L’évaluation des salariés : l’encadrement d’un outil managérial

L’évaluation des salariés est un dispositif essentiel, notamment en matière de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences. Cette méthode managériale, en constante évolution, fait l’objet d’une stricte régulation.

L’évaluation des salariés, un pouvoir de direction encadré

L’évaluation des salariés : une pratique reconnue et protectrice de l’employeur

La Chambre sociale de la Cour de cassation a, par un arrêt en date du 10 juillet 2002 (1), reconnue que l’employeur était en droit d’évaluer le travail de ses salariés. La cour tire cette possibilité du pouvoir de direction patronal, né du contrat de travail. Au-delà de l’intérêt purement managérial, cette évaluation peut s’avérer protectrice pour l’employeur. Elle constitue en effet un mode de preuve dans le cadre d’un contentieux sur une différence de traitement, ou encore en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle (2).

L’évaluation des salariés : un dispositif managérial soumis à l’encadrement

Bien que relevant du pouvoir de direction de l’employeur, l’évaluation est strictement encadrée. La Cour de cassation  demande ainsi que les critères retenus soient précis, objectifs et pertinents au regard de la finalité poursuivie (3), conformément à l’article L.1222-3 alinéa 3 du Code du travail. Ils doivent donc être adaptés au poste occupé par le salarié, ou au poste proposé dans le cadre d’une promotion (4). De plus, en application de l’article L.1132-1 du Code du travail, ils ne sauraient être discriminatoires, notamment au regard de la vie familiale du salarié et de ses opinions politiques et religieuses. Enfin, l’employeur doit être particulièrement vigilant à ne pas opérer une éventuelle discrimination syndicale.

L’évaluation des salariés : une diversité de méthodes sous contrôle  

Le choix de la de méthode d’évaluation demeure cependant à la discrétion de l’employeur. Tout d’abord, il est essentiel de relever la technique de l’entretien, qui est l’instrument le plus courant dans les entreprises aujourd’hui. Elle consiste en un bilan effectué à l’occasion d’un rendez-vous entre le salarié et son supérieur hiérarchique (N+1 en général). Cette méthode d’évaluation présente de nombreux avantages pour l’employeur.

-Elle peut en effet être l’occasion pour la direction d’effectuer une mise au point sur les éventuels risques psycho-sociaux.

-La procédure de mise en œuvre est de plus relativement souple :

Ainsi, la convocation peut  être envoyée par tout moyen. Il est cependant en pratique préférable que les modalités de mise en œuvre soient fixées suffisamment en avance, afin d’effectuer une préparation convenable. Un support d’évaluation est en effet souvent remis aux salariés avant le rendez vous. Enfin, durant l’entretien, le salarié n’est pas autorisé à être assisté par un représentant du personnel, étant donné que cet entretien n’a pas de caractère disciplinaire.

Ensuite, il faut noter que sous l’influence de techniques managériales évolutives, les instruments de contrôle se sont diversifiés.

Premièrement, on a vu depuis les années 2000 se développer la technique d’évaluation à 360 degrés, appelée « 360° feed-back ». D’inspiration américaine, celle-ci consiste en une auto-évaluation par le salarié, accompagnée d’une  appréciation par ses collègues de travail établie de manière anonyme. La Cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 19 décembre 2014 (5) a validé cette démarche.

Deuxièmement, une méthode plus populaire, appelée « évaluation par ranking », consiste à évaluer la performance individuelle du salarié par comparaison avec celle des autres salariés exerçant une fonction similaire. Ce système a fait l’objet d’un bon nombre d’interrogations. La Cour d’appel de Grenoble l’a néanmoins validée le 13 novembre 2002 (6), à condition qu’elle repose sur des critères préétablis, objectifs, connus et contrôlables. Le système ne doit pas avoir non plus de caractère disciplinaire. Cela signifie qu’un salarié classé plusieurs fois de suite dans un groupe moins bien noté ne doit pas subir de diminution de salaire, car il s’agirait d’une sanction pécuniaire.

Cependant, en 2013, la Cour de cassation a fortement limité ce dispositif, en interdisant le système d’évaluation par ranking en fonction de quotas préétablis (« forced ranking » ou ranking par quotas). Pour la Haute Juridiction, celui-ci ne faisait en effet pas état des compétences et des performances des salariés  (7).

Enfin, la méthode dite du « benchmark » consiste à analyser, comparer et identifier les « bonnes pratiques  » en interne (entre services) ou en externe (entre différentes entreprises). Le résultat servira alors de base à l’évaluation des salariés. La Cour d’appel de Lyon a néanmoins alerté les employeurs sur ce point dans un arrêt du 21 février 2014 (8) en considérant que les modalités de mise en œuvre d’un tel système ne doivent pas être source de souffrance au travail. Les juges du fond apprécient ce point selon le cas d’éspèce.

L’évaluation des salariés, un pouvoir de direction soumis au respect des droits des salariés

L’évaluation, bien que tirant sa source dans le pouvoir de direction de l’employeur, se doit donc d’être respectueuse des droits du salarié.

Une évaluation proportionnelle : les « garde-fous » du CE et du CHSCT

L’article L.2323-1 du Code du travail dispose que le comité d’entreprise (CE) « doit être informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise ». L’article L.2323-6 du Code du travail, dans son 3ème alinéa, donne quant à lui expressément compétence à l’organe pour les questions relatives à « la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi. »

La jurisprudence considère donc de manière constante que le CE doit être consulté préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise de moyens de contrôle de l’activité des salariés (9). Le comité d’entreprise doit donner son avis sur la pertinence et la proportionnalité des moyens utilisés par l’instrument d’évaluation, peu important le libellé du dispositif.

Concernant le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), l’article L.4612-1 du Code du travail dispose que celui-ci a pour mission « de contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l’établissement ».

Par un arrêt du 28 novembre 2007 (10), la Cour de cassation a donc considéré que le comité a compétence pour les évaluations annuelles, quand celles-ci sont de nature à « avoir une incidence sur le comportement des salariés, leur évolution de carrière et leur rémunération , et que les  modalités et les enjeux […] sont manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail ». La consultation du CHSCT doit alors s’effectuer préalablement à celle du comité d’entreprise.

Néanmoins, elle n’est pas obligatoire dans tous les cas. La Cour de cassation a en effet établi dans son rapport annuel de l’année 2007 (11) que l’obligation n’est requise que lorsque l’évaluation des salariés correspond aux « prévisions de l’article L.4612-1 du Code du travail ». La Haute Juridiction estime ainsi que l’évaluation des salariés n’est pas nécessairement de nature à affecter la santé physique et mentale du travail. Une consultation du comité n’est donc obligatoire, à priori, que dans le cadre d’un dispositif d’évaluation lourd. A titre d’exemple, il semblerait que la mise en œuvre d’une méthode d’évaluation dite de « benchmark » nécessite une telle consultation.

Une non consultation de ces organes entrainerait un délit d’entrave (12). Le CE et le CHSCT tiennent donc une place de garde-fou des droits des salariés. Il convient pour l’employeur d’être excessivement vigilant sur ce point.

Une évaluation loyale : l’information des salariés nécessaire

Le dispositif d’évaluation doit aussi être porté à la connaissance des salariés, comme prévu expressément par l’article L.1222-3 du Code du travail. Ceux-ci doivent avoir au préalable connaissance de la technique et de la méthode d’évaluation utilisée. Le salarié dispose également d’un droit consultation sur les résultats d’évaluation. En outre, une contestation du procès-verbal d’évaluation peut être effectuée par le salarié, si des voies de recours internes à l’entreprise sont prévues. Il est alors conseillé au salarié d’émettre des réserves au procès-verbal. 

Une évaluation respectueuse de la vie privée : l’information de la CNIL

Les données d’évaluations du salarié sont strictement confidentielles pour les tiers, conformément à l’article L.1222-3 du Code du travail. La commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a néanmoins souligné dans son communiqué du 11 mai 2011 (13) que les supérieurs hiérarchiques peuvent accéder à ces données pour les salariés dont ils sont responsables.

Etant donné ce principe de confidentialité, les traitements automatisés relatifs à l’évaluation professionnelle doivent être déclarés à la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), par déclaration simplifiée, ou par déclaration dite « normale », le cas échéant. Si l’employeur ne respecte pas ces formalités déclaratives, il s’expose à des sanctions pénales prévues à l’article 226-16 du Code pénal.

Bien que considérée avant tout comme méthode managériale, l’évaluation des salariés n’est pas une matière non-soumise au droit positive. Un contrôle strict se développe au fur et à mesure, afin que les droits fondamentaux des salariés soient respectés.

Alice Durand

1- Cass. Soc. 10 juillet 2002 n°00-42.368

2- Cass. Soc. 22.03. 2011 n°09-68693

3- Cass. Soc. 14 déc 2015 n°14-17.152

4- Cass. Soc. 10 mai 1983 n°81-40.908

5- CA Versailles 19 décembre 2014 n°13/03952

6- CA Grenoble 13 novembre 2002 n° 02-02794

7-  Cass Soc 27 mars 2013 n°11-26.539

8- CA Lyon 21 février 2014 n°12/06988

9-  Cass. Soc. 10 avril 2008, n°06-45.741

10- Cass. Soc. 28 novembre 2007 n°06-21.964

11- Publications → rapport annuel → rapport 2007 → quatrième partie : jurisprudence de la Cour →  Droit du travail  → santé et sécurité au travail → sur l’arrêt chambre sociale 28 novembre 2007 pourvoi n°06-21.964

12-  Article L.2328-1 du Code du travail pour le CE ; Article L.4742-1 pour le CHSCT

13- Site du CNIL → L’évaluation des salariés : droits et obligations des employeurs 11 mai 2011

L’impact des méthodes d’évaluation sur la nature du contrat de travail – Brigitte Perreira site lesechos.fr → idees-débats→ cercle → performance des salariés et évaluation

Sur les dérives des méthodes d’évaluation- site lemonde.fr → culture → article « L’entreprise,  machine à évaluer »

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