Le silence vaut accord : un principe au cœur de la discorde

Le mouvement de simplification du Droit, mis en œuvre depuis trois ans par le président de la République et son gouvernement, a reçu les critiques les plus fleuries en doctrine qui y a vu un « choc de la complexification »[1], voire même une « malédiction »[2].

L’une des principales cibles : le silence vaut accord. Face à la multiplication alarmante des exceptions, une proposition de loi, déposée à l’Assemblée le 11 mai, pointe l’ineffectivité d’un principe qui se voulait pourtant une révolution.

I- Le silence vaut accord : Principe ou exception ?

 

Pour rappel, la loi du 12 novembre 2013, habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, pose le principe selon lequel le silence gardé par l’administration vaut acceptation. Désormais codifié à l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), il s’applique depuis le 12 novembre 2014 à l’État et ses établissements publics, et depuis le 11 novembre 2015 aux collectivités territoriales et leurs établissement publics. Néanmoins, la multiplication des exceptions tenant tant au principe de l’acceptation implicite qu’au délai applicable, vire à l’absurde, le principe semblant devenir progressivement l’exception.

Tout d’abord, trois décrets, parus au Journal officiel le 11 novembre 2015, dressent une première liste fournie d’exceptions au principe. Le premier décret (n° 2015-1459) expose les procédures pour lesquelles le principe serait incompatible avec « le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public ». Le deuxième décret (n° 2015-1460) prévoit des exceptions pour « des motifs tenant à l’urgence ou à la complexité de la procédure ». Quant au troisième décret (n° 2015-146), il pose des exceptions plus spécifiques portant notamment sur la délivrance du permis de construire en matière d’installations classées, où le délai est porté à huit mois.

Par ailleurs, des décrets en Conseil d’État et en conseil des ministres peuvent écarter le nouveau principe eu égard « à l’objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration ». Enfin, des décrets en Conseil d’État peuvent moduler le délai de deux mois à partir duquel naîtra une décision d’acceptation ou de refus.

Depuis, ce n’est pas moins d’une quarantaine de décrets qui ont successivement posé de nouvelles exceptions à un principe que l’on peut aujourd’hui considérer comme renversé.

Ainsi, c’est sans surprise qu’un ultime décret n°2016-625 du 19 mai 2016 ajoute aux exceptions – déjà très nombreuses – cinq nouvelles catégories de décisions pour lesquelles le silence de l’administration vaut rejet : l’inscription à un service public dont l’accès est limité par la prise en compte des capacités d’accueil (avec un délai de quatre mois), l’attribution de distinction honorifique, la parution ou encarts sur les supports de communication, la réalisation de prestations de services ou de travaux, et enfin, la délivrance de fournitures ou matériels.

Face à l’inflation des exceptions, et par souci de lisibilité, le site internet Légifrance a donc résumé le dispositif dans un tableau de pas moins de onze pages. Ce tableau, sans aucune valeur juridique, témoigne de la complexité et de l’illisibilité du dispositif en vigueur, à l’heure où la simplification du droit constitue un leitmotiv.

Force est donc de constater que le principe selon lequel le silence de l’administration vaut rejet perdure dans de très nombreux cas. Se pose alors la question de l’opportunité d’un principe aux exceptions plus nombreuses que ses cas d’application.

 

II- Vers une rationalisation vitale des exceptions ?

 

Qualifié de véritable révolution administrative, le principe selon lequel le silence de l’administration vaut accord, loin de permettre le choc de simplification attendu, semble provoquer le trouble tant dans le monde juridique que politique. Outre la multiplication des articles de doctrine assassins, une proposition de loi « relative à l’effectivité et à l’efficacité du principe du « silence de l’administration vaut accord » »[3] a été déposée à l’Assemblée visant à renforcer un principe aujourd’hui largement ineffectif.

L’exposé des motifs dénonce, « au-delà des effets d’annonce, [une] mise en œuvre [qui] se révèle contreproductive […], à l’origine d’une complexité accrue pour les entreprises ». Le constat dressé est effectivement amer : sur « les 3600 procédures potentiellement concernées par la réforme, seules 1200 se sont vues appliquer le principe de l’acceptation tacite ». Par ailleurs, si le délai de deux mois reste la norme, sur les 1200 procédures, 470 se voient régies par des délais de trois à neuf mois.

Ainsi, c’est à une double difficulté que se voient confrontés les administrés, ces derniers devant rechercher si leur demande est soumise au principe (SVA) ou relève des exceptions (SVR), et, ensuite, le délai dans lequel la décision d’acceptation ou de rejet naît.

L’administré en quête du droit applicable devra alors rechercher si sa demande est régie par l’un des multiples décrets posant une exception au principe. Si la tâche apparaît trop rude, une seconde solution, en apparence plus accessible, se présente à lui : étudier la liste des demandes régies par le principe de l’accord tacite. Guide ultime des administrés en péril, la liste publiée sur le site Légifrance recense, de manière évidemment non exhaustive s’agissant d’un principe – car à l’impossible nul n’est tenu – les demandes pour lesquelles le silence de l’administration vaut acceptation et le délai applicable. Il ne restera alors plus qu’à trouver, parmi les 114 pages, la référence adéquate. Pas sûr que le choc de simplification saute aux yeux de l’administré qui n’est donc même pas sûr de trouver sa demande listée. À titre anecdotique, l’exposé des motifs, présenté à l’appui de la proposition de loi, précise que cette liste est « écrite en petits caractères et sur deux colonnes », et ce évidemment afin de faciliter encore davantage la recherche déjà très complexe.

Le dispositif est donc source d’insécurité juridique, notamment à l’égard du droit à un recours effectif, l’administré pouvant se croire bénéficiaire, à tort, d’une décision implicite d’acceptation et laisser alors s’écouler le délai de deux mois lui permettant de contester le rejet opposé par l’administration à sa demande.

Fort de ce constat, pour le moins préoccupant, la proposition de loi met en exergue « la nécessité d’adapter la loi, pour redonner du sens à ce principe, le rendre réellement […] source de simplification pour les entreprises et les particuliers » en réduisant le nombre d’exceptions.

Ainsi, l’article 2 prévoit une révision annuelle des exceptions afin de « conduire à [leur] baisse progressive […] compte tenu des progrès effectués ». Par ailleurs, l’article 4 propose un système dit du 1 pour 1, système semblable à celui des commissions administratives, à savoir que « pour toute nouvelle procédure créée entrant dans le champ des exceptions, une autre procédure existante devra basculer dans le droit commun ». Cette règle aurait l’avantage de figer définitivement le nombre d’exceptions. Est également suggérée la suppression de l’article L. 321-5 du CRPA qui permet de créer des exceptions « eu égard à l’objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration ». Cette imprécision rédactionnelle témoigne de l’embarras du Gouvernement face à la difficulté pratique d’appliquer le principe révolutionnaire de l’acceptation tacite.

Cependant, la proposition de loi va plus loin, jusqu’à en devenir elle-même aussi irréaliste que le droit positif qu’elle entend critiquer. En effet, l’article 1er vise à modifier le point de départ du délai au terme duquel la décision d’acceptation naît en prenant en compte, non pas le jour où l’administration compétente reçoit le dossier complet, mais celui où la demande est reçue par un service de l’administration, compétent ou non. S’il existe une obligation légale de redirection vers le service compétent, cette erreur a pour conséquence d’augmenter le délai effectif au terme duquel l’administré pourra obtenir une décision définitive.

Néanmoins, malgré les bonnes intentions de l’auteur de cette proposition, ce dispositif conduira nécessairement à des détournements massifs. Les demandeurs auront tout intérêt à se tromper volontairement d’administration afin que le délai commence à courir et que l’administration compétente ait le moins de temps possible pour étudier le dossier. Certaines décisions implicites d’acceptation pourraient être illégales ou mener à des situations inextricables, par exemple deux permis octroyés sur le même terrain. Quid alors du principe de sécurité juridique ?

Si le Gouvernement présentait la réforme de 2013 comme une révolution administrative, le constat est aujourd’hui amer face à un principe vidé de sa substance. Une nouvelle réforme réaliste devra alors être opérée afin d’éviter le naufrage, car si « [le] triomphe des démagogies est passager […] les ruines sont éternelles » (C. Péguy).

 

Laure FESIAK

Laure MENA

Numéro Spécial Libertés fondamentales, Juillet-Août 2016 

 

[1] P. CASSIA, Recueil Dalloz 2015, p. 201.

[2] B. SEILLER, Dalloz, RFDA 2014, p. 35.

[3] Proposition de loi n°3730, 10/05/2016, Assemblée nationale.

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