La réforme du droit des contrats


Le Petit Juriste consacre son dossier du mois à l’évènement incontournable de ce début d’année 2014 : la réforme du droit des contrats. Les Professeurs Nicolas Molfessis et Dimitri Houtcieff, nous font l’immense honneur d’apporter leurs éclairages sur certains aspects essentiels de celle-ci.


 

Le changement, c’est maintenant ! Laissons au lecteur, la libre appréciation de l’effectivité de ce slogan relativement à notre doux pays ; en droit des contrats, l’heure de la réforme a officiellement sonné.

Annoncée il y’a près de dix ans, lors des festivités organisées à l’occasion du bicentenaire de ce qui était perçu par le Doyen Carbonnier comme la «véritable constitution» de la France (1), cette réforme nécessaire s’était faite désirée. Pas moins de trois avant-projets marquèrent les esprits, cependant que le silence des institutions faisait craindre qu’elle ne devienne l’Arlésienne du droit civil.

Préservé autant que possible de l’usure du temps par l’œuvre prétorienne, le droit des contrats ne pouvait pourtant échapper à la refonte. En effet, comblant les lacunes depuis fort longtemps, le juge créa un droit peu stable et difficilement lisible. En outre, le Code civil était à l’ombre de codes satellites dans nombre de domaines aussi fondamentaux que les clauses abusives. Le droit français des contrats, devenu droit d’érudits, ne pouvait se maintenir tel quel à l’heure d’une concurrence internationale accrue entre les droits. Bien davantage qu’une prise en compte des rapports Doing Business de la Banque mondiale, injustement sévères avec notre ordre juridique (2), c’est un retour à l’accessibilité et à l’intelligibilité qui fut, alors, placé au cœur des velléités de réforme. En somme,  une «réconciliation avec le code (3)» qui, ainsi modernisé et débarrassé de ses dispositions désuètes, aura assurément plus de poids dans la perspective probable d’une harmonisation européenne.

L’initiative, louable s’il en est, n’est que partielle et partant quelque peu décevante. Réformer le droit commun du contrat, en gardant un droit des contrats spéciaux obsolète n’est-il pas risqué (4)? Qu’importe, si tout n’est pas parfait, la machine est en marche. Le 15 janvier, le dernier projet du Gouvernement fut publié par le site du quotidien Les Echos. D’ores et déjà, les changements sont importants et pour le moins symboliques. Mais le premier accroc ne s’est pas fait attendre. Le même jour, le Sénat décida de supprimer l’habilitation demandée par le gouvernement, au motif que «la commission des lois du Sénat a estimé que la réforme du droit des obligations et des contrats, réforme majeure du Code civil, était trop importante pour être conduite par ordonnance. (5)»

Si la suite de l’histoire reste donc à écrire, attardons-nous sur trois modifications probables et fondamentales de notre ordre contractuel. Focus sur la période précontractuelle, la cause et la théorie de l’imprévision.

 

Anis FAYED

 

LA PERIODE PRÉCONTRACTUELLE.

Si, sur de nombreux points, la réforme envisagée est loin d’être innovante, la partie relative à la formation du contrat apparaîtra d’emblée à mettre au crédit du codificateur. L’avant-projet contient en effet une section entière sur la conclusion du contrat, au sein de laquelle ont été regroupées des règles relatives à la négociation (Sous-section 1), l’offre et l’acceptation (Sous-section 2), la promesse unilatérale et le pacte de préférence (Sous-section 3).

Ignoré du Code civil, le processus de formation du contrat est, on le sait, resté l’œuvre d’une jurisprudence parfois décousue, souvent incertaine et discutée. Aussi, l’entrée dans le Code civil de la période précontractuelle présentera l’avantage évident de lever certaines interrogations et, surtout, de mettre fin aux solutions chaotiques qui continuent de peser sur la matière des avant-contrats.

L’avant-projet débute ici par la consécration d’un principe de liberté des négociations contractuelles, lesquelles doivent être dominées par la bonne foi. A ce titre, il conforte la jurisprudence Manoukian, en affirmant que les dommages et intérêts en cas de rupture fautive ne peuvent avoir pour objet de compenser les pertes des bénéfices attendus du contrat non conclu (article 11). Il met un terme aux discussions en cas de décès de l’offrant, optant pour la caducité de l’offre et non sa transmission aux héritiers (article 18). Il précise utilement que les conditions générales invoquées par une partie n’ont d’effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à sa connaissance et si elle les a acceptées, ajoutant, de façon plus surprenante, qu’en cas de discordances entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet (article 20) : voici ainsi consacrée une forme inédite d’absence de choix en cas de conflit de stipulations contractuelles, qui conduit dès lors à se demander quelle devra être la solution applicable puisqu’aucune des deux clauses, dans cette logique nihiliste, ne s’applique. L’avant-projet tranche également les questions tant choyées des auteurs (pervers) de cas pratiques, du moment comme du lieu de conclusion du contrat, en affirmant que le contrat est parfait dès que l’acceptation parvient à l’offrant et qu’il est réputé conclu au lieu où l’acceptation est parvenue (art. 22).

L’essentiel, ici, est surtout dans les dispositions consacrées à la promesse unilatérale de contrat et au pacte de préférence. L’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit de venir mettre un terme aux errements d’une jurisprudence qui, depuis vingt ans, insuffle de l’insécurité juridique dans ces contrats dont l’intérêt premier est précisément de rendre davantage prévisible une période précontractuelle dominée par l’hésitation et l’incertitude. Ainsi, en deux alinéas dépourvus d’ambiguïté, l’avant-projet règle le sort des deux questions les plus discutées en matière de promesse unilatérale de vente : la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter ne peut empêcher la formation du contrat promis et le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul (article 24). Vive la loi !

C’est également la seule connaissance par le tiers de l’existence d’un pacte de préférence – finie l’exigence prétorienne de sa connaissance de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir – qui permet au bénéficiaire du pacte d’en demander soit la nullité soit d’être substitué dans le contrat conclu. L’option est ingénieuse, car elle permet au bénéficiaire d’évincer le tiers sans devoir nécessairement, pour autant, se mettre dans ses chaussures, lesquelles pourraient ne pas lui convenir. Dans le même temps, l’article 29 de l’avant-projet consacre, dans un but évident de sécurité juridique, une action interrogatoire, qui permet au tiers désireux de conclure le contrat, de mettre le bénéficiaire supposé d’un pacte de préférence en demeure de lui confirmer l’existence d’un tel pacte, afin qu’il sache exactement s’il doit s’abstenir de conclure le contrat envisagé.

Econome de mots mais animée par une volonté de clarification de la matière, la section sur la conclusion du contrat devrait ainsi permettre de dégonfler les fiches de TD des premières séances de droit des contrats comme d’ailleurs celles de contrats spéciaux. C’est un avantage non négligeable.

 

Nicolas MOLFESSIS, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II).

 

CAUSE TOUJOURS : ÇA INTÉRESSE !

« Propositions » et autres « avant-projets » de réforme du droit des obligations se succèdent : autant de prétextes pour évoquer une grande cause nationale, celle de l’article 1131 du Code civil. Le projet dit « Catala » opta pour son maintien, au point de lui consacrer davantage d’articles encore que le code Napoléon. A revers, l’avant-projet dit « Terré » proposa sa suppression. La Chancellerie se perdit un temps sur les chemins tortueux de la notion d’intérêt qui, outre sa vacuité, avait cet inconvénient de n’avoir pas la moindre légitimité historique. Voici maintenant que les travaux diligentés sous l’égide du Ministère de la justice accouchent d’un texte opinant à nouveau pour la suppression de la cause.

Le petit juriste pourrait y trouver son compte : ne lui enseigne-t-on pas depuis le vieux Demolombe que la cause est cet obscur objet du désir des contractants ? Et de la voir qui se mue et se transmute au fil des arrêts, au gré des auteurs : ici cause finale ou efficiente, la cause objective ou subjective, à moins qu’il ne soit discuté de la subjectivation de la cause objective ! Bref, bien souvent la cause varie et bien fol est qui s’y fit. N’est-il donc pas temps d’expurger du droit français une notion qui nuirait à sa lisibilité et à son efficacité, incitant le rédacteur de contrat, cet exilé lexical, à céder à la tentation des droits de common law ? Nous l’avions suggéré lorsqu’il nous revint de rédiger le rapport consacré au contenu du contrat, lors de la rédaction des travaux du groupe de travail dirigé par François Terré.

Reste que la cause a ses raisons que la raison ne doit pas ignorer, et ses utilités qu’il convient de conserver : l’abandon de la cause ne signifie pas qu’il faille jeter avec elle les acquis jurisprudentiels qui lui sont attachés. Après tout, la cause n’étant désormais plus qu’une notion fonctionnelle, autant replacer ses fonctions au premier plan. Résumons-les, quitte à caricaturer un brin : en tant qu’elle est un but poursuivi par les contractants, elle permet de jauger la licéité et la moralité de l’acte ; en tant qu’elle est abstraite, elle permet de vérifier l’existence, voire l’équivalence d’une contrepartie dans les contrats synallagmatiques. Plus discutablement, elle paraît constituer le fondement d’une introuvable obligation essentielle paralysant des clauses pourtant valablement stipulées. Le projet parvient-il à séparer le bon grain de l’ivraie ? Cantonne-t-il les débords jurisprudentiels ? Borde-t-il les fonctions de la cause dans le lit qu’elle n’aurait pas dû quitter ? En l’état, il est permis d’en douter.

Sur le terrain du but, le document dont nous disposons prévoit d’affirmer que « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par son contenu, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ». A cet égard, selon l’expression du Professeur Terré, le texte est « à jurisprudence constante ». Aussi regrettera-t-on la timidité de la formulation, qui n’ose faire révérence aux « droits et libertés fondamentaux », quand pourtant la convention ne saurait s’y soustraire : leur évocation n’eût pourtant pas manqué d’élégance. Le document affirme encore que l’erreur « sur un simple motif » n’est pas une cause de nullité, ce qui n’émeut pas davantage : rien de neuf sous le soleil.

Quittons donc les terres de la cause subjective pour rejoindre celles de la cause objective. Selon l’article 75, un « contrat à titre onéreux est nul lorsque, lors de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». La maladresse est frappante ! C’est du contrat commutatif qu’il aurait dû être question : à suivre le texte à la lettre, le contrat aléatoire pourrait succomber à l’annulation ! Voici pourtant qu’en écho, l’article 78 dispose que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des obligations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement ». Entre deux, comme indécis, l’article 76 généralise le dispositif des clauses abusives, affirmant qu’ « une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée ».

Aussi incertaine qu’approximative, cette rédaction amalgame ainsi contrat et obligation, onérosité et synallagmatisme, laissant aux alcades le soin de concilier la nullité de la convention à titre onéreux en cas de contrepartie dérisoire et la validité du contrat synallagmatique malgré le défaut d’équivalence ! A moins que le juge ne choisisse  – faveur contractuel oblige – la troisième voie que constitue la nullité partielle de telle « clause abusive », cette séquelle de la jurisprudence Chronopost ? Il n’est vrai que ce n’est point là le plus regrettable avatar textuel de cette jurisprudence, dès lors que le projet fulmine que toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle est réputée non écrite : partiellement redondante de la généralisation des clauses abusives, l’évocation de l’obligation essentielle aurait pour inéluctable conséquence de figer davantage le contenu des conventions tout en conférant au juge, dans un contexte d’imprévisibilité crasse, la charge de déterminer ce qu’elle est, sans parfois que les parties aient même pu l’anticiper…

Au final, l’on se ralliera bien volontiers au parti de la disparition de la cause. Encore faudra-t-il que le gouvernement revoie sa copie ou que le parlement y pourvoie. Un brin de cohérence et de lucidité dans la détermination des fonctions utiles de la notion ne nuirait pas : ce serait pour la bonne cause !

 

Dimitri HOUTCIEFF, Professeur à l’Université d’Evry Val-d’Essonne.

 

L’IMPRÉVISIBLE RECONDUITE DE L’ARRÊT CANAL DE CRAPONNE

Parmi la cascade de changements qu’emporte le projet de réforme, nul doute que le marin habitué à voguer sur les mers contractuelles s’attendait à voir la règle posée par l’arrêt Canal de Craponne chavirée. On s’en souvient, par cette décision de 1876, la Cour de cassation décida que malgré le changement profond des circonstances affectant l’économie du contrat, le juge ne pouvait modifier ses termes afin que l’équilibre soit retrouvé (6). Ainsi, en dépit de la tempête, le juge ne peut dévier la course du contrat, quitte à ce que cette inertie cause la ruine d’une partie.

Afin d’atténuer la rigueur de la solution, le juge fit preuve de créativité. Déjà, en se fondant sur le devoir de bonne foi de l’article 1134 du Code civil, il créa une obligation de renégocier le contrat (7). Ensuite, faisant usage de la cause, il estima que le changement de circonstances privant de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par une partie l’autorisait à mettre un terme à la relation contractuelle (8). Ainsi, même si la révision judiciaire demeurait exclue, de timides remous venaient remettre en cause l’atonie judiciaire.

Et pourtant, une partie de la doctrine demeurait opposée à l’arrêt de 1876 qui, semble-t-il, repose sur une défiance dépassée à l’égard du juge et qui conduit une des parties à la ruine. La force de cette critique réside notamment dans la diversité des auteurs qui la portent : certains battent pavillon solidariste, d’autres libéral mais tous dirigent leurs canons contre Canal de Craponne de sorte que sa reddition semblait inévitable (9).

Bien au contraire ! L’article 104 du projet commenté semble davantage compiler que réformer les règles relatives à l’imprévision : s’il est fait une place à la renégociation (alinéa 1er) et à la fin (alinéa 2nd) du contrat demandée par une partie, ces deux règles évoquant les arrêts cités, la révision judiciaire authentique n’est pas consacrée. En effet, la seule révision tolérée est celle demandée par les deux parties, ce qui revient à ne rien ajouter au droit existant !

Si cet immobilisme surprend, il nous semble parfaitement justifié. Déjà, on ne manquera pas de saluer le calme dont fait preuve le projet face aux sirènes du droit comparé dont l’utilisation est ici contestable. Ensuite, on soulignera que le projet fait justement appel à la responsabilité des parties qui demeurent libres de prévoir des clauses de renégociations ou d’indexation (10). Cet effet répulsif de la règle commentée est critiqué par certains qui craignent que rares sont les personnes suffisamment au fait pour prévoir ce qui est justement imprévisible. Ces mêmes auteurs avancent d’ailleurs l’idée que permettre la révision judiciaire aurait également le même effet, les parties cherchant alors à se prévenir de l’action du juge. L’argument est séduisant mais nécessite d’être confronté aux intérêts en présence. Or, en l’espèce, il semble que la balance penche dans le sens de la doctrine de la Cour de cassation qui permet d’allier sécurité juridique et mansuétude à l’égard de la partie affectée par le changement de circonstances dans la mesure où celle-ci peut obliger l’autre partie à renégocier le contrat et demander au juge de mettre un terme au contrat afin de limiter les conséquences néfastes dudit changement.

En définitive, loin d’être timide, le projet se veut résolument sage car pesant le pour et le contre, il reconduit la règle posée en 1876. Ainsi est confirmée l’idée déjà éprouvée que la vie de Canal de Craponne est un long fleuve tranquille !

 

Maxime CORMIER

 

Notes :

1)  J. Carbonnier, «Le Code civil», dans Pierre NORA (dir.), Les lieux de mémoire, t. 2, « La Nation », Paris, Gallimard, 1986, p. 309.

2)  Sur lesquels v. P. Morvan, Introduction au droit, LGDJ-Lextenso, 2013 p.30, n°30.

3) D. Mazeaud, «Droit des contrats : réforme à l’horizon !», D.2014.291.

4) En ce sens, Ph. Stoffel-Munck, «Réforme du droit des obligations : la force obligatoire du contrat en danger», www.dalloz-actualite.fr.

5)  www.senat.fr > Espace presse > Communiqués de presse > 15 janvier 2014.

6) Civ. 6 mars 1876, D.76.1.193, note Giboulot ; Terré & Lequette, Les Grands arrêts de la jurisprudence civile, T.2, Dalloz, 12e édition, p.183.

7) Com. 3 nov. 1992 ; RTDciv.1993.124, obs.Mestre.

8) Com. 29 juin 2010, n°09-67.369 ; D.2010 p.2481 obs.Mazeaud et p.2485 obs.Genicon.

9) Mazeaud, La révision du contrat, LPA 30 juin 2005, n°129, p.4 et D.2014 p.291.

10) Terré, Simler & Lequette, Les Obligations, Dalloz, 11e édition, n°471.

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