La transformation d’une kafala en adoption plénière.


La kafala est une mesure d’accueil légal d’un enfant mineur (dit makfûl) par une famille (dite kafil) prenant l’engagement de prendre en charge son entretien, son éducation et sa protection. Cette mesure révocable ne crée aucun lien de filiation entre le recueillant et l’enfant. Son domaine concerne non seulement les enfants qui ont une filiation légalement établie mais il s’étend aussi aux enfants de filiation inconnue. 


La kafala est reconnue par la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 comme une mesure pérenne de protection de l’enfant sans famille, qui ne crée aucun lien de filiation entre kafîl et makfûl. 

Dans les pays du Maghreb, l’adoption (en tant que mécanisme juridique créant un lien de filiation) est interdite au Maroc et en Algérie, seule la kafala, mesure ne créant pas de lien de filiation, est autorisée. Les lois algérienne et marocaine permettent la concordance des noms patronymiques avec le kafil mais cette concordance n’a aucun effet sur le lien de filiation et ne donne pas droit à la transcription sur le livret de famille du ou des makfûl. Précisons que la Tunisie reconnaît l’adoption depuis la loi du 4 mars 1958 modifiée par la loi du 19 juin 1959.

La réception en droit français des institutions de droit musulman n’est pas un cas d’école. En effet, dès les années quatre-vingt, le juge français a dû faire face à de nombreuses situations dans lesquelles les institutions familiales de droit musulman avaient vocation à produire des effets juridiques en France (cas du mariage polygame, de la répudiation (1), par exemple). 

La loi n°2001-111 du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale prévoit que les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant, et si l’adoption est le fait de deux époux, à la loi des effets de leur union. Cependant, l’adoption ne peut être prononcée si la loi nationale de l’un ou l’autre époux l’a prohibe (article 370-3 alinéa 1er du Code civil).

De même, l’adoption du mineur étranger ne peut pas être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution (article 370-3 alinéa 2 du Code civil). Il faut comprendre alors que si la loi nationale de l’adoptant ou si la loi des effets de l’union d’époux prohibe l’adoption, ils ne pourront adopter. Pareillement, le mineur étranger dont la loi nationale prohibe l’adoption ne pourra pas être adopté.  Cependant, une adoption est envisageable si le mineur est né et réside habituellement en France (article 370-3 alinéa 2 du Code civil). En effet, la Cour de cassation a jugé que l’enfant ne peut pas être adopté en France si sa loi personnelle prohibe l’adoption tout en précisant que « la kafala n’est pas une adoption et que, par ailleurs, l’enfant n’était pas né et ne résidait pas habituellement en France » (2). Ce procédé législatif a été jugé conforme à l’article 8 de la Convention européenne. En effet, la Cour européenne énonce que le refus de prononcer l’adoption d’un enfant recueilli par kafala « ne constitue pas une différence de traitement ni une atteinte au droit de mener une vie familiale normale et ne méconnaît pas l’intérêt supérieur de l’enfant, dès lors que la kafala est expressément reconnu par la Convention de New York relative aux droits de l’enfant, au même titre que l’adoption » (3). Cependant, il est possible de contourner la loi personnelle interdisant l’adoption grâce au droit de la nationalité. 

Il s’agit de savoir si l’interdiction d’adoption posée par le statut personnel de l’enfant ne peut pas être contournée grâce au droit de la nationalité (4). Conformément à l’article 21-12 du Code civil, l’enfant qui, depuis au moins cinq ans, a été recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française, peut réclamer la nationalité française. L’élément d’extranéité ainsi éliminé ramènerait la situation dans l’orbite du droit français. Ainsi, l’enfant ne serait donc plus soumis à sa loi personnelle qui interdit l’adoption mais à la loi française. 

Pma bébé

Une réponse ministérielle du 21 août 2008 énonce que « dès lors que l’enfant a été élevé pendant cinq ans en France par des français, la nationalité française peut lui être accordée, selon les conditions fixées par l’article 21-12 du Code civil. La loi française lui étant alors applicable, l’enfant devient adoptable (5)». À l’appui de cette argumentation, soulevons un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 février 2011 (6) sur une déclaration de nationalité française de l’enfant recueilli par kafala qui a conduit à son adoption plénière.

Il est possible de contourner la loi personnelle interdisant l’adoption grâce au droit de la nationalité mais reste la question du consentement nécessaire du représentant légal de l’enfant. Conformément aux dispositions de l’article 370- 3 du Code civil, l’adoption requiert le consentement du représentant légal de l’enfant.  En droit français, on a admis la constitution d’un conseil de famille ad hoc sur le territoire français permettant aux membres du conseil de famille de consentir à l’adoption lorsque l’enfant n’a pas de filiation connue (Civ. 1 ère, 30 septembre 2003, n° 01-02.630).

En effet, il faut rappeler que selon la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 4 décembre 2013 (7), « le consentement de l’adoption ne peut être donné par le conseil de famille que lorsque les père et mère de l’enfant sont décédés, dans l’impossibilité de manifester leur volonté ou s’ils n’ont perdu leurs droits d’autorité parentale ou encore lorsque la filiation de l’enfant n’est pas établie ». Ainsi, si les enfants ont été reconnus par leurs parents biologiques qui continuent d’exercer leurs droits d’autorité parentale, le consentement du conseil de famille ad hoc sera sans effet devant les juridictions françaises. 

Une adoption simple est révocable sous certaines conditions contrairement à l’adoption plénière irrévocable. Contrairement à la kafala qui permet de mettre fin au lien qui les unit aux enfants, les adoptants ne pourront plus rompre leur lien de filiation à l’égard des enfants une fois que l’adoption plénière aura été prononcée par le juge français. 

Une fois l’adoption prononcée, les enfants pourront être inscrits sur le livret de famille et recevoir tous les droits patrimoniaux et sociaux auxquels ils auront droit en application de la loi française.

Cependant, la transformation d’une kafala en adoption est tributaire des aléas inhérents à toute procédure judiciaire car comme l’a énoncé récemment la Cour de cassation « la solution ne dépend pas de la seule constatation de l’acquisition de la nationalité française mais suppose l’examen d’une situation concrète relevant de l’office du juge du fond (8) ». 

Sonia BEN MANSOUR

Elève avocate, doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne 

1) Mode de dissolution du mariage exclusivement tributaire de la volonté unilatérale et discrétionnaire du mari (source : Marie Claude Najm, « Le sort des répudiations musulmanes dans l’ordre juridique français. Droit et idéologie(s) »., Droit et cultures (en ligne), 59/ 2010-1, mis en ligne le 06 juillet 2010http, URL : http:// droitcultures.revues.org/2070).

2) Civ 1ère, 10 mai 2006 : Dr. Famille. 2007, comm. 96, note M. Farge ; JCP G 2007, II, 10072, note M.Farge;         D.2007, p.816, obs. H. Fulchiron ; Defrénois 2007, p.133, note M. Révillard ; p. 307, note J.Massip ; AJF 2007, p.32 obs. A.Boiché ; RJPF 2007-1/35, note M-C Le Boursicot ; JDI 2007 comm.11, p.564, note C. Brière ; Civ.1ère, 9 juillet 2008, D. famille 2008, comm.133, note M.Farge ; Defrénois 2008, p.2181, note M.Révillard ; AJF 2008, p.394, obs.A.Boiché).

3) CEDH 4 octobre 2012, Harroudj c. France req. n° 43631/09.

4) Raisonnement de P. Murat, « le refus de transformation en adoption », AJ famille, n°7-8, 2012.

5) Dans le même sens : Rép. Min. Justice n°000878 et 00293, JO Sénat, 30 août 2007, page 1545.

6) Paris, 15 février 2011, AJ fam. 2011. 320, obs. Douris, n°10/127/18.

 7) Civ 1ère, 4 décembre 2013, n°12-26.161 (1387 FS-P + B +I), AJ. Famille 2014, page 180, A. Boiché.

8) Civ. avis 17 décembre 2012 n°12-00.013.

 

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