Valoriser le domaine public immatériel : les fréquences hertziennes

Le nouvel article L. 2125-10 du code général de la propriété des personnes publiques, créé par la loi du 7 octobre 2016, définit les éléments pris en compte dans le calcul des redevances des fréquences hertziennes. Un exemple pour mieux valoriser le domaine public immatériel ?

La recherche de nouvelles sources de financement est un enjeu important dans un contexte de dépenses publiques contraintes. Le domaine public immatériel fait partie de ces nouvelles sources en voie d’exploitation, notamment via les fréquences hertziennes, une de ses composantes.

Un domaine public conçu pour être valorisé

Issu de la loi du 30 septembre 1986 [1], le domaine public hertzien est une création récente du législateur. Soumettre les fréquences radioélectriques à un tel régime répondait à une préoccupation majeure : contrôler l’utilisation de ces bandes de fréquences dans un contexte de développement massif de leur usage et ce, alors qu’elles ne sont disponibles qu’en quantité limitée, sur une certaine durée, pour un nombre restreint d’utilisateurs, avec des caractéristiques différentes de propagation et de couverture géographique.

Si cette préoccupation est toujours présente – en témoigne le fait que 3/5e des fréquences sont toujours réservés à l’usage direct des administrations de l’État – il est vite apparu qu’il était possible d’en tirer profit au regard de leurs multiples usages. Ainsi, la loi du 17 janvier 1989 a considéré que « l’utilisation, par les titulaires d’autorisation, de fréquences radioélectriques, constitue un mode d’occupation privatif du domaine public de l’État » [2], soumettant par principe l’usage de ces fréquences à autorisation administrative préalable et au paiement d’une redevance.

Dès lors, la gestion du domaine hertzien a été confiée à l’Agence nationale des fréquences radioélectriques chargée de gérer les affectations. Toutefois, certaines bandes de fréquences sont réservées aux activités audiovisuelles et aux communications électroniques. Dans ces deux cas, la gestion incombe au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Si les premières sont soumises au respect d’une contrepartie non financière, les secondes, au cœur de ce nouveau dispositif, impliquent le paiement d’une redevance financière.

Le juste prix de la valorisation économique

Au-delà de sa compétence en la matière [3], l’intervention du législateur procède d’une nécessité. Depuis un décret du 24 octobre 2007, la redevance payée par les opérateurs de communications électroniques pour l’usage de ces fréquences se compose de deux redevances annuelles. Une redevance de gestion des fréquences et des autorisations, destinée à couvrir les coûts exposés par l’État, et une redevance de mise à disposition et de gestion des fréquences.

Or, à la suite d’un arrêt Société Bouygues Telecom, rendu par le Conseil d’État le 29 décembre 2014 (n°368773), le juge administratif a annulé un décret du 22 mars 2013 prévoyant une augmentation de la redevance pour tenir compte de la levée de restrictions technologiques à l’usage d’une fréquence, au motif qu’une telle évolution de la redevance ne tient plus parfaitement compte des coûts et des conditions d’utilisation.

Face à cette décision, le nouvel article L. 2125-10 du CG3P dispose que deux éléments doivent être pris en compte dans le calcul de la redevance. D’une part, elle doit être calculée selon le critère classique des avantages, de toute nature, procurés au titulaire de l’autorisation [4], incluant les conditions d’exploitation comme perspectives de rentabilité de l’occupation domaniale. [5]

D’autre part, l’article introduit la prise en compte de l’objectif d’utilisation et de gestion efficaces des fréquences radioélectriques. Les travaux parlementaires révèlent que cet objectif correspond à celui de « couvrir le plus vite possible le territoire avec les technologies les plus modernes » tout en indexant le montant de la redevance sur le comportement vertueux de l’opérateur. [6]

Les limites de la valorisation économique

L’enjeu économique de la valorisation de ce domaine public est fort : en 2011, la cession de licences sur la bande 2,6 GHz a engendré 0,93 milliard d’euros de recettes ; en 2012, celle sur la bande 800 MHz a donné lieu à un produit global de 2,63 milliards d’euros. [7]

Pour autant, la valorisation économique peut se heurter à des problèmes techniques ou politiques. C’est pourquoi sont exclus du champ de la redevance les fréquences libres, qui n’ont pas été spécifiquement assignées à un utilisateur, ou celles employées à des fins exclusivement expérimentales.

Enfin, si cette disposition témoigne d’une évolution de la conception de la redevance, autour d’objectifs de meilleure gestion du domaine, l’intégration de ce nouveau critère n’est pas exempte de difficultés juridiques. Ainsi, dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a rappelé que « le niveau de ces redevances doit demeurer fondé, à titre principal, sur la valeur intrinsèque du patrimoine hertzien et des avantages procurés au titulaire d’une autorisation d’occupation », sans donc en modifier sa structure.

Pour en savoir plus

Michael Rigollot

[1] Codifiée à l’art. L. 2111-17 du code général de la propriété des personnes publiques
[2] Art. L. 2124-26 du code général de la propriété des personnes publiques et art. L. 41-1 du code des postes et des communications électroniques
[3] CE, 189191, 21 mars 2003, SIPPEREC
[4] Art. L. 2125-1 et L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques
[5] CE, 05969, 7 mai 1980, S.A. « Les marines de Cogolin »
[6] Avis de la Commission des activités économiques de l’Assemblée Nationale sur le projet de loi, 13 janvier 2016, p. 37
[7] Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2014 sur la gestion et valorisation des ressources tirées de l’utilisation du spectre hertzien

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