Contrefaçon par imitation de la marque et risque de confusion

Par arrêt en date du 25 mars 2014[1], la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation rappelle aux juges du fond qu’en présence d’une action en contrefaçon par imitation de la marque, il leur appartient de procéder à une appréciation globale du risque de confusion. Les Juges du fond ne peuvent pas se limiter à constater la différence d’un élément entre deux signes distinctifs pour en déduire l’absence d’un risque de confusion.

 L’usage d’une marque sans l’autorisation de son titulaire est susceptible d’être sanctionné à l’appui d’une action en contrefaçon[2]. Lorsqu’il existe un conflit entre deux marques similaires mais non identiques ou entre une marque et un autre signe distinctif tel qu’un nom de domaine[3] qui seraient similaires, le titulaire de la marque déposée antérieurement dispose d’un recours en contrefaçon par imitation fondé sur les dispositions de l’article L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle. Dans ce cas, il s’agit d’une atteinte à la fonction de garantie d’origine de la marque et son titulaire doit prouver qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du consommateur d’attention moyenne. Pour déterminer l’existence de ce risque de confusion, les Juges doivent procéder à une appréciation globale dont la méthode résulte des arrêts Sabel/Puma[4], Canon[5] et Lloyd[6] de la Cour de Justice de l’Union Européenne sous peine d’être sanctionnés par la Cour de Cassation. Depuis ces arrêts, cette méthode est appliquée par les juridictions françaises mais, par moment, la Cour de Cassation doit de nouveau intervenir pour rappeler son application, tel en est le cas en l’espèce.

Les faits du présent arrêt sont relativement classiques. La société « Lézard Graphique » exerce depuis le 1er mars 1985 une activité d’imprimerie sous le nom commercial et l’enseigne « Lézard Graphique ». Le 12 avril 1999, elle a déposé la marque verbale « Lézard Graphique » et la marque semi-figurative « Lézard » à laquelle est jointe une lézard de couleur verte. Ces marques désignent des produits et services sous classes 16, 40 et 42. Parallèlement, une autre société dénommée « Studio Lézard Graphique », immatriculée au Registre du commerce et des sociétés depuis le 26 mai 1989, a déposé le 23 septembre 2009, la marque semi-figurative « Studio Lézard » accompagnée d’un lézard « stylisé » pour désigner des produits et services identiques à ceux des marques déposées par la société « Lézard Graphique ». La société « Studio Lézard Graphique » est également titulaire des noms de domaine « lézard-graphique.com » et « studio-lézard.com ». Considérant qu’il s’agissait d’une atteinte à ses marques, la société « Lézard Graphique » a intenté une action en contrefaçon à l’encontre de la société « Studio Lézard Graphique ».

Son recours a cependant été rejeté par la Cour d’Appel de Poitiers[7]. Elle a retenu que, d’une part, les deux marques étaient distinctes du fait de l’ajout du mot « studio » à la marque déposée par la société « Studio Lézard Graphique » et, d’autre part, la représentation du lézard dans les marques semi-figuratives en conflit était différente, aucune confusion n’étant susceptible de s’installer dans l’esprit du public même si les classes de produits et de services étaient identiques. Elle a donc conclu à l’absence d’acte de contrefaçon par imitation imputable à la société « Studio Lézard Graphique ». Le même raisonnement a été appliqué par la Cour d’Appel aux noms de domaine déposés par la société « Studio Lézard Graphique » ainsi que sur l’action en nullité de la marque « Studio Lézard »[8]. La société « Lézard Graphique » a formé un pourvoi en cassation. Elle a notamment soutenu que la Cour d’Appel de Poitiers aurait dû procéder à une appréciation globale du risque de confusion en prenant en compte les ressemblances des signes et ne pas se fonder uniquement sur leurs différences.

 Les seules différences entre les signes en conflit sont-elles suffisantes pour conclure à l’absence de risque de confusion dans l’esprit du public ?

La réponse de la Cour de Cassation est claire et expéditive. Sous le visa de l’article L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle et de l’article L 711-4, l’arrêt de la Cour d’Appel de Poitiers est cassé pour défaut de base légale. La Cour de Cassation considère que la Cour d’Appel n’aurait pas dû se limiter à constater les seules différences ente les signes en conflit pour en conclure à l’absence de risque de confusion et rejeter l’action en contrefaçon mais aurait dû rechercher si, par une appréciation globale, il pouvait exister un risque de confusion dans l’esprit du consommateur d’attention moyenne.

I. L’absence de risque de confusion ne se détermine pas par la seule constatation d’un élément divergent

 Il ressort très clairement des arrêts « fondateurs »[9] de la Cour de Justice de l’Union Européenne précités que l’existence ou non d’un risque de confusion ne peut être déterminée qu’en se référant à un seul critère qui fait que les signes distinctifs en cause sont différents. En effet, depuis ces arrêts, la Cour de Cassation a systématiquement cassé les décisions des Juges du fond qui n’ont retenu qu’un seul élément pour apprécier ce risque de confusion et rejeter un recours en contrefaçon[10].

A ce titre, la jurisprudence considère que d’isoler un terme n’est pas correct pour considérer que les marques différent et qu’il n’existe pas de risque de confusion[11]. De même, les Juges du fond ne peuvent pas non plus se limiter à la seule vue des similitudes entre les marques pour décider qu’il existe un risque de confusion[12]. C’est ce qui est reproché à la Cour d’Appel de Poitiers par la Cour de Cassation. En effet, la Cour d’Appel de Poitiers avait relevé que le terme « studio » impliquait une différence entre les marques, et entre la marque contrefaite et le nom de domaine et en a directement conclu que le consommateur ne pouvait pas les confondre. Son analyse s’est donc limitée à soulever cette seule différence. Concernant les marques semi-figuratives, c’est le même raisonnement qui a été appliqué en précisant que les lézards étaient de couleur et de représentation différentes.

La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a rappelé à la Cour d’Appel que cette analyse n’était pas suffisante. Avant de conclure à l’absence de risque de confusion et de rejeter l’action en contrefaçon et l’action en nullité de la marque intentées par la société « Lézard Graphique », la Cour d’Appel aurait dû appliquer la méthode globale.

II. L’existence d’un risque de confusion se détermine au regard d’une appréciation globale

 Il existe plusieurs éléments qui peuvent influencer le consommateur dans son appréciation d’une marque et des produis et services qui lui font écho. Au delà de simples similitudes ou divergences entre les marques, d’autres critères peuvent induire le consommateur en erreur et le porter à croire qu’un produit ou qu’un service provient bien du titulaire de la marque contrefaite. Tel est le cas des spécialités des marques en cause ou encore de la notoriété de la marque antérieure à la marque contrefaisante. Le risque de confusion ne peut donc pas résulter uniquement d’un seul facteur tel qu’un terme différent, mais il doit être apprécié au regard de tous les éléments d’espèce en cause par l’application de la méthode globale dégagée notamment par l’arrêt Sabel/Puma[13]. Les Juges du fond doivent se fonder sur une appréciation globale en examinant les signes dans leur ensemble et à la vue de tous ces éléments déterminer l’impression globale qui risque d’être induite sur le consommateur d’attention moyenne.

 C’est ce principe qui est rappelé par la Cour de Cassation par le présent arrêt. Elle constate que c’est « au vu des seules différences relevées entre les signes » que la Cour d’Appel a décidé qu’il n’y avait aucun risque de confusion et ceci « sans rechercher si les ressemblances existantes ne créaient pas un risque de confusion pour un consommateur d’attention moyenne n’ayant pas simultanément les deux signes sous les yeux ». Le seul ajout du terme « studio » et la différence de couleur et de représentation entre les lézards n’étaient pas suffisants pour retenir qu’aucun risque de confusion n’était susceptible d’atteindre l’esprit du public. La Cour de Cassation rappelle à la Cour d’Appel qu’elle doit s’expliquer sur le risque de confusion en faisant application de la méthode globale. Cet arrêt aura donc la vertu d’une piqûre de rappel conforme à une jurisprudence constante de la Cour de Cassation depuis plus de dix ans.

David Tarbes

Master 2 Droit du Multimédia et des Systèmes d’Information

Université de Strasbourg


[1] COM. 25/03/2014, pourvoi n°13-13690.

[2] L’article L 716-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « l’atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue un acte de contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur […] ».

[3] A.Bouvel, « Marques et Noms de Domaine », Fascicule 7519, Jurisclasseur Marques – Dessins et modèles, paragraphe 34 et suivants.

[4] CJCE, 11 novembre 1997, aff. C-251/95.

[5] CJCE, 29 septembre 1998, aff. C-39/97.

[6] CJCE, 22 juin 1999, aff. C-342/97.

[7] Arrêt en date du 18 décembre 2012.

[8] Cette action est fondée sur les articles L 714-3 et L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle.

[9] S.Durrande, “Atteintes à la marque – reproduction et imitation de la marque”, Fascicule 7511, Jurisclasseur Marques – Dessins et modèles, paragraphe 79.

[10] Il s’agit d’une jurisprudence constante de la Cour de Cassation. Voir notamment COM. 26 novembre 2003, Bull.Civ. 2003, IV n°180 et plus récemment COM. 1er juin 2010, pourvoi n°09-15568, Bull. Civ. 2010, IV, n°103.

[11] CA Paris, 18 janv. 2006, n°04/24385, Dior Prestige.

[12] COM. 26 novembre 2003, op. cit.

[13] Op. cit.

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