Le contrat de sous-occupation du domaine public: entre droit public et droit privé


Si d’aucuns  considèrent la distinction droit privé / droit public comme désuète, il n’en demeure pas moins qu’elle se révèle utile, a minima dans l’attribution des contentieux à tel ou tel ordre de juridiction. Néanmoins, il demeure des matières dans lesquelles l’incertitude règne et pour lesquelles la friabilité de la frontière susmentionnée est criante, c’est le cas notamment des sous-contrats d’occupation du domaine public.


Par son arrêt du 14 mai 2012, Madame Gilles[1], le Tribunal des conflits est venu confirmer sa jurisprudence en matière de compétence contentieuse dans le domaine des sous-contrats d’occupation du domaine public. Ce dernier, reprenant la solution de son arrêt de 1956, Société des Steeple-Chase de France[2], a reconnu la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de tout litige portant sur un contrat conclu entre un occupant privatif du domaine public non délégataire de service public et un autre opérateur privé, portant autorisation d’occupation du domaine public. Cette solution, si elle peut sembler logique au regard du principe bien établi selon lequel les conventions conclues entre deux personnes privées relèvent du juge judiciaire, suscite de nombreuses interrogations qu’il convient de mettre en lumière.

Dès lors, la question se pose de l’interprétation extensive effectuée par le Tribunal des conflits de la disposition légale prévoyant l’attribution du contentieux des contrats d’occupation du domaine public. En effet, le décret-loi du 17 juin 1938, repris à l’article L 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, prévoit que le juge administratif est compétent pour connaître du contentieux des contrats d’occupation domaniale conclus par les personnes publiques et leurs concessionnaires. Tout le problème émane de l’imprécision de cette disposition due au caractère amphibologique de la notion de concession. Ainsi, dans l’arrêt de 1956, le Tribunal des conflits avait, dans une interprétation restrictive de la notion, limité la portée de cette disposition aux concessionnaires de service public, ce qui avait largement été regretté par Marcel Waline[3]. Après avoir confirmé à plusieurs reprises cette jurisprudence[4], le Tribunal des conflits l’a faite évoluée dans notre arrêt de référence, en utilisant l’expression plus moderne de « délégataire d’un service public », ce qui étend a priori le champ d’application de l’ancienne jurisprudence à d’autres formes contractuelles que sont l’affermage et la régie intéressée. Une étude d’ensemble de cette jurisprudence confirme donc que le Tribunal des conflits, dans un élan d’audace, a bel et bien ajouté une condition à l’office du juge administratif en la matière, non prévue par le législateur, celle du service public. La justification tient dans la volonté du Tribunal des conflits de laisser au juge judiciaire toutes les affaires concernant des contrats à portée purement commerciale.

Kiosque

Toutefois, si cette position, qui fait primer une certaine interprétation du critère organique dans la détermination du juge compétent, peut paraître recevable à plusieurs égards, il convient toutefois d’affirmer qu’il aurait été tout aussi acceptable de faire primer le critère matériel qui réside, dans notre cas, en la domanialité publique de l’objet du contrat. Ainsi, l’on pourrait considérer que le juge administratif soit le juge naturel du contentieux de l’occupation du domaine public et que les exigences de bonne administration de la justice entrent également en jeu pour lui échoir la totalité de ce contentieux, nonobstant toute considération de nature organique. Certains auteurs jugent donc que la simple occupation privative du domaine public comme objet de la convention suffit à emporter la compétence de la juridiction administrative, ce qui a bien été nourri par l’arrêt du Tribunal des conflits Société BE Diffusion contre RATP et société Promo Métro[5], qui semblait reconnaître la compétence à la juridiction administrative pour tous les litiges relatifs à la passation, à l’exécution ou à la résiliation des contrats emportant occupation du domaine public. Le Tribunal des conflits aurait ainsi pu faire primer le critère matériel, ce qui n’eut pas été une première pour lui. En effet, dans son arrêt de 1963, Entreprise Peyrot[6], il fait application du seul critère matériel pour qualifier les marchés de travaux des concessionnaires d’autoroutes de contrats administratifs et des auteurs ont fait l’analogie avec la situation des sous-concessions domaniales[7]. Alors pourquoi ne pas plaider pour une unification contentieuse sous le giron du juge administratif ?

V. LAMY

Faculté de Droit d’Aix en Provence

POUR EN SAVOIR PLUS

PAULIAT (H.), « Sous-concessions du domaine public : le maintien contestable de la compétence judiciaire », RJEP 2012, n°55, p.18.

YOLKA (P.), « Les sous-concessions domaniales – Cartographie d’un contentieux », JCP Adm. 2007, n°5 p. 24.

WALINE (M.), « Les contrats comportant occupation du domaine public », note sous TC, 10 juill. 1956, Sté des Steeple-chases de France, RDP 1957, p. 522.

UBAUD-BERGERON (M.), « Les sous-concessions domaniales », in Contrats et propriété publics, sous la direction de CLAMOUR G., Ed. LexisNexis, 2011, p. 111.

DEROUESNE (E.) et SIMONEL (L-X.), « Le contrat entre un occupant du domaine public et son sous-occupant finira-t-il par relever du droit public ? », JCP G 2011, n°41, p. 1816.


[1]  TC, 14 mai 2012, Madame Gilles contre Sté d’Exploitation Sport Evènements et Ville de Paris, req. n°3836

[2]  TC, 10 juill. 1956, Sté des Steeple-chases de France, R., p. 587.

[3]  WALINE (M.), « Les contrats comportant occupation du domaine public », note sous TC, 10 juill. 1956, Sté des Steeple-chases de France, RDP 1957, p. 522.

[4]  Voir notamment, TC, 23 févr. 1981, Sté Socamex, R., p. 501 ; TC, 15 mars 1999, Schmitt, R., p. 443 ; TC, 18 oct. 1999, Préfet de Corse, R., p. 468.

[5]  TC, 24 sept. 2001, Sté BE Diffusion c/ RATP et sté Promo Métro, R., p. 747.

[6]  TC, 8 juill. 1963, Sté entreprise Peyrot c/ sté de l’autoroute Estérel Côte d’azur, R., p. 548.

[7]  Voir en ce sens, JANICOT (L.), « La qualification des sous-contrats d’occupation du domaine public. L’ininvocabilité des contrats administratifs par les tiers », RFDA 2012, p. 692.

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