Le contrat de vente est « le plus usuel des contrats »

Le contrat de vente est « le plus usuel des contrats » (Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. GautierLes contrats spéciaux, 4e éd., Defrénois, 2009, n° 60, p. 37).

Selon l’article 1582  alinéa 1er du Code civil, « La vente est une convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer ». L’article 1603 du même code précise que le vendeur « a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu’il vend. » Si cette conception dualiste des obligations du vendeur semble claire, elle est néanmoins problématique en cas d’inexécution de l’une d’elle par ce dernier, ce qui complexifie largement les choses pour un acheteur lésé.

La naissance juridique d’une conception dualiste fortement débattue

Si la frontière entre ces deux obligations semble tout à fait nette et ne pas présenter de difficulté, cela n’est pas le cas lorsqu’on analyse juridiquement leur vivre ensemble. En effet, la conception dualiste des obligations tenant au vendeur de la chose est née dans un paysage juridique tumultueux. Il semble nécessaire de préciser le contenu des divergences jurisprudentielles de la Cour de cassation à ce sujet.

En effet, avant l’avènement de cette conception dualiste qui semble singulière de nos jours, il y avait un affrontement certain entre d’un côté la 3ème chambre civile et de l’autre la 1ère chambre civile et la chambre commerciale. Cette divergence portait sur la consistance de l’obligation de délivrance conforme de la chose vendue.

Pour la 3ème chambre civile, il était opportun d’appréhender l’obligation de délivrance conforme comme étant la remise de la chose telle qu’elle a été décidée dans les stipulations du contrat conclu entre les parties. Ainsi, elle considère qu’il y aura un défaut de conformité dès lors qu’il y aura une différence entre la chose délivrée et la chose convenue. Il faut donc analyser les caractères matériels de la chose. Cette conception stricte de l’obligation de délivrance a pour effet de délimiter clairement les deux obligations du vendeur : il y aura défaut de conformité dès lors que la chose délivrée ne sera pas la même que celle convenue par les stipulations contractuelles et inversement. Ainsi il y aura un vice caché dès lors que la chose délivrée sera conforme aux stipulations contractuelles mais ne permettra pas à l’acheteur de pouvoir faire usage de la chose.

Néanmoins, ce n’est pourtant pas la conception adoptée par la 1ère chambre civile ni par la chambre commerciale.

En effet, si elles adoptent le même postulat de départ elles vont néanmoins plus loin dans le raisonnement. Ainsi, elles considèrent que dans tout contrat de vente, il y a une stipulation implicite entendue comme étant le pouvoir de jouir de la chose. Elles estiment donc que la chose doit être conforme aux stipulations expresses du contrat mais la chose doit également être conforme à son usage normal. La doctrine qualifie classiquement cette jurisprudence de « conformité fonctionnelle ». L’obligation de conformité contiendrait donc en elle-même l’obligation de garantie contre les vices cachés de sorte que, le vendeur n’aurait plus qu’une obligation de délivrance conforme entendue comme intégrant la garantie contre les vices cachés.

Cependant, cette période d’incertitude jurisprudentielle est aujourd’hui révolue puisque la Cour de Cassation s’est accordée sur une conception dualiste des obligations du vendeur.

Si la déception de l’acheteur réside dans l’absence d’un caractère matériel convenu par les stipulations du contrat alors l’acheteur devra nécessairement invoquer une action en inexécution de délivrance conforme. En revanche, si le désarroi de l’acheteur réside dans un défaut fonctionnel de la chose qui le prive de son usage normal alors l’acheteur devra nécessairement agir sur le fondement de l’inexécution de l’obligation de garantie contre les vices cachés.

Ceci dit, il semble nécessaire de mettre en avant les désavantages de ce système pourtant ancré depuis 20 ans au sein de la jurisprudence française.

Une jurisprudence abstraite dans ses contours

En pratique, la distinction entre le défaut de conformité et le vice caché n’est pas forcément évidente car le défaut de conformité peut ne pas être apparent, ne se rapproche-t-on pas, alors, du vice caché ?

C’est sur cette problématique que les différentes formations de la Cour de Cassation semblent également être dépassées. Il n’est pas rare de rencontrer en pratique, deux solutions complètement différentes pour un même cas d’espèce, où l’une des juridictions aura estimé qu’il s’agissait d’un défaut de conformité et l’autre d’un vice caché. Si même les magistrats les plus compétents ne sont pas en mesure de s’accorder sur chacune de ces solutions, que peut faire l’acheteur pour ne pas se tromper de fondement juridique ? Si une erreur de fondement peut sembler anodine, cela n’est plus le cas depuis un célèbre arrêt de 2007 rendu en Assemblée plénière.

Dorénavant, les juges ne disposent que d’une faculté de requalifier le fondement juridique, ils n’ont plus l’obligation de le faire. Or, aux vues de l’engorgement croissant de notre système judiciaire, il serait étonnant que les juges prennent le temps de requalifier le contrat, ce qui aurait comme effet de rallonger la procédure, alors qu’il leur suffirait d’invoquer un défaut de qualification juridique et ainsi rejeter la demande de l’acheteur.

Cette considération montre l’ampleur de la complexité pour l’acheteur de voir aboutir sa demande en justice. En effet il semble paradoxal d’exiger d’un acheteur qu’il invoque le bon fondement au risque de perdre son procès alors même que les magistrats ne sont pas en mesure de s’accorder sur le sujet.

Cela vient confirmer les lacunes de la définition stricte du défaut de conformité. Il semble néanmoins que la 1ère chambre civile et la Chambre commerciale aient trouvé un moyen juridique d’accorder les intérêts de l’acheteur tout en respectant l’article 1603 du code civil. En effet, reconnaître qu’il existe au sein même de l’obligation de délivrance conforme une obligation sous-jacente de garantie contre les vices cachés permet d’éviter à un acheteur lésé de se fourvoyer lors de l’introduction de sa demande en justice. Toutefois, il faut espérer que la Cour de cassation retravaille encore cette jurisprudence afin de mieux protéger l’acheteur.

La nécessité reconnue de façonner la demande en justice afin de ne pas tomber sous les jalons de la jurisprudence de 2007

Pour éviter tout désagrément, et surtout pour éviter de voir l’acheteur être débouté de sa demande il semble nécessaire de façonner la demande en justice. En effet, si les juges n’ont pas l’obligation de requalifier le fondement juridique, ils ont en revanche l’obligation de statuer sur l’ensemble des demandes portées devant eux. Il semble donc nécessaire que l’acheteur introduise une demande principale sur le fondement qu’il désire ainsi qu’une demande incidente sur le second fondement. Cette solution permet à l’acheteur de pallier aux incertitudes jurisprudentielles quant à la distinction entre un vice caché et un défaut de conformité puisque dans tous les cas, sa demande pourra être traitée sur l’un ou l’autre de ces fondements en fonction des interprétations jurisprudentielles.

Cette solution n’est qu’un palliatif à ce manque de clarté permettant à l’acheteur de voir sa demande en justice traitée, cette jurisprudence lacunaire semble devoir absolument être revue afin de s’adapter aux usagers et non l’inverse.

Juliette BERANDI

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