Le pillage de sites classés au patrimoine culturel de l’Humanité en Irak et en Syrie 

«  Là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes ». Contrairement à ce qu’avançait Heinrich Heine, l’ironie veut que la destruction de la culture ne soit pas un préalable mais bien un objectif..

Mise en contexte de la situation : entre saccages et revendications islamistes

Bulldozers, dynamites, marteau-piqueurs, massues et lance roquettes : voici les moyens employés par le groupe extrémiste et fondamentaliste « Etat Islamique » (EI) pour démolir des sites classés au patrimoine culturel de l’Humanité en Irak et en Syrie au mépris des textes internationaux. EI s’est construit sur fond de tensions entre les populations insurrectionnelles, sunnite, et le gouvernement irakien, chiite. Le 30 juin 2014, EI proclame le Califat et désire soumettre l’ensemble du Moyen Orient à la loi coranique.

EI a déjà perpétré des attaques à l’encontre du patrimoine comme la destruction du musée de Mossoul comprenant des statues de Hatra et des objets antiques de la province de Ninive le 26 février 2015(1).

Pour affirmer la terreur, les djihadistes utilisent des vidéos de propagande pour illustrer l’atrocité de leurs actes. Le but d’une telle démarche est simple : il faut détruire les biens considérés comme hérétiques, préislamique et interdits selon une interprétation fondamentaliste du Coran. Face à la destruction du patrimoine culturel et archéologique, les Nations Unies ont affirmé, le 27 février 2015, que le groupe EI  « doit être battu et que l’intolérance, la violence et la haine qu’il soutient doivent être éradiquées ». De son coté, la Directrice générale de l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), Irina Bokova, a demandé en urgence une réunion du Conseil de Sécurité sur la protection du patrimoine au Moyen Orient. Elle a également interpellé de toute urgence la société internationale qu’il est important d’agir « contre cette stratégie de supprimer […] notre mémoire commune » tant en qualifiant la situation de « crime de guerre »(2).

Les réponses de droit international face à la destruction du patrimoine

En ce sens, il est impératif de protéger les biens de l’Humanité afin de transmettre la culture et notre Histoire. Créée au sein des Nations Unies, le 16 novembre 1945, l’Unesco contribue au maintien de la paix et de la sécurité par l’élaboration de nombreuses conventions internationales.

Pour garantir la conservation et l’accès au patrimoine mondial, des textes internationaux font office de base pour lutter contre la démolition d’œuvres. Il y a d’une part la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé du 14 mai 1954 et d’autre part, la convention de protection du patrimoine mondial, culturel et naturel du 16 novembre 1972 accompagné du protocole additionnel du 8 juin 1977 relatif aux guerres civiles. S’ajoutent à ceux-ci  le Statut de Rome sur la Cour pénale de Justice (CPI) mais également un texte engageant la responsabilité de l’Etat en cas de non respect de ces obligations, à savoir, en l’espèce, du non respect de l’obligation d’assurer la conservation de ce patrimoine.

La Convention de La Haye du 14 mai 1954, actée à l’initiative de l’Unesco tend en la protection du patrimoine culturel et porte sur la protection de ces biens en cas de conflits armés. Le but de la convention de 1954 est d’assurer dans un contexte de fin de guerre mondiale la garantie que plus aucun bien commun de l’humanité ne soit détruit. La problématique réside dans la qualification de biens culturels. Si une définition est donnée dans la convention, chaque Etat est libre de dresser une liste des biens mobiliers et immobiliers considérés comme constituant son patrimoine (objets issus de fouilles, manuscrits, ou œuvres d’art).

La Convention du 16 novembre 1972 relative à la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel et le protocole additionnel du 8 juin 1977 à la convention de Genève du 12 août 1949 sont les textes forts de la protection des biens. Si la convention de 1954 n’a en réalité que peu d’effet juridique, le texte de 1972 insufflé également à l’initiative de l’Unesco prohibe la destruction du patrimoine et engage la responsabilité des belligérants. Pour assurer une protection efficace, il revient aux  « Etats parties […] de prendre toutes mesures juridiques, scientifiques, techniques, administratives et financières pour l’identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la réanimation de ce patrimoine »(3). Le texte de 1977 précise qu’« il est interdit de commettre tout acte d’hostilité dirigé contre les monuments historiques, les œuvres d’art ou les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples»(4). 

Une autre solution, offerte par le droit pénal international est possible à travers la Convention de Rome du 17 juillet 1998 instituant la CPI. Son recours a été notamment évoqué par Irina Bokova lorsqu’elle a demandé à la CPI de se saisir au plus vite du cas irakien. Toutefois, malgré la création de cette cour dans le but de punir les atteintes criminelles au droit international humanitaire, sa compétence demeure assez limitée. Limitée parce que la Cour n’est compétente que pour certaines catégories d’infractions exhaustivement prédéfinies : les crimes contre l’humanité, les génocides, les crimes de guerre et les crimes d’agression(5). De plus, la compétence de la cour ne vaut les Etats parties à la convention ou qui accepte cette compétence. Dernière limite à la force contraignante de la Cour, celle-ci n’est que complémentaire, au titre du principe de subsidiarité. En d’autre terme, la CPI n’intervient que si l’Etat compétent pour juger l’affaire se retrouve dans un état d’impossibilité de répondre par une voie juste et équitable de droit.

Le fait qu’EI ne soit pas un Etat en droit n’est pas un problème, pas plus que l’Irak et la Syrie ne soit pas partie au statut de Rome, car les ressortissants d’Etats parties peuvent être traduits devant la CPI. En effet, le rôle de la CPI est de juger les individus et non les Etats (contrairement à la Cour internationale de justice).  Cette hypothèse est possible d’autant plus que de nombreux nationaux de pays d’Europe pratiquent le Djihad au Proche Orient sous le drapeau de Daech. Toutefois il reste difficile d’engager une telle mesure car en tant que tribunal complémentaire, les Etats des ressortissants pourraient inculper leurs nationaux de terrorisme ou l’association avec une organisation terroriste.

Au titre du Statut de Rome, une peine maximale d’emprisonnement de 30 ans peut être prononcée. La CPI prévoit également « si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient », une peine d’emprisonnement à perpétuité.  En ce sens et contrairement à conventions initiées par l’Unesco, le statut de Rome prévoit de véritables moyens de sanctionner les atteintes contre le patrimoine mondial pour peu que les conditions restrictives de la compétence de la CPI soient réunies.

En cas de faillite de ces conventions spéciales en matière de protection du patrimoine, il est possible d’engager la responsabilité des Etats pour les contraindre à respecter leurs obligations à l’égard des tiers et Etats Parties. Pour faire face à ceci, la commission du droit international a rédigé un texte sur la responsabilité de l’Etat pour un fait internationalement illicite du 12 décembre 2001. Le non respect des obligations internationales de l’Etat entraine, de facto, la nécessaire réparation du préjudice subi ainsi que de possibles restitutions sous condition qu’elle soit matériellement mesurable, possible et non disproportionnée (quid d’un bien inestimable)(6).

Du côté de la jurisprudence, il reste toutefois important de noter qu’il existe des qualifications juridiques et notamment celle exposée par le Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY) désignant la destruction du patrimoine comme entrant dans le champ du crime contre l’Humanité(7).

(1)Bernas, Anne. 2015. « Le patrimoine culturel, autre cible du groupe Etat islamique ». RFI. En ligne. Février 2015, « http://www.rfi.fr/moyen-orient/20150228-irak-etat-islamique-mossoul-patrimoine-archeologie-syrie-autre-cible-jihadistes-islamistes/ », Consulté le 15 mai 2015.

(2)« La cité antique détruite par l’EI en Irak, un « crime de guerre » selon l’Unesco », Le Monde International, En ligne,  le 6 mars 2015, « http://www.lemonde.fr/international/article/2015/03/06/l-etat-islamique-saccage-des-ruines-d-une-cite-historique-en-irak_4588449_3210.html ». Consulté le 20 mai 2015

(3)Article 5 de la convention de 1972  relative à la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel

(4)Article 16 du le protocole additionnel

(5)Article 1 du Statut de la Cour pénale internationale

(6)Article 34, 36 et 37 du texte de la commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour un fait internationalement illicite du 12 décembre 2001

(7)TPIY, LE PROCUREUR C/ MIODRAG JOKIC, 18 mars 2004.

Mathias NUNES

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