L’adage "qui ne dit mot consent" devient une réalité dans l’administration française

I. Un principe issu de la loi du 12 novembre 2013

Voici enfin arrivés les décrets précisant les exceptions au nouveau principe selon lequel le silence gardé par l’administration sur une demande formulée par un administré vaut acceptation (1).

Ces textes sont la conséquence de la loi du 12 novembre 2013, qui modifie radicalement le droit positif, notamment en introduisant dans la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration une nouvelle rédaction de l’article 21 : « Le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation. »

En outre, ce renversement du principe traditionnel, selon lequel le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut rejet, traduit une révolution culturelle puisque désormais l’absence de réponse de l’administration devient créatrice de droits.

 II. Un principe déjà inscrit dans les mœurs administratives

À l’origine, il s’agissait d’offrir à l’administré une voie de recours  lorsque ce dernier était confronté à l’inertie administrative. Ainsi, et à l’issue d’un délai de deux mois, l’administré devenait titulaire d’une décision implicite de rejet qu’il pouvait alors contester devant le juge administratif.

Contrairement au Conseil constitutionnel (2), le Conseil d’État a mis un certain temps à donner à ce principe, selon lequel le silence de l’administration vaut rejet, sa pleine valeur, prévoyant d’abord la possibilité d’y déroger par voie réglementaire (3). Puis, dans un arrêt beaucoup plus récent, il est revenu sur sa solution en consacrant l’existence d’un principe général du droit (4).

Par la suite, l’intervention du législateur en novembre 2013 a marqué la naissance d’une toute autre logique : il s’ est agi non plus d’offrir une voie contentieuse à l’administré mais de modifier les conditions d’action de l’Administration.

Pour rappel, avec la loi du 12 avril 2000, le délai d’obtention d’une décision implicite de rejet avait été réduit de quatre à deux mois, et des pans entiers de l’action administrative avaient été placés sous le régime d’une décision implicite valant acceptation.

En ce sens, la loi du 12 novembre 2013 se fait simplement écho d’un principe déjà inscrit dans les mœurs administratives.

 III. Un principe soumis à de nombreuses exceptions et dérogations

Plusieurs exceptions sont toutefois maintenues et pour lesquelles le principe demeure que le silence de l’administration vaut rejet.

La première exception repose sur la notion de bonne administration. Cette notion recouvre essentiellement les demandes d’accès aux documents et de concours de la force publique.

La seconde série d’exceptions trouve son origine dans la volonté du législateur. Il s’agit d’abord des demandes qui ne visent pas une décision individuelle (i.e. les demandes de modification, d’abrogation ou de retrait d’un acte réglementaire), les demandes ne s’inscrivant pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire, ou encore les demandes de nature financière adressées aux administrations fiscales et douanières.

Enfin, le dernier type d’exceptions repose sur les nécessités de respecter les normes supra-législatives. Sont ainsi visées les normes constitutionnelles, les engagements internationaux de la France et notamment le droit de l’Union européenne.

À ces exceptions s’ajoutent également un certain nombre de dérogations liées notamment aux délais. C’est ainsi que l’obtention d’une autorisation conforme à un document type sera acquise à l’issue d’un délai d’un mois, dans la mesure où le traitement de cette demande ne rencontre aucune difficulté. En revanche, le délai sera allongé dès lors que la décision en cause est de nature à causer un préjudice à un tiers.

Dans tous les cas, exceptions ou dérogations, je vous invite à consulter les différents décrets (soixante au total) qui viennent préciser la liste des actes concernés.

Finalement, il est fort probable que cette liste ne soit pas exhaustive et que ces décrets suscitent dans le futur un important contentieux ; de même qu’ils renforceront sans doute le caractère inconfortable de la situation de l’administré, condamné à consulter systématiquement les décrets et multiples tableaux pour retrouver la décision cherchée et attendre le temps qu’il faut pour obtenir soit une acceptation, soit un rejet…

Laëtitia Marant

(1) JORF n°0254 du 1 novembre 2014.

(2) Dans une décision du 26 juin 1969, le Conseil constitutionnel a affirmé que le principe selon lequel le silence gardé par l’administration vaut décision implicite de rejet constituait un « principe général de notre droit ».

(3) Conseil d’État, 27 février 1970, Commune de Bozas.

(4) Conseil d’État, 14 février 2001, Ministre de l’Emploi et de la Solidarité c/ M. Bouraib.

 

« Pour en savoir plus »

– Légifrance : Journal officiel « Lois et Décrets » – JORF n°0254 du 1er novembre 2014.

– Loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens.

– Lettre de veille juridique de l’Institut Droit et Santé de Paris V – Période du 1er au 15 novembre 2014.

– Site officiel du service public.

Les Échos (site internet), Pierre Deprez et Capucine Porcher, « Le silence gardé de l’administration valant acceptation, un principe exceptionnel », 19 novembre 2014.

– Didier Ribes, Maître des requêtes au Conseil d’État, « Le nouveau principe « silence de l’administration vaut acceptation»»,  AJDA 2014, p. 389.

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