Travail dissimulé : un choix risqué pour l’employeur

Le recrutement de salariés représente une charge administrative et financière importante pour les entreprises. La loi, consciente de ce poids, leur permet de s’en alléger en contractant avec des agences intérimaires ou des sous-traitants. Puisqu’il existe des possibilités de recrutement externe, il est compréhensible que la loi sanctionne lourdement le travail dissimulé. Il conviendra de revenir sur cette notion et les intérêts qu’elle permet de protéger avant d’analyser les enjeux liés aux notions de travail dissimulé et de contrat de travail.

Le travail dissimulé, les contours d’une notion au cœur d’enjeux financiers

Le Code du travail envisage deux types de travail dissimulé : la dissimulation d’activité[1] et la dissimulation d’emploi salarié[2]. Il faut préciser que cette qualification ne sera retenue qu’en présence de deux éléments. Tout d’abord, il est nécessaire de prouver l’existence d’un comportement caractéristique de l’un des deux cas de travail dissimulé (élément matériel). A cela s’ajoute la nécessité d’une intention de frauder (élément moral). Cet élément est laissé à l’appréciation souveraine des juges qui peuvent donc faire preuve de plus ou moins de sévérité envers les employeurs.

La première hypothèse de travail dissimulé renvoie à plusieurs manquements en lien direct avec l’activité exercée. Tout d’abord, elle sanctionne les cas où l’immatriculation[3] de la structure auprès du répertoire des métiers ou du registre du commerce et des sociétés, bien qu’obligatoire[4], n’a pas été faite de manière intentionnelle[5]. Il en va de même lorsque le professionnel exerce son activité alors que l’immatriculation a été refusée ou qu’il poursuit celle-ci malgré une radiation sur ledit registre. Il peut également être sanctionné en raison d’un défaut de déclaration obligatoire auprès des organismes de protection sociale ou de l’administration fiscale[6]. Enfin, si l’immatriculation de la structure n’est pas obligatoire[7], seule l’absence de déclaration obligatoire peut entrainer la qualification de travail dissimulé.

La seconde hypothèse envisage le travail dissimulé par dissimulation d’emploi. Celle-ci peut prendre trois formes. Il s’agit tout d’abord des cas de non-respect des formalités liées à la déclaration préalable à l’embauche. Ensuite, le Code envisage des manquements liés à la délivrance du bulletin de paie ou à la mention sur ce dernier d’un nombre d’heures de travail effectué inférieur à la réalité[8]. Enfin, l’article vise l’absence de déclaration relative aux salaires ou aux cotisations sociales auprès des administrations compétentes[9]. L’illustration classique de ce type de travail dissimulé est le cas des « faux-statuts » (exemples : faux stagiaire[10] ou faux bénévoles). Néanmoins, cette catégorie ne se résume pas aux travailleurs non déclarés de façon intentionnelle. Il s’applique également aux travailleurs mal déclarés intentionnellement.

En termes de sanctions, l’employeur frauduleux encourt des sanctions pénales et administratives. Concernant les premières, on peut notamment citer l’article L 8224-1 du code du travail qui prévoit une peine d’emprisonnement de trois ans et une amende de 45 000€. A cela peut s’ajouter des sanctions administratives telles que l’interdiction d’exercer pendant cinq ans ou le remboursement des aides publiques reçues.

Après avoir envisagé la définition et les sanctions du travail dissimulé, il convient d’apprécier les raisons d’une telle sévérité. Il existe deux justifications à la lutte contre le travail dissimulé : la défense des intérêts des salariés mais également ceux de l’Etat.

Tout d’abord, le salarié qui travaille sans être déclaré ou en étant mal déclaré voit ses droits altérés. Cela aura des conséquences en matière de cotisation pour sa retraite, mais également amoindrira ses droits en cas de chômage. Il faut préciser que le travailleur peut être au courant de sa situation litigieuse[11], mais ce n’est pas toujours le cas[12]. Il était donc logique que la qualification de travail dissimulé lui ouvre des droits. Parmi ces derniers, le salarié peut demander, à l’issu de son contrat de travail, une indemnité correspondant à six mois de salaire si le travail dissimulé est avéré. Sur ce point, la Cour de cassation a jugé que cette indemnité était cumulable avec toutes les indemnités dues en cas de rupture de contrat de travail[13].

L’Etat a également et logiquement intérêt à lutter contre le travail dissimulé dans la mesure où ce phénomène entraine un manque à gagner pour les comptes des administrations concernées.

Enfin, il faut noter que le travail dissimulé peut entrainer une situation de concurrence déloyale. Dans la mesure où l’employeur frauduleux ne paie pas les cotisations et salaires, il peut proposer des prix plus avantageux. Cet aspect économique renforce la nécessité de lutter contre le travail dissimulé.

Après avoir brièvement énoncé le champ d’application du travail dissimulé et ses effets néfastes, il convient de présenter quelques enjeux autour de cette notion et celle du « contrat de travail »

Enjeux autour des notions de « travail dissimulé » et de « contrat de travail »

 Le travail dissimulé peut se manifester dans une situation classique « employeur » / travailleur, mais il peut également être retenu dans des hypothèses plus complexes. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a, par exemple, retenu dans un arrêt du 11 février 2016[14] la solidarité financière du donneur d’ordres vis-à-vis du sous-traitant en raison de l’existence de travail dissimulé. En l’espèce, il était reproché au donneur d’ordres de ne pas avoir convenablement procédé aux vérifications [15] quant aux déclarations et conditions d’emploi des travailleurs choisis par le sous-traitant. Plus précisément, la Cour énonce que le donneur d’ordres n’a pas vérifié la liste des documents mentionnés à l’article D 8222-5 du Code du travail[16]. Or seuls ces derniers permettent à un donneur d’ordres de vérifier que son cocontractant est en règle sur le plan social.

Ce n’est pas le seul arrêt qui retient la qualification de travail dissimulé dans le cadre d’une relation donneur d’ordres / sous-traitant. La chambre criminelle de la Haute juridiction a notamment considéré dans un arrêt du 14 février 2006[17] qu’il y avait travail dissimulé en raison du lien de subordination pratique entre le donneur d’ordres et les artisans. Elle estime que l’immatriculation des sous-traitants au répertoire des métiers et le caractère temporaire du travail ne suffisent pas à exclure l’existence d’un lien de subordination et donc de travail dissimulé. Elle relève en effet que ces artisans étaient soumis aux mêmes règles que les employés du donneur d’ordres (rémunération, contrôle qualité). Elle conclut donc à l’existence d’un lien de subordination. Or celui-ci ne s’exerçant pas dans le cadre d’un contrat de travail, le travail dissimulé est retenu.

Ces solutions permettent de constater que le champ d’application du travail dissimulé est large. Cela va dans le sens des décisions politiques qui visent à lutter contre le travail dissimulé. En outre, la sanction d’une telle pratique vise à protéger les travailleurs. Il semble donc logique que la protection joue même en présence de rapports ou contrats « atypiques ». Le contraire serait contreproductif dans la mesure où cela permettrait aux employeurs de s’octroyer une marge de manœuvre pour ne pas être soumis aux obligations et cotisations sociales. Le choix de montage complexe ou le recours à des contrats atypiques n’empêche donc pas l’engagement de la responsabilité de  l’employeur.

Enfin, nous l’avons vu le travail dissimulé exige un élément moral : à savoir l’intention de frauder.

Pour autant, l’absence d’un tel élément n’exclue pas la sanction de l’employeur. Si les sanctions propres au travail dissimulé ne peuvent jouer (car absence d’intention), il est possible de sanctionner l’employeur en ayant recours aux notions de « contrat de travail » et « lien de subordination ». Ces notions permettent de procéder notamment à une rectification des cotisations sociales et/ou des sommes dues aux salariés. A titre d’illustration, la jurisprudence « Ile de la tentation » peut être mentionnée[18]. En l’espèce, les juges de la chambre de sociale de la Haute juridiction ont considéré que les participants à ladite téléréalité devaient être envisagés comme étant des salariés en raison de l’existence factuelle d’un lien de subordination. Néanmoins, le caractère intentionnel n’a pas été prouvé. La Cour a donc rejeté la qualification de travail dissimulé empêchant ainsi l’application des sanctions propres à cette infraction et l’obtention des indemnités pour travail dissimulé au profit des salariés. Pour autant, elle maintient les décisions de la Cour d’appel de Paris concernant la condamnation de l’employeur au paiement des heures supplémentaires et des congés payés, ainsi qu’au versement de dommages et intérêts dus au titre des licenciements irréguliers et de la rupture abusive des contrats. Il est également sommé de délivrer les bulletins de salaire et une attestation Assedic conforme aux salariés concernés. L’employeur est donc en quelque sorte sanctionné, même s’il s’agit plus d’une rectification que d’une véritable sanction au sens juridique du terme.

Enfin, il faut évoquer le risque de dérives lié au recours, parfois opportuniste, aux notions de « contrat de travail » et de « lien de subordination ». Nous l’avons vu, en présence d’intention la qualification de travail dissimulé peut être retenue. En son absence, l’employeur peut être sanctionné en se fondant sur l’existence d’un contrat de travail et des obligations liées à celui-ci. Dès lors, il pourrait être tentant pour l’administration fiscale de demander abusivement et parfois même de manière opportuniste la requalification d’une relation en contrat de travail afin de percevoir les fameuses cotisations sociales. Ce risque peut être illustré par l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 25 avril 2013[19]. En l’espèce, le chanteur Johnny Halliday avait accepté, dans le cadre d’un contrat de parrainage, de fournir une photographie le représentant afin que son nom, sa signature et son image soient exploités par la société Legal dans le cadre d’une campagne publicitaire. L’URSSAF de Seine-Maritime a alors procédé à la réintégration, dans l’assiette de la société Legal, du montant de la rémunération versée à l’artiste[20]. La Cour a validé le raisonnement de l’administration et a par conséquent requalifié le contrat de parrainage en un contrat de mannequinat. Or il existe une présomption de contrat de travail pour ce type d’activité (article L 7123-3 du code du travail). La Cour considère que la présomption n’est pas levée et condamne la société Legal au paiement des sommes demandées par l’URSSAF. En l’espèce, on peut se demander si la notoriété de l’artiste ainsi que le montant du cachet n’ont pas motivé la démarche de l’URSSAF. De plus, cette impression d’action opportuniste est renforcée par deux éléments. Tout d’abord, on peut regretter l’absence de motivation de la part de la Haute juridiction. Elle ne précise pas clairement la frontière entre le contrat de parrainage et de mannequinat. Enfin, en l’espèce, on ne comprend pas sur quel élément concret repose le lien de subordination. L’artiste a simplement fourni la photographie et donné son accord pour que son image soit utilisée.

En conclusion, si la lutte contre le travail dissimulé est un objectif louable, celle-ci ne doit pas aboutir, par extension, à une requalification massive des rapports en contrats de travail.

 BERENICE ECHELARD

http://www.village-justice.com/articles/travail-dissimule-conditions-repression,16215.html

http://actualitesdudroit.lamy.fr/Accueil/Articles/tabid/88/articleType/ArticleView/articleId/127976/Travail-dissimule-obligation-de-vigilance-du-donneur-dordres.aspx

https://www.saisirprudhommes.com/fiches-prudhommes/le-travail-dissimule

http://www.vr-legal.eu/?q=avocat/le-travail-dissimul%C3%A9

http://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/conditions-delit-travail-dissimule-pour-7684.htm#.Vy8Ie77IuO5

[1] Article L 8221-3 du code du travail

[2] Article L 8221-5 du code du travail

[3] Il s’agit d’une démarche capitale pour le fonctionnement de la structure. La personnalité juridique de l’entité nait à la suite de cette formalité. Celle-ci conditionne l’exercice de la plupart des droits et obligations de la personne morale.

[4] Immatriculation obligatoire notamment pour les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés par actions simplifiées, les autoentrepreneurs ou les artisans n’employant pas plus de 10 salariés.

[5] Exemple : Chambre criminelle de la Cour de cassation arrêts du 23 mai 1995 et du 14 mai 1996.

[6] L’article vise deux exemples : la non-déclaration d’une partie de son chiffre d’affaires ou de ses revenus et la continuation d’activité après avoir été radié par les organismes de protection sociale en application de l’article L. 133-6-7-1 du code de la sécurité sociale.

[7] Exemple : les professions libérales ne sont pas soumises à l’immatriculation, mais à une déclaration obligatoire d’activité.

[8] En guise d’illustration de l’appréciation souveraine des juges, voici quelques exemples de situations dans lesquelles l’intention de frauder n’a pas été retenue bien que le nombre d’heures déclarés ne soit pas en accord avec la réalité : Cour de cassation chambre sociale arrêts du 21 mai 2002 (N° pourvoi 99-45890) et du 29 octobre 2003 (N° pourvoi 01-44940).

[9] Exemple : Chambre criminelle de la Cour de cassation arrêt du 19 mars 2002 (N° pourvoi 01-83509)

[10] Exemple : Chambre criminelle de la Cour de cassation arrêts du 26 mai 2010 (N° pourvoi 09-86095) et du 28 septembre 2010 (N° pourvoi 09-87689).

[11] Attention si l’intention de frauder de la part du travailleur est prouvé, il pourra lui aussi se voir appliquer des sanctions financières et administratives.

[12] En cas de doute, le travailleur peut utiliser son droit à l’information. Concrètement, il peut demander aux services compétents si son employeur l’a bien déclaré et si oui le contenu de la déclaration.

[13] Chambre sociale, arrêt du 6 février 2013 (n° pourvoi 11-23738).

[14] N° pourvoi 15-10168.

[15] Cette obligation figure à l’article L 8222-1 du code du travail.

[16] On trouve notamment une attestation sur l’honneur du cocontractant du dépôt auprès de l’administration fiscale de l’ensemble des déclarations fiscales et une attestation de fourniture de déclarations sociales émanant de l’organisme de protection sociale concerné.

[17] N° pourvoi 05-82287.

[18] Cour d’appel de Paris arrêt du 12 février 2008 (N° 07/02721) et Chambre sociale de la Cour de cassation arrêt du 03 juin 2009 (N° pourvois 08-40981, 08-40982, 08-40983, 08-41712, 08-41713 et 08-41714.

[19] N° pourvoi : 11-26323

[20] Cela correspondait à 58. 697 € au titre des cotisations sociales.

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