L’abolition du régime particulier à l’Alsace-Moselle en matière de déclaration inexacte du risque

Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution de l’article L.191-4 du Code des assurances, disposition particulière aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle en matière d’assurance générale.

Le droit commun en la matière est prévu aux articles L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances. Ces articles prévoient deux types de sanctions en cas de déclaration de l’assuré non conforme à la réalité, à savoir :

  • La déchéance de la garantie si l’assuré a agi de mauvaise foi
  • La réduction proportionnelle des indemnités normalement dues lorsque la constatation de la mauvaise déclaration a lieu qu’après l’accomplissement d’un sinistre.

Cependant, cette règle souffre une exception dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Lorsque la mauvaise foi de l’assuré n’est pas établie, la résiliation ou la réduction de l’article L. 113-9 du Code des assurances n’est pas encourue dans trois hypothèses :

  • Si le risque omis ou dénaturé était connu de l’assureur
  • Si ce risque ne modifie pas l’étendue des obligations de l’assureur
  • Si ce risque est resté dans incidence sur la réalisation du sinistre

En effet, cet article dispose que :

« Il n’y a pas lieu à résiliation ni à réduction par application de l’article L. 113-9 si le risque omis ou dénaturé était connu de l’assureur ou s’il ne modifie pas l’étendue de ses obligations ou s’il est demeuré sans incidence sur la réalisation du sinistre ».

En l’espèce, la Société Assurances du Crédit mutuel a posé une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de cette disposition dérogatoire aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au regard du principe d’égalité[1].

I/ L’origine de ce régime dérogatoire

La loi du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l’Alsace et de la Lorraine prévoyait, à la suite du rattachement de ces territoires à la France, le maintien des dispositions législatives et réglementaires d’ores et déjà en vigueur sur ces territoires, y compris celles issues du droit allemand.

A ce titre, il convient de noter que la loi du 30 mai 1908 sur le contrat d’assurance a été maintenue. Cette loi prévoyait, en ses articles 21 et 22, que l’assureur était tenu de remplir ses obligations envers son assuré dès lors que ce dernier commettait des inexactitudes ou des omissions qui n’avaient pas faussé l’appréciation du risque par l’assureur.

Par la loi du 6 mai 1991, le législateur a abrogé la loi locale de 1908 en intégrant au Code des assurances des dispositions particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Cette loi de 1991 a créé l’article L.191-4 du Code des assurances.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation appréciait strictement cette disposition en affirmant à de nombreuses reprises que :

« Il n’y a pas lieu à réduction proportionnelle par application de l’article L. 113-9 du Code des assurances si le risque omis ou dénaturé était connu de l’assureur ou s’il ne modifie pas l’étendue de ses obligations, ou s’il est demeuré sans incidence sur la réalisation du sinistre »[2].

Cette interprétation avait pour conséquence de rendre les assurés d’Alsace-Moselle immunisés à toute minoration de l’indemnité due par l’assureur, sauf en cas de comportement frauduleux. Cela neutralisait totalement la règle de réduction proportionnelle de l’indemnité prévue à l’article L. 113-9 du Code des assurances, applicable sur le reste du territoire français.

alsace-moselle

II/ L’inconstitutionnalité de l’article L. 191-4 du Code des assurances

Dans une décision précédente d’août 2011, le Conseil constitutionnel a apporté un éclaircissement sur l’articulation entre le principe d’égalité et les dispositions particulières aux trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, en tirant un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR).

En effet, le Conseil constitutionnel a affirmé que :

« La législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu’elles n’ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ; qu’à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d’application n’est pas élargi »[3].

Dès lors, le législateur ne pouvant introduire de nouvelles dispositions ayant pour but d’accroitre la différence de traitement entre ces trois départements et le reste du territoire français, il convenait donc d’apprécier si l’article L. 191-4 du Code des assurances, créé par la loi de 1991, augmentait la différence existant entre le droit local et le droit commun.

Or, force est de constater que le législateur a rajouté dans cette disposition du Code des assurances, une dérogation autonome, à savoir l’absence d’incidence du risque omis sur la réalisation du risque.

Par conséquent, il résulte de cette rédaction une modification de la différence existant entre le droit particulier à l’Alsace-Moselle et le reste du territoire, cette modification allant dans le sens de l’accroissement de la différence de traitement.

En l’espèce, conformément au PFRLR dégagé dans la décision SOMODIA, précédemment citée, le Conseil constitutionnel a donc dû examiner si ce régime dérogatoire se justifiait au regard de la situation de ces trois départements par rapport au reste du territoire.

Le Conseil a jugé que :

« Cette différence entre les dispositions législatives relatives au contrat d’assurance n’est justifiée ni par une différence de situation ni par un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi ; qu’elle méconnait le principe d’égalité ; qu’il s’ensuit que l’article L. 191-4 du Code des assurances doit être déclaré contraire à la Constitution » (Considérant 9).

Le juge constitutionnel a décidé que cette abrogation devait prendre effet immédiatement à compter de la publication de sa décision.

On ne peut que saluer cette décision du Conseil constitutionnel qui assure le respect du caractère transitoire du maintien de ces dispositions dérogatoires en Alsace-Moselle qui ne permet pas au législateur de créer, postérieurement à 1946, des dispositions législatives ou réglementaires qui ont pour but d’accroitre la différence de traitement entre, d’une part, l’Alsace-Moselle et, d’autre part, le reste du territoire. A fortiori, cette décision relève du bon sens dès lors qu’en matière de déclaration exacte en droit des assurances, aucun particularisme territorial ne peut justifier un traitement différent.

 

Gwendoline DA COSTA GOMES

élève-avocate

 

[1] Décision n° 2014-414 du 26 septembre 2014

[2] Cass. Civ. 2, 3 septembre 2009, n° 08-16726 ; Cass. Civ. 2, 3 octobre 2013, n° 12-23127

[3] Décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, Société SOMODIA

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.