La mise en œuvre du maintien des prestations complémentaires de prévoyance, pour le salarié, en cas de résiliation par l’assureur du contrat de prévoyance

Par un arrêt du 30 juin 2016[1], la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise la mise en œuvre du maintien des prestations complémentaires de prévoyance, pour le salarié, en cas de résiliation par l’assureur du contrat de prévoyance.

Le mécanisme de la prévoyance complémentaire d’entreprise

Si un accident du travail donne lieu à un arrêt de travail, la victime perçoit des indemnités journalières de sécurité sociale[2]. Elles sont versées par la Caisse Primaire d’Assurance-Maladie[3]. Par ailleurs, l’employeur est obligé de maintenir, en partie ou en totalité, la rémunération du salarié accidenté. Cette obligation résulte de la convention collective applicable dans l’entreprise. Si la convention collective ne prévoit rien, ou si elle est défavorable au salarié, il faut appliquer la loi[4].

Au-delà des obligations légales et conventionnelles, l’entreprise a la faculté de mettre en place un régime de prévoyance au profit des salariés, afin de faire face à l’insuffisance du régime général de sécurité sociale ; le montant des indemnités journalières de sécurité sociale étant plafonné[5]. Pour cela, il souscrit un contrat collectif de prévoyance auprès d’un organisme assureur afin de les garantir notamment contre les risques liés au décès, l’invalidité ou l’incapacité ; ces risques pouvant découler d’un accident de travail. L’employeur verse alors des cotisations à l’organisme assureur. En contrepartie, l’organisme assureur s’engage à délivrer des prestations complémentaires de prévoyance, aux salariés ou à leurs ayants-droit, en cas de réalisation de l’un des risques.

Les conséquences du non-paiement des cotisations par l’employeur à l’assurance

Lorsque l’employeur conclut un contrat collectif de prévoyance avec une assurance – tel est le cas en l’espèce – il faut appliquer le Code des assurances. Lorsque les cotisations ne sont pas payées, l’article L. 113-3 du Code des assurances dispose : “qu’à défaut de paiement d’une prime […], dans les 10 jours de son échéance […], la garantie ne peut être suspendue que 30 jours après la mise en demeure de l’assuré […]. L’assureur a le droit de résilier le contrat 10 jours après l’expiration du délai de [la suspension de garantie]”.

Durant le premier délai de 10 jours, les prestations complémentaires de prévoyance restent dues par l’assureur, en cas de réalisation du risque décès, incapacité ou invalidité. Si l’employeur ne s’acquitte pas de son obligation de cotiser, à l’issue de ce premier délai de 10 jours, l’assureur adresse une mise en demeure de payer. Cette mise en demeure fait courir un délai de 30 jours pendant lequel l’assureur reste toujours tenu au versement des prestations complémentaires, en cas de survenance du risque.

A défaut de régularisation après l’expiration de ce délai de 30 jours, les garanties au contrat de prévoyance sont suspendues pendant un second délai de 10 jours. La suspension ne met pas fin au contrat et l’employeur reste tenu au paiement des cotisations. A l’issue de ce second délai de 10 jours, l’assureur peut résilier le contrat en cas de non-paiement des cotisations de l’employeur.

Le maintien des garanties prévu par la loi Evin de 1989

La loi Evin[6] prévoit notamment le maintien des prestations et des garanties en cas de modifications des conditions d’assurance ou de résiliation du contrat de prévoyance, à l’initiative de l’employeur ou de l’organisme assureur.

Ainsi, l’article 7 de la loi Evin dispose : « lorsque des assurés ou des adhérents sont garantis collectivement contre les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, le risque décès ou les risques d’incapacité ou d’invalidité, la résiliation ou le non-renouvellement du contrat ou de la convention est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution. Le versement des prestations de toute nature se poursuit à un niveau au moins égal à celui de la dernière prestation due ou payée avant la résiliation ou le non-renouvellement, sans préjudice des révisions prévues dans le contrat ou la convention […] ».

Il ressort de ce texte que le salarié bénéficie du maintien des garanties de prévoyance en cas de résiliation ou de non-renouvellement du contrat d’assurance. Il continue à percevoir les prestations immédiates ou différées, à condition qu’elles soient acquises ou nées durant l’exécution du contrat collectif de prévoyance.

Schéma explicatif de l’article 7 de la loi Evin

Aucune prestation complémentaire de prévoyance acquise lorsque l’accident de travail survient pendant la période de suspension des garanties du contrat collectif de prévoyance

En 2004, une société conclut un contrat collectif de prévoyance auprès d’une société d’assurance régie par le Code des assurances. Le 15 mai 2008, un des salariés de l’entreprise est victime d’un accident de travail. Suite à son incapacité de travail due à cet accident, le salarié sollicite auprès de l’assurance le versement de prestations complémentaires de prévoyance.

Le 24 septembre 2008, l’assureur lui oppose un refus de prise en charge, au motif que l’accident du travail s’est réalisé pendant la période de suspension des garanties du contrat collectif de prévoyance. En effet, les garanties du contrat sont suspendues depuis le 7 mai 2008, à la suite du non-paiement des cotisations dues par l’employeur. Ce dernier n’ayant pas régularisé sa situation ni dans le délai de 30 jours à compter de l’envoi de la mise en demeure, ni dans le délai de 10 jours à compter de la suspension de garanties, l’assureur résilie le contrat de prévoyance le 17 mai 2008, en application de l’article L. 113-3 du Code des assurances.

Schéma explicatif des faits de l’arrêt

Pour contester le refus de prise en charge de l’assureur, et être ainsi indemnisé, le salarié invoque l’article 7 de la loi Evin de 1989. Dès lors, se pose la question de savoir si des prestations peuvent être acquises ou nées pendant la période de suspension des garanties par application de l’article 7 de la Loi Evin.

La Cour de cassation répond par la négative, au motif que : « la cour d’appel, ayant relevé que l’accident du travail dont avait été victime M. X… était survenu pendant la période de suspension des garanties de l’assurance collective de prévoyance, ayant fait suite à la vaine mise en demeure adressée par l’assureur à la société Fimespace pour le règlement des cotisations impayées de l’assurance, a décidé à bon droit qu’aucune prestation n’avait été acquise ou n’était juridiquement née avant la suspension ou la résiliation des garanties, de sorte que M. X… ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’article 7 de la loi du 31 décembre 1989 ».

Ainsi, aucune prestation ne peut être acquise ou née durant la période de suspension de garanties du contrat collectif de prévoyance. En conséquence, l’article 7 de la loi Evin de 1989 n’est pas applicable en l’espèce au salarié.

Une solution peu favorable pour le salarié

Cette solution se révèle être sévère pour le salarié, étant donné qu’il subit les conséquences du manquement de son employeur pour le non-paiement des cotisations ; conséquences qui ne sont pas imputables au salarié.

Toutefois, cette solution reste logique, dans la mesure où la Cour de cassation ne fait qu’interpréter littéralement l’article 7 de la loi Evin. Elle ne vise que « la résiliation ou le non-renouvellement du contrat ou de la convention” et non pas la suspension des garanties du contrat de prévoyance. En l’espèce, les prestations complémentaires de prévoyance n’ont été ni acquises, ni nées du fait de la suspension du contrat collectif de prévoyance ; le salarié ne peut donc pas bénéficier du maintien de ces prestations.

Il ne reste plus au salarié que la possibilité d’engager la responsabilité contractuelle de l’employeur devant le Conseil des Prud’hommes[7]. En effet, l’employeur n’a pas respecté son engagement envers le salarié de le garantir contre certains risques[8]. La suspension des garanties au contrat collectif de prévoyance ne suspend pas l’obligation de l’employeur envers le salarié. Ainsi, le salarié peut demander, sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil (article 1147 avant la réforme du droit des obligations du 10 février 2016), le versement de dommages et intérêts.

Céline Gundogdu

Master 2 DPSE, Promotion 2016/2017, Université Paris I – Panthéon Sorbonne, Apprentie juriste chez Flichy Grangé Avocats

Pauline Thorel

Master 2 DPSE, Promotion 2016/2017, Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, Apprentie juriste chez UNMI

[1] Cass. 2e Civ., 30 juin 2016, n°15-18.639

[2] CSS, Art. L. 321-1

[3] CSS, art. L.433-1

[4] C. trav., art. L. 1226-1

[5] CSS, art. L. 433-2

[6] Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques.

[7] C.trav. art. L. 1411-1: “Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient”.

[8] Cass. soc. 19 mars 2014 n°12-24976 : « Que l’employeur se trouvait dans l’obligation de procéder à une déclaration auprès de l’organisme de prévoyance, que le défaut de souscription par cet employeur du contrat d’assurance groupe prévue par la convention collective, dont les règles plus favorables s’imposaient à lui, ouvrait droit à indemnisation, la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir que la période d’arrêt maladie de la salariée ne devait pas être exclue pour le calcul de son ancienneté, a fait une exacte application du texte conventionnel »

Pour en savoir plus :

Courtieu G., “Assurance de groupe – Prévoyance complémentaire : mise à l’écart de l’article 7 de la loi n°89-1009 du 31 décembre 1989”. Responsabilité civile et assurances, Octobre 2016. n°10. Comm. 287

Krajeski. D., “Chronique de droit des assurances”. Hebdo édition privée. 8 sept. 2016. Édition n°667 de Ravel d’Esclapon, T., “Assurance collective de prévoyance : sort de l’accident de travail survenu pendant la période de suspension des garanties”. Dalloz Actualité. 18 juill. 2016

Rigaud. D., “Une prestation peut-elle être acquise pendant la suspension du contrat d’assurance ?”. JCP S, 18 octobre 2016, n°41, 1354, p. 31-32

ARGUS DE L’ASSURANCE. Il n’est pas de la responsabilité personnelle du dirigeant de s’assurer du paiement des cotisations de prévoyance [en ligne]. Disponible sur : < http://www.argusdelassurance.com/institutions/il-n-est-pas-de-la-responsabilite-personnelle-du-dirigeant-de-s-assurer-du-paiement-des-cotisations-de-prevoyance.110373 >. (Consulté le 03/11/2016).

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