Le déménagement de l’un des parents : l’enfant au cœur du conflit

Un parent peut déménager avant ou après que le juge aux Affaires Familiales ait fixé les modalités d’exercice de l’autorité parentale des parents à l’égard des enfants. Cependant, ce déménagement bouleverse les modalités prévues ou à venir en raison de l’éloignement géographique.

Il en résulte que ce déménagement aura un éventuel impact sur :

  • la mise en place ou le maintien d’une résidence alternée ou
  • sur la fixation de la résidence habituelle des enfants au domicile de l’un des parents ou
  • sur la fréquence du droit de visite et d’hébergement de l’un des parents

Seule est traitée ici la question du déménagement de l’un des parents sans qu’il soit question d’enlèvement d’enfant. Il s’agira d’étudier de manière générale, le déménagement de l’un des parents selon que les modalités d’exercice de l’autorité parentale aient été ou non fixées (I) et les arguments pouvant être soulevés par l’un ou l’autre des parents devant le juge aux affaires familiales (II).

I/ LE DEMENAGEMENT INTERVENU AVANT OU APRES LA FIXATION DES MODALITES DE L’EXERCICE DE L’AUTORITE PARENTALE

L’existence de règles communes à tous les déménagements (A) s’applique de manière identique selon que le déménagement intervient avant ou après la fixation des modalités de l’exercice de l’autorité parentale(B).

A. Les règles communes à tous les déménagements

Obligation d’information.- De manière générale, le parent à l’initiative du déménagement doit toujours informer préalablement l’autre parent. Aux termes de l’article 373-2 alinéa 3 du Code civil ( [1]): « Tout changement de résidence de l’un des parents, dès lors qu’il modifie les modalités d’exercice de l’autorité parentale, doit faire l’objet d’une information préalable et en temps utile de l’autre parent. En cas de désaccord, le parent le plus diligent saisit le juge aux affaires familiales qui statue selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant». A défaut, le parent non diligent s’expose à une peine de 6 mois d’emprisonnement et 7.500€ d’amende (article 227-6 du Code pénal).

Saisine du juge aux Affaires Familiales.- Cette modification des conditions d’exercice de l’autorité parentale peut se faire à l’amiable, sans intervention du juge, celle-ci étant réservée en cas de désaccord. Dans ce cas, l’un des parents pourra saisir le juge aux Affaires Familiales par une assignation en la forme des référés ou à jour fixe justifiée par l’urgence de statuer rapidement. Le juge aux affaires familiales doit décider si le besoin de stabilité de l’enfant, le maintien de ses repères avec son cadre de vie habituel est conforme à son intérêt et/ou si le non-respect des droits de l’un des parents doit être sanctionné.

Cependant, « le but n’est évidemment pas d’empêcher un parent de déménager, mais de favoriser la recherche de solutions consensuelles pour l’adaptation au nouveau contexte des modalités d’exercice de l’autorité parentale, en évitant la brutalité du fait accompli : il s’agit là aussi d’une modalité particulière de l’obligation pour chaque parent de respecter les liens de l’enfant avec l’autre » ([2]).

Critères d’appréciation.- Il appartiendra au juge aux affaires familiales d’examiner attentivement la position des parties et les éléments du dossier en se fondant sur les critères d’appréciation énumérés à l’article 373-2-11 du Code civil. Conformément à cette disposition, « Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération :

1° La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure  

2° Les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1  du Code de Procédure civile »

3° L’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ; 

4° Le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l’âge de l’enfant ;                       

5° Les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 373-2-12 ;                                         

6° Les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre ».

L’intérêt de l’enfant.- L’article 371-1 du Code civil rappelle que « l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». L’article 373-2-6 du Code civil énonce que « le juge du tribunal de grande instance délégué aux affaires familiales règle les questions qui lui sont soumises dans le cadre du présent chapitre en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs».

C’est au regard de ce critère que doivent être examinées les demandes et positions de chacun des parents ([3]).

 

B. Déménagement intervenu avant ou après la décision du juge aux Affaires Familiales

Déménagement avant la fixation des modalités de l’exercice de l’autorité parentale.- Certaines décisions ont tendance à vouloir sanctionner le coup de force de l’un des parents, d’autant plus lorsque le juge aux affaires familiales n’a pas encore fixé les modalités de l’exercice de l’autorité parentale. Il en va ainsi, par exemple, lorsqu’au cours d’une séparation l’un des époux déménage avec l’enfant avant l’audience de tentative de conciliation.

Cet éloignement peut avoir pour but d’empêcher la mise en place d’une résidence alternée car la proximité géographique des domiciles est un critère d’appréciation primordial ([4]) pour le fonctionnement de la résidence alternée. Cet éloignement peut également avoir pour but de s’éloigner de son cadre de vie habituel en emmenant l’enfant qui sera aussi éloigné de son cadre de vie habituel.

Déménagement après la fixation des modalités de l’exercice de l’autorité parentale.- Le cas le plus pernicieux est celui où le parent chez lequel l’enfant réside déménage. Si tel est le cas, l’autre parent devra saisir le juge aux Affaires Familiales afin de modifier les modalités de l’exercice de l’autorité parentale en cas de désaccord. « Cette mesure permet de lutter contre la toute-puissance du parent hébergeant, pouvant parfois imposer à l’autre un éloignement géographique de l’enfant » ([5]). 

Cependant, le déménagement du parent gardien habituel de l’enfant ne peut à lui seul justifier un transfert de résidence de l’enfant chez le parent titulaire du droit d’accueil demeurant sur place ([6]). Il est nécessaire d’évaluer les causes du déménagement et les conséquences de cet élément nouveau sur l’intérêt de l’enfant.

L’intérêt de l’enfant est primordial. La jurisprudence se montre particulièrement vigilante pour que les décisions concernant l’exercice de l’autorité parentale ne se fondent que sur le strict intérêt de l’enfant, à l’exclusion des parents ([7]).

II/ LES ARGUMENTS OBJECTIFS ET/OU SUBJECTIFS INVOQUES DEVANT LE JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES

Les deux parents s’opposeront frontalement devant le juge aux Affaires Familiales. Les motifs souvent invoqués par le parent contestant le déménagement (A) seront plus nombreux que ceux invoqués par le parent à l’origine du déménagement (B).

A. Les motifs invoqués par le parent contestant le déménagement

Déménagement du parent contesté.- Il est impossible d’empêcher le déménagement de l’un des parents. Le parent qui s’oppose au déménagement pourra seulement invoquer :

  • Le non-respect de ses droits en tant que parent par l’autre parent (article 373-2-11,3° du Code civil) ;
  • Le besoin de stabilité de l’enfant ;
  • Eventuellement, du respect du principe de non-séparation de la fratrie si l’enfant a des demi-frères ou des demi-sœurs restant avec l’autre parent.

S’agissant du non-respect des droits du parent par l’autre parent.- Les juges apprécient souverainement, au regard de l’intérêt de l’enfant, si la résidence de ce dernier doit être fixée chez le père, lequel serait le plus apte à respecter les droits de l’autre parent ([8]). Tel est le cas lorsque l’un des parents déménage sans attendre l’autorisation du juge aux affaires familiales, éloignant ainsi brutalement l’enfant de l’autre parent, ce qui constitue un manque de respect des droits de l’autre parent ([9]).

Ainsi, il a pu être jugé que le déménagement connu de la mère qui a mis le père devant le fait accompli justifiait le transfert de la résidence de l’enfant chez le père, la mère ne respectant pas les droits de ce dernier ([10]). Dans un cas similaire, il a été jugé que « le coup de force de la mère est en tous points contraire à l’intérêt supérieur du jeune brutalement arraché à son environnement social » ([11]).

Il a pu également être jugé que la résidence devait être transférée chez le père car la mère avait déménagé sans autre motif que de rechercher un emploi qu’elle n’avait finalement pas trouvé, les juges estimant qu’elle n’avait pas respecté les droits du père et n’ a pas cherché à faciliter les relations entre lui et les enfants, même si elle a rapidement fait connaître les moyens de le joindre ([12]).

S’agissant du besoin de stabilité de l’enfant.- Le besoin de stabilité (scolaire, géographique, amicale, affective…) est également un élément déterminant pour fixer la résidence de l’enfant ([13]). En effet, des juges du fond ont pu décider dans certains cas qu’il n’était pas souhaitable de modifier le cadre de vie des enfants en cas de déménagement de l’un des parents. Ainsi, il a pu être jugé que l’installation de la mère dans une nouvelle région pour des raisons personnelles ne présente pas à ce jour des garanties de stabilité justifiant de bouleverser la vie de l’enfant quand bien même l’enfant entretient de bonnes relations avec l’ami de sa mère et que le cadre de vie proposé est agréable ([14]).

S’agissant du principe de la non-séparation de la fratrie.- L’article 371-5 du Code civil pose le principe selon lequel les frères et sœurs ne doivent pas être séparés. En effet, le juge a l’obligation de veiller au maintien de la fratrie lorsqu’il statue sur la résidence des enfants à la suite de la séparation de leurs parents, en sachant que les juges adoptent une conception large de la notion de fratrie en y incluant le demi-frère ([15]).

Ainsi, il a pu être jugé que le maintien de la solidarité de la fratrie pour faire face à la séparation des parents pour justifier le transfert de résidence chez l’autre parent ([16]). Dans un cas de déménagement de l’un des parents en région parisienne, la résidence de l’enfant a été fixée chez l’autre parent car il pouvait bénéficier, entre autres, de la présence de son demi-frère ([17]). Toutefois, il peut en être décidé autrement ([18]).

B. Les motifs invoqués par le parent à l’origine du déménagement

Déménagement du parent justifié.- Il est indispensable que l’autre parent démontre qu’il existe des raisons objectives et/ou persuasives qui l’ont contraint de déménager. Le déménagement pour raison professionnelle est le motif le plus souvent donné en exemple ([19]). 

Il sera d’autant plus indispensable de démontrer des éléments objectifs lorsque le parent déménage avant la fixation des modalités de l’exercice de l’autorité parentale (exemple, une mutation de poste) car il faudra justifier ce qui sera présenté comme un coup de force devant le juge aux affaires familiales.

Ce parent pourra également se prévaloir de la nécessaire stabilité de l’enfant si la résidence habituelle de l’enfant avait été fixée à son domicile.

De plus, le parent qui souhaite justifier son déménagement pourra également évoquer le principe de non-séparation de la fratrie en cas de recompositions familiales.

Conclusion générale- L’enfant est au cœur du conflit en cas de désaccord suite à un déménagement. La décision du juge aux affaires familiales sera rendue et fixera des modalités (ou nouvelles) relatives à l’exercice de l’autorité parentale en ayant pour principal objectif, de sauvegarder l’intérêt de l’enfant et/ou de sanctionner le coup de force de l’un des parents.

Sonia Ben Mansour

Avocat à la Cour

Doctorante à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

([1]) Loi n°2002-305 du 4 mars 2002

([2])Murat P., “Résidence alternée et déménagement d’un parent: illustration des risques d’échec”, Droit de la famille n°6, juin 2005, comm. 130, LexisNexis

([3]) Civ.1ère, 13 mars 2007, n°402 F-P + B

([4]) CA Paris Pôle 3, chambre 4, 22 janvier 2015, n°13/10862, Jurisdata : 2015-000877, CA Douai, Chambre 7, Section 2, 26 mars 2015, n°13/03441, Jurisdata : 2015-007016

([5]) Gouttenoire A., Fulchiron H., Autorité parentale, Répertoire de droit civil, janvier 2012 (actualité : avril 2015)

([6]) Cour d’appel de Toulouse, 27 juin 2006 n° [XTOUL270600X]

([7]) CA Paris, Pôle 3 chambre 2 n°09/10149

([8]) Civ.1ère, 27 mars 2008, n°07-14301

([9]) CA Paris, Pôle 3, chambre 2, 10 mars 2015 n°13/19783, Jurisdata: 2015-005110

([10] ) CA Limoges, 10 mai 2010, n°09/01504 : Jurisdata n°2010-020103

([11] ) CA Lyon Chambre civile, 2 section A, 29 janvier 2009, Jurisdata : 2009-377667

([12] ) CA Besançon, Chambre civile 1, section B, 5 février 2010, n°159/10, Jurisdata : 2010-019570

([13] ) Exemples : CA Paris, Chambre 24 section A, 19 décembre 1990, Jurisdata n°1990-025331 ; CA Metz, chambre de la famille, 12 janvier 2010 n°09/03343 ; CA Caen, chambre civile 3, 11 juin 2015 n°14/01132, Jurisdata : 2015-014149

([14]) CA Paris, Pôle 3, chambre 2, 17 février 2015, n°14/15085

([15]) CA Paris, 7 mai 2003, RG n°2202/05048

([16] ) CA Basse Terre, Chambre civile 2, 12 avril 2010, n°08/00119 : Jurisdata :2010-015794

([17] ) CA Aix-en-Provence, chambre 6 B, 3 févier 2015, n°2015/061 : Jurisdata : 2015-003320

([18] ) Civ.1ère, 19 novembre 2009, n°09-68.179

([19]) Exemples : CA Agen, chambre matrimonial 1, 11 avril 2013, n°12/01439, Jurisdata : 2013-008774 ; CA Fort-de-France, 26 juillet 2012 n°12/00433, Jurisdata n°2012-0202887 ; CA Aix en Provence, Chambre 6 A, 22 mai 2014 n°2014/274 : Jursidata 2014-012292 CA Aix en Provence, Chambre 6 A, 22 mai 2014 n°2014/274 : Jursidata 2014-012292

One comment

  1. Bonjour, a vous lire la
    Mère n’a Pas vraiment le droit de Déménager ?

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