L'affaire Vincent Lambert : la position prudente du Conseil d'Etat

Victime d’un accident de la route en 2008, Vincent Lambert, âgé de 38 ans, a d’abord été dans une phase de coma profond et se trouve aujourd’hui dans un coma dit « pauci-relationnel ». Le débat se situe aujourd’hui sur l’arrêt ou non du traitement qui le maintient en vie.

Cette affaire particulièrement médiatisée démontre deux points de tensions. Premièrement le souhait actuel de Vincent Lambert divise la famille en deux avis entièrement opposés. Deuxièmement, la prise de position du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, contraire à celle de l’équipe médicale en charge de M. Lambert, invoque la prudence du Conseil d’Etat.

Selon la loi « Léonetti[1] », en l’absence de directives anticipées et de la désignation d’une personne de confiance, l’équipe médicale sollicite l’avis de la famille avant la réflexion à propos d’un éventuel arrêt des traitements. La difficulté réside dans le fait que chacun des membres de la famille détient sa légitimité et chacun agit de bonne foi, pourtant les avis divergent (I.). Devant ce conflit insolvable, les deux parties de la famille cherchent un fondement médical : d’un côté il est nécessaire de maintenir en vie Vincent Lambert en état de « conscience minimale plus[2] », et de l’autre le traitement est constitutif d’une obstination déraisonnable (II.). Le Conseil d’Etat démontre d’autant plus de prudence que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a qualifié d’« erronée » la décision médicale (III.).

Le souhait supposé de Vincent Lambert : le conflit familial

Le tribunal administratif souligne, contrairement aux parents de V. Lambert, que ce dernier ne se trouve pas en fin de vie au sens de la loi Léonetti, en phase terminale ou avancée d’une maladie incurable, mais en état de handicap.

Le Conseil d’Etat se fonde alors, comme l’a fait le Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne, sur l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique : « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance (…), ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. »

En l’espèce Vincent Lambert est hors d’état d’exprimer sa volonté, et si le législateur a prévu deux possibilités pour le patient de faire connaître sa volonté de manière différée, celui-ci ne les a pas utilisées. Les deux juridictions ont relevé que Vincent Lambert n’a ni désigné de personnes de confiance[3], ni rédigé de directives anticipées[4]. L’équipe médicale a légitimement sollicité la famille pour savoir quelle serait, selon elle, la volonté de Vincent Lambert. La famille se révèle incapable de se prononcer uniformément sur le souhait actuel du patient. Les parents de Vincent Lambert souhaitent maintenir le traitement assurant, de manière artificielle, le maintien des fonctions vitales, tandis que la femme et le neveu soutiennent l’arrêt du traitement qu’ils caractérisent d’« obstination déraisonnable ».

La procédure illustre parfaitement ce déchirement. Début 2013, l’équipe de soins palliatifs du CHU de Reims dans lequel Vincent Lambert est hospitalisé relève des comportements inhabituels d’opposition lors des soins, faisant « suspecter » un refus de vivre. A l’issue d’une procédure collégiale de réflexion prévue par la loi Leonetti, l’équipe dirigée par le docteur Eric Kariger décide l’arrêt de la nutrition artificielle, son seul traitement. Son épouse donne son accord à cette décision médicale. Mais le 11 mai 2013, saisi par les parents au motif qu’ils n’ont pas été suffisamment informés, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a enjoint l’hôpital de Reims de « rétablir l’alimentation et l’hydratation normales[5] » de Vincent Lambert.

Le 14 février 2014, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne[6] a une nouvelle fois enjoint, à la demande des parents de Vincent Lambert, les médecins de l’hôpital de Reims de ne pas appliquer leur nouvelle décision d’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles de Vincent Lambert. Contrairement au jugement de l’équipe médicale, le tribunal administratif a estimé que « la poursuite du traitement n’était ni inutile ni disproportionnée et n’avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie ». Cela signifie bien que le Docteur Eric Kariger « a apprécié de manière erronée la volonté de Vincent Lambert en estimant qu’il souhaiterait opposer un refus à tout traitement le maintenant en vie ».

Suite à cette décision, l’autre partie de la famille n’est pas satisfaite du maintien d’un traitement qu’elle estime être constitutif d’obstination déraisonnable et fait appel devant le Conseil d’Etat[7].

Un traitement susceptible de caractériser l’obstination déraisonnable

Le motif d’appel est bien celui du caractère d’obstination déraisonnable. Elle peut être définie comme « un raisonnement buté de reconnaître qu’un homme est voué à la mort et qu’il n’est pas curable[8] ». Cette notion est issue de la loi Léonetti, qui la substitue à celle d’« acharnement thérapeutique». Le Conseil d’Etat rappelle les trois critères alternatifs donnant à un traitement le caractère d’obstination déraisonnable : l’inutilité, la disproportion par rapport à l’état du patient, et le maintien artificiel de la vie comme seul objet.

Après avoir, au même titre que le tribunal administratif, écarté implicitement les deux premiers critères, le Conseil d’Etat s’intéresse à l’éventualité d’un maintien artificiel de la vie comme seul objet. C’est ainsi que, éclairé par les travaux parlementaires préalables à l’adoption de la loi « Léonetti », le Conseil d’Etat affirme que « le législateur a entendu inclure au nombre des traitements susceptibles d’être limités ou arrêtés, au motif d’une obstination déraisonnable, l’ensemble des actes qui tendent à assurer de façon artificielle le maintien des fonctions vitales du patient ; que l’alimentation et l’hydratation artificielles relèvent de ces actes et sont, par suite, susceptibles d’être arrêtées lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable ».

Le Conseil d’Etat ne se prononce pas sur la qualification « d’obstination déraisonnable » du traitement de Vincent Lambert mais indique clairement que ce dernier est susceptible de la traduire au sens de la loi du 22 avril 2005. Il s’agit désormais, selon le Conseil d’Etat, de recueillir un avis médical qui, seul, pourrait qualifier ledit traitement d’obstination déraisonnable ou non.

Les compétences discutées du pouvoir judiciaire

Comme le rappelle le tribunal administratif dans son communiqué, le magistrat n’a pas pour rôle de « juger du sens de la vie ». Toutefois, le jugement du 16 janvier dernier est source de controverses. Il est possible d’apercevoir l’ombre de l’affaiblissement de la loi Léonetti, les juges administratifs remettent en cause la décision d’une équipe médicale prise conformément aux prescriptions de la loi.

Le Conseil d’Etat adopte une position plus prudente devant la tension de cette affaire. Outre la large médiatisation et la déception inéluctable de l’une des deux parties de la famille, le Conseil d’Etat doit rendre un avis conforme aux réalités médicales, et le cas échéant, à la volonté actuelle du patient.

Les éléments versés dans le cadre de l’instruction sur l’état de conscience de M. Lambert datent de juillet 2011. Ils ne permettent donc plus aujourd’hui au Conseil d’Etat de rendre une décision conforme à l’état actuel de Monsieur Lambert.

Trois médecins experts sont alors chargés de procéder à l’examen de M. Lambert, le Conseil d’Etat propose à l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique et le Conseil national de l’Ordre des médecins de se prononcer sur les enjeux de l’affaire. Le Conseil d’Etat estime ainsi qu’il lui appartient de juger sur le droit mais que les questionnements d’ordre médical relèvent de la compétence des médecins.

 

Thomas Chastagner

 


[1]    Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie

[2]    Examen au Coma Science Groupe du Chu de Liège, juillet 2011

[3]    Article L. 1111-6 du Code de santé publique

[4]    Article L. 1111-11 du Code de santé publique

[5]    TA Châlons-en-Champagne, ordonnance n°1300740, 11 mai 2013

[6]    TA Châlons-en-Champagne, 16 janvier 2014, n°1400029

[7]    CE, 14 février 2014, Mme P…U… et autres

[8]    Comité consultatif national d’éthique, avis n°63 sur la Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie, 27 janvier 2000

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.