Démarchage et publicités des avocats: La fausse révolution de la loi Hamon

L’article 13 de la loi n° 2014-6344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon, autorise les avocats « dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État, (…) à recourir à la publicité ainsi qu’à la sollicitation personnalisée » (al. 1) ; étant précisé en outre que « toute prestation réalisée à la suite d’une sollicitation personnalisée fait l’objet d’une convention d’honoraires » (al. 2). Elle vient ainsi compléter l’article 3 bis de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Cet apport très (trop ?) médiatisé de la loi Hamon fait suite à un arrêt du Conseil d’État rendu le 13 décembre 2013 dans lequel la haute juridiction administrative avait jugé que les dispositions interdisant le démarchage et la publicité en matière de consultation et de rédaction d’actes juridiques étaient contraires à la directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Une telle décision ne pouvait alors qu’être saluée ; le marché du droit, et a fortiori la profession d’avocat, étant un milieu si concurrentiel qu’il eut apparu dé- suet de refuser à ses membres des outils aussi essentiels que la publicité ou le démarchage.

Mais la loi du 17 mars 2014 qui vient donc pleinement transposer, plus de sept ans après son adoption, la directive relative aux services dans le marché intérieur constitue-t- elle pour autant la révolution que certains laisseraient en- tendre ? On peut en douter et ce, pour trois raisons.

Tout d’abord, parce que cette loi n’apporte de nouveau que la possibilité pour les avocats de démarcher des clients ; celle d’avoir recours à la publicité préexistant à ce dispositif. En effet, l’article 10.1 du Règlement intérieur national (RIN) applicable à tous les barreaux de France précisait avant son entrée en vigueur (se référant à la loi du 31 décembre 1971 susmentionnée et aux décrets n° 72-785 du 25 août 1972 relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d’actes juridiques et n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat), que « la publicité est permise à l’avocat si elle procure une information au public et si sa mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession ».

En revanche, il en allait bien différemment s’agissant du démarchage puisque ce même règlement prévoyait au même article que « tout acte de démarchage, tel que défini à l’article 1er du décret n° 72-785 du 25 août 1972, est interdit à l’avocat en quelque domaine que ce soit ». Certains avocats avaient d’ailleurs cherché à jouer sur la frontière tenue entre publicité (qui se veut en principe générale) et démarchage (qui porte en principe sur une communication directe à une personne ciblée), au demeurant sans succès ; la Cour de cassation ayant alors qualifié la prétendue publicité de démarchage illicite (Cass. com., 30 septembre 2008, pourvoi n° 06-21.400, aff. Classaction.fr ; dans le même sens Cass. civ. 1ère, 4 mai 2012, n° 11-11.180, aff. Avocat-divorce.com). De tels contentieux ne devraient donc plus avoir lieu d’être, la loi du 17 mars 2014 ayant consacré un principe général d’autorisation de la « sollicitation personnalisée », formulation paraphrastique du démarchage.

Ensuite, parce qu’on peut s’attendre à ce que le décret qui fixera, sous l’influence à n’en pas douter du Conseil national des barreaux (ayant d’ores et déjà proposé un texte le 11 avril dernier), les conditions d’application du nouveau dispositif encadrant, on peut le croire, strictement l’exercice de ces pratiques ; le Conseil de l’ordre jouant pleinement son rôle de garde-fou en faisant scru- puleusement respecter les règles déontologiques et les procédures de contrôle à sa disposition. Il paraît donc plus qu’improbable que la France connaisse les dérives amé- ricaines qui s’illustrent à travers ces spots télévisés dans lesquels des avocats se mettent en scène pour faire leur auto-promotion à la Saul Goodman de la célèbre série télévisée Breaking Bad.
Enfin, parce que de manière générale, les avocats fran- çais font preuve d’une certaine frilosité à se vendre  ; l’image et les règles qui régissent la profession n’étant pas les mêmes qu’aux États-Unis par exemple. L’homme en robe français ne prostitue pas vulgairement son intellect.

En conclusion, beaucoup de bruit pour pas grand chose.

Gautier KERJOUAN

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