouvoir décisionnel, avec les moyens financiers et humains qu’offriraient une discussion parlementaire, bénéficiant des travaux réalisés en amont par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

La discussion politique engendrant la diffusion médiatique, eu égard au caractère clivant des conditions de détention et de la répression de la délinquance, le débat portant sur l’autorisation du téléphone portable en détention aura le mérite de confronter l’opinion publique à ces idées nouvelles et peut-être de la sensibiliser davantage aux enjeux des conditions de détention en France.

4- Les voix qui ne répondent pas à l’appel

L’autorisation du téléphone portable en détention ne ravit pas toutes les oreilles. Interviewé par Le Figaro, Jérôme Massip, secrétaire général du syndicat SPS du personnel pénitentiaire non gradé, déclarait que « Cette solution est davantage préconisée dans un souci d’économie au lieu de vouloir lutter efficacement contre ce fléau[2] ».

Il est vrai que la traque des téléphones portables par les gardiens de prison est une entreprise coûteuse en terme de moyens humains. Jean-Marie Delarue en tenait pour constat que, par exemple, près de 900 téléphones portables seraient saisis chaque année à la prison des Baumettes. Lors de son intervention devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale le 12 février 2014, il déclarait que « nous épuisons les personnels à la recherche de téléphones portables ».

Le Président de l’Union Syndicale des Magistrats, Christophe Régnard, réagissait en ces termes à la question : « J’ai l’impression que dans la mesure où l’on ne parvient pas à éradiquer l’infraction commise, on l’autorise[3] ».  Celui-ci rappelait au Nouvel Observateur que si la facilitation des contacts entre les détenus et leurs familles est légitime, l’autorisation du téléphone portable favoriserait la concertation entre le détenu et ses éventuels complices.

Car c’est là le cœur de l’argumentaire des opposants à l’autorisation du téléphone portable en détention : les détournements néfastes de l’utilisation du téléphone portable par les détenus, notamment la gestion des trafics avec l’extérieur ou entre détenus, la concertation avec les complices ou des pressions sur les victimes et témoins.

C’est pour répondre à ces arguments que l’autorisation du téléphone portable devra être agrémentée de garanties destinées à pallier ces difficultés, en rappelant que l’on ne saurait affirmer qu’une majorité de détenus adopterait des comportements étrangers au contact familial.

5- Quels encadrements pour l’autorisation du téléphone portable en prison ?

La question de l’autorisation du téléphone portable en prison, comme tout débat de société, ne se résoudra pas sans assurer des garanties promptes à prendre en compte les arguments hostiles à celle-ci. Ces garanties seraient destinées à contrecarrer les inconvénients qui résulteraient d’une telle autorisation.

A l’occasion de son interview sur France Inter, Adeline Hazan avait déclaré que l’autorisation du téléphone portable en prison serait possible, sous réserve qu’une liste limitative de numéros joignables soit fixée pour chaque détenu.

On pourrait alors imaginer que cette liste serait contrôlée par l’Administration pénitentiaire, afin de mettre à mal les tentatives de déstabilisation des témoins ou de trafic, et susceptible de modifications en fonction des besoins justifiés du détenu.

A l’heure du tout Internet, où la plupart des téléphones permettent l’accès au Web, la question du degré de technologie du téléphone portable serait alors en question. Dans un premier temps, il serait préférable de délivrer à chaque détenu un téléphone identique ne permettant pas d’accès à Internet, qui serait en revanche favorisé de manière parallèle dans un cadre autonome et contrôlé au sein des prisons. En effet, le bien-être des détenus ne doit pas faire oublier totalement l’impératif de sécurité qui serait mis à mal par la possibilité d’enregistrer et de diffuser à grande échelle des images des établissements, du personnel, ou des autres détenus, de même que de communiquer et de recevoir des informations de manière difficilement contrôlable par le biais de forums ou sites Internet.

La durée des appels et le nombre de SMS envoyés serait également limité afin de faciliter un éventuel contrôle des conversations, hormis les échanges avec les avocats. Le coût du forfait ainsi délimité et identique pour tous les détenus devra, dans la mesure du possible, coïncider avec le faible coût de ceux qui sont proposés à l’extérieur, afin de ne pas priver de toute effectivité cette mesure et de ne pas favoriser uniquement les plus aisés.

Jacques Dick

Elève-Avocat

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