Le harcèlement moral au sein de l’entreprise : conditions d’exonération de la responsabilité de l’employeur

Le 1er juin 2016[1], la Chambre sociale de la Cour de cassation a estimé que l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévue à l’article L. 4121-1 et L.4121-2 du Code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser, est exonéré de sa responsabilité en matière de harcèlement moral.

L’extension de l’obligation de sécurité de l’employeur : une protection renforcée des salariés

Dans les années 2000, la Chambre sociale de la Cour de cassation a connu plusieurs bouleversements relatifs à l’obligation de sécurité des employeurs vis-à-vis de leurs salariés. Le drame des affaires liées à l’amiante en a été l’élément déclencheur.

En l’espèce, une grande série d’affaires, toutes successives à des maladies professionnelles dues à une contamination par l’amiante, ont donné lieu à des demandes d’indemnisation par les victimes. La Chambre sociale s’est emparée du contentieux et a rendu un arrêt célèbre, voire même révolutionnaire dans le domaine des maladies professionnelles, élargissant davantage le champ de la responsabilité de l’employeur notamment suite à une nouvelle définition de la faute inexcusable posée par les arrêts du 28 février 2002[2] rendant sa reconnaissance, autrefois difficile, désormais quasi-systématique. Le résultat d’une telle décision ne s’est pas fait attendre puisque ce mouvement jurisprudentiel a été étendu aux questions de harcèlement moral et sexuel au travail.  La Cour de Cassation a ainsi établi en 2006[3] que « L’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise notamment en matière de harcèlement moral et que l’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité ».

Les conséquences d’une telle décision ont été immédiates. En effet, les juges de la Haute-Cour [4]  dans une décision de 2010 ont estimé que « L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs manque à cette obligation, lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements. »  

La Chambre sociale de la Cour de Cassation s’érige ainsi en protectrice des employés. Cette solution est cependant critiquable car elle est certes une garantie pour les salariés qui, victimes de harcèlement, bénéficient automatiquement d’une indemnisation en réparation du préjudice subit mais elle institue également une épée de Damoclès au-dessus de la tête des employeurs. En effet, malgré des mesures effectives, ces derniers voient leur responsabilité engagée facilement ce qui n’est pas vraiment de nature à encourager les derniers à mettre en place une prévention optimale afin d’éviter ce genre de dérive.

La consécration d’un assouplissement nécessaire

La procédure d’assouplissement a commencé dès 2015 dans la célèbre affaire air France du 25 novembre[5]. La Cour va alors amorcer un virage en décidant que « Ne méconnait pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail. »

L’employeur est délesté d’une obligation de résultat mais une obligation de moyens renforcée pèse toujours sur ses épaules. Les juges du fond devront désormais apprécier de manière souveraine si l’employeur a correctement rempli les obligations qui lui incombent pour préserver la santé et la sécurité de ses salariés. S’il s’avère que ce n’est pas le cas, ce dernier verra sa responsabilité engagée. Cette affaire ne portait cependant pas sur un cas de harcèlement moral.

Une déclinaison attendue de la décision Air France

La question qui se pose est la suivante: les juges vont-ils faire d’une pierre deux coups et appliquer cette solution en matière de harcèlement moral ? L’arrêt du 1er juin 2016 donne une réponse affirmative et pose le nouveau principe.

Dans cette affaire, un salarié était victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique. Ne pouvant plus supporter de travailler dans des conditions où son supérieur ne cessait « de remettre sans cesse en cause ses compétences et lui reprocher un manque d’efficacité dans son travail […] », ce dernier a saisi le conseil des prud’hommes et a demandé la résiliation de son contrat de travail, des dommages et intérêts pour harcèlement moral ainsi que des indemnités de rupture.  Le salarié demandait notamment à ce que cette résiliation soit faite aux torts exclusifs de son employeur.

Les juges du fond se sont alors institués en garde-fous puisqu’ils ont souverainement relevé que « l’employeur justifiait avoir modifié son règlement intérieur pour y insérer une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral, avoir mis en œuvre dès qu’il a eu connaissance du conflit personnel du salarié avec son supérieur hiérarchique une enquête interne sur la réalité des faits, une réunion de médiation avec le médecin du travail, le directeur des ressources humaines et trois membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en prenant la décision au cours de cette réunion d’organiser une mission de médiation pendant trois mois entre les deux salariés en cause confiée au directeur des ressources humaines » et ils ont rejeté la demande du salarié au titre du harcèlement moral.

En l’espèce, l’employeur a tenté de protéger son salarié contre son supérieur mais malgré tous les moyens mis en œuvre cela n’a pas fonctionné. Mais il serait injuste de punir un employeur qui, en dépit de mesures effectives, n’a pas réussi à donner pleinement satisfaction à son employé.

La Haute-Cour va cependant casser partiellement l’arrêt d’appel au motif qu’elle n’avait pas vérifié que « L’employeur avait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L.4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et, notamment avait mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral. »

Une frontière nouvelle

L’apport de cet arrêt n’est pas négligeable : les employeurs diligents c’est-à-dire ceux qui ont pris des mesures concrètes dans le but de protéger leurs salariés contre ce genre d’agissements pourront s’exonérer de leur responsabilité. Les juges du fond ont désormais la lourde tâche de décider dans quelle proportion l’employeur a mis en œuvre les moyens nécessaires pour prévenir et protéger ses salariés.

De plus, le personnel d’encadrement ne pourra plus douter de l’utilité de gérer ce type de dérives en prétendant que peu importe les mesures prises, ils seront in fine condamnés. Cette solution, positive et mesurée, nous permet très légitimement de penser que les employeurs seront encouragés à mettre en place une prévention nécessaire et renforcée.

   Juliette Marie

[1] Cass, soc, 1er juin 2006, n°14-19.702

[2] Cass, soc, 28 fév. 2002, n° 00-11.793

[3] Cass, soc, 21 juin 2006, n°05-43.914

[4] Cass, soc, 3 fév. 2010, n°08-44.019

[5] Cass, soc, 25 novembre 2015, n°14-24.444

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