Le devoir de conseil en assurance vie

Auparavant, en vertu de l’adage emptor debet esse curiosu[1], il appartenait à chaque contractant de s’informer sur le portée de l’engagement qu’il s’apprêtait à prendre. Toutefois, il est désormais généralement établi que le professionnel est tenu d’informer le profane, et le droit des assurance n’a pas échappé à ce mouvement.

L’essor d’un « droit dur »

C’est à l’ordonnance du 30 janvier 2009[2] que l’on doit les fondements du devoir de conseil particulier mis à la charge des personnes qui font commerce de l’assurance vie. Prise en application de la loi du 4 août 2008, dite « Loi de Modernisation de l’Économie »[3], elle renforce le devoir d’information et de conseil de l’intermédiaire d’assurance[4]. Cette ordonnance traduit la volonté du législateur d’harmoniser certaines règles applicables à la commercialisation de produits d’épargne et d’assurance avec celles applicables à la commercialisation d’instruments financiers (issues notamment de la Directive MIF[5] transposée par une ordonnance du 12 avril 2007[6]) et d’adapter ces produits aux évolutions du marché.

L’œuvre du « droit souple »

En plus des règles de droit obligatoires, un certain nombre de textes de soft law[7] est intervenu pour clarifier le régime applicable en énonçant des bonnes pratiques à généraliser au sein de la profession.

Nous les devons pour la plupart à l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution[8] (ACPR), organe de régulation dont l’une des missions principales est d’exercer une surveillance permanente sur les entreprises d’assurances[9], courtiers et autres intermédiaires soumis à son contrôle.

En effet, après observation des pratiques du marché et des réclamations reçues des usagers sur le sujet, l’ACPR a publié une recommandation le 8 janvier 2013[10] . Dans celle-ci, elle précise ses attentes en matière de recueil des informations relatives à la connaissance du client.

Une clarification des modalités du devoir de conseil en assurance vie

Les moments du devoir de conseil ont été précisés. La recommandation prévoit que, pour remplir son devoir de conseil, l’assureur doit tout d’abord veiller à informer le client que le questionnement entrepris est effectué dans son intérêt. Cette démarche a en effet pour but de lui délivrer un conseil adapté à sa situation.

Ensuite, comme le prévoit la recommandation, il s’agira d’actualiser « en tant que de besoin » les informations recueillies antérieurement afin de fournir un conseil adapté. Ayant eu conscience du caractère équivoque de cette expression, propice à cristalliser un contentieux, le régulateur a pris les devants (et on l’en remercie !) en précisant les choses. Cela doit donc se faire, logiquement, avant toute souscription ; mais également tout au long de la relation contractuelle, à l’occasion d’événements susceptibles de modifier de façon significative le contrat (changement de situation familiale,patrimoniale ou professionnelle par exemple). L’Autorité précise ainsi qu’elle souhaite voir l’obligation d’actualisation des données clients étendue aux opérations en cours de vie du contrat, ce qui n’était pas systématique jusque-là dans la pratique.

Le contenu du devoir de conseil a été explicité. L’actualisation dont il est fait état peut se décomposer en plusieurs étapes :

  • Recueillir l’ensemble des informations permettant de déterminer les besoins et exigences du client, ses objectifs, son horizon de placement ;
  • Déterminer son profil d’épargnant et sa sensibilité au risque, en tenant compte notamment de sa connaissance et de son expérience en matière financière ;
  • Personnaliser et justifier de la raison qui a motivé le conseil fourni quant à un produit donné au regard des informations apportées par le client ;
  • Éclairer le client sur les caractéristiques des différents produits proposés en des termes compréhensibles par lui.

Les enjeux liés au respect du devoir de conseil pour les acteurs institutionnels

Apporter la preuve du respect d’une obligation légale protectrice du client. L’autorité de régulation indique que les entreprises d’assurance devront conserver ces éléments, de préférence par écrit, afin de s’aménager une preuve de l’exécution de leur devoir de conseil en cas de litige. Il s’agit là de l’étape de formalisation du devoir de conseil, qui se compose non seulement du recueil d’informations rempli avec le client, mais également de la proposition d’une ou plusieurs solutions adaptées à sa situation particulière. S’agissant d’un devoir de conseil, à distinguer par son intensité de l’obligation de renseignement ou de la mise en garde, le professionnel doit aller jusqu’à s’assurer de la cohérence et de la complétude des réponses du client telles qu’elles sont formalisées. Notamment, s’il constate une contradiction dans les réponses, il doit alerter le client et lui demander de rectifier (en cas d’incohérence entre l’objectif de souscription et l’âge du client par exemple). De plus,si l’assureur a l’obligation de poser l’ensemble des questions mentionnées, le client n’est pas tenu d’y apporter une réponse. Dans ce cas, l’assureur devra mettre en garde le client qu’il ne sera plus en mesure de lui fournir un conseil adapté. Cette mise en garde, signée par les deux parties, devra figurer sur le document qui formalise l’exécution du devoir de conseil. Se prémunir contre les sanctions d’un manquement au devoir de conseil.

L’ACPR veille à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des organismes et personnes soumises à son contrôle, et dispose dans ce cadre de pouvoirs de sanction importants. En cas de manquement à une réglementation, elle a la possibilité de délivrer dans un premier temps une mise en garde ou une mise en demeure de prendre toute mesure nécessaire à la mise en conformité dans le délai imparti. A défaut d’exécution, elle pourra dès lors prononcer des sanctions disciplinaires (avertissement, blâme, radiation du registre ORIAS, interdiction de pratiquer une activité), pécuniaires (100 millions d’euros au maximum de lege lata[11]) avec la possibilité de publier sa décision. L’ACPR a déjà procédé à de nombreux contrôles et a sanctionné au titre du manquement à leur devoir de conseil des assureurs et des courtiers[12]. A noter qu’elle peut sanctionner, y compris en l’absence de litige et de préjudice pour le client.

Par ailleurs, une action en responsabilité peut également être engagée par l’assuré devant les juridictions judiciaires sur le fondement du droit commun de l’article 1382 du Code civil si le manquement de l’assureur ou de l’intermédiaire à son devoir de conseil lui a causé un préjudice[13]. Des questions nouvelles suscitées par l’évolution des modes de commercialisation.
S’il est vrai que la plupart des opérations sont réalisées avec le client en agence, le démarchage téléphonique s’impose de plus en plus comme un mode de commercialisation usuel en assurance vie. Cela étant, des difficultés particulières se posent eu égard au devoir de conseil dû par l’assureur ou l’intermédiaire qui y aurait recours. Au niveau de l’information fournie sur l’identité du démarcheur, et après examen des réclamations reçues, l’ACPR a rappelé que les acteurs institutionnels se devaient de prohiber l’emploi de formules susceptibles d’induire en erreur[14]. Par exemple, la phrase « je vous appelle pour votre assurance » : « pour » pouvant alors signifier « au sujet de » ou bien « pour le compte de ». Elle a également précisé que les formules abusives sur l’étendue des garanties proposées telles que « les meilleures offres » ou encore « ce qui se fait de mieux » étaient à proscrire.

De plus, la question du recueil du consentement peut alors poser problème. Nombreux sont ceux qui ignorent pouvoir s’engager sans retourner de documents contractuels présentant une signature manuscrite. Or, le consensualisme[15] est un principe fondamental en matière contractuelle. Il est rappelé par le régulateur qu’il est alors nécessaire de tout mettre en œuvre pour que le consentement donné par le client soit éclairé. Pour cela, l’ACPR préconise d’accorder un délai de réflexion et d’avertir le prospect qu’il n’aura pas à retourner de documents pour que le contrat soit valablement formé.

Si les obligations liées au devoir de conseil peuvent paraître lourdes à intégrer, il en va de la protection du client et de ses intérêts. Reste à voir si les autorités qui fixent les contours de ce devoir de conseil ne vont pas finir par rompre l’équilibre précaire qui a pu s’instaurer au fil du temps entre juridique et commercial…

Jonathan Zachee

1. L’acheteur doit être curieux. //2. Ordonnance n°2009-106 du 30 janvier 2009 portant sur la commercialisation des produits d’assurance sur la vie et sur des opérations de prévoyance collective et d’assurance. //3. Loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME). //4. article L. 520-1 du Code des assurances. //5. Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments nanciers (MIF). //6. Ordonnance n°2007-544 du 12 avril 2007 //7. Droit souple, non obligatoire, mais disposant souvent d’une grande autorité en pratique //8. ACPR //9. Les missions de l’ACPR sont dé nies par l’art. L. 612-1 du Code monétaire et nancier (COMOFI) //10. Recommandation sur le recueil des informations relatives à la connaissance du client dans le cadre du devoir de conseil en assurance vie. //11. La proposition de loi Montgol er-Raynal relative à la répression des infractions nancières, enregistrée à la Présidence du Sénat le 7 octobre 2015, se propose, dans son article 4, de relever le plafond des sanctions administratives applicables devant l’ACPR (art.L.612-39 du COMOFI) et l’AMF à 100 millions d’euros ou alternativement à 15% du chiffre d’affaires annuel quand la société a une grande capacité nancière et que le gain tiré du manquement ne peut être évalué avec précision.//12.Voir dernièrement la décision de la Commission des sanctions de l’ACPR n°2014-11 du 20 juillet 2015 à l’égard de la société VAILLANCE COURTAGE //13. Voir à ce propos TI Paris, 7 octobre 2015, n° RG 11-14-0009 //14.Voir à ce propos TI Paris, 7 octobre 2015, n° RG 11-14-0009 //15. Il est traditionnellement déduit de l’article 1108 du Code civil (article 1128 au 1er octobre 2016) qui n’impose pas le formalisme comme condition essentielle à la validité du contrat.

 

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