Le délibéré arbitral

Le comité français de l’arbitrage a organisé le 11 juillet 2013 une conférence portant sur le « délibéré arbitral. » Un intervenant de prestige, à savoir Monsieur Horacio Grigera Naon (arbitre international et ancien Secrétaire Général de la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale) a pu partager avec l’auditoire son expérience en la matière.

 Le thème de la conférence nécessite de « passer de l’autre côté de la scène » et il suppose même de passer outre le secret qui entoure les délibérations du tribunal arbitral (article 1479 du Code de procédure civile) ; la violation de ce secret ne constituant toutefois pas un motif suffisant pour demander la nullité de la sentence (CA Paris, 19 mars 1981 ; 2ème Civ., 12 décembre 1990).

Avant de rentrer dans une étude plus approfondie du délibéré arbitral, encore faut-il pouvoir cerner exactement en quoi il consiste. Le fait de délibérer vise à discuter d’un litige, à y apporter une réponse, à peser le pour et le contre de chacune des décisions, à adapter aux mieux et en toute objectivité les règles de droits applicables aux faits de l’espèce : il s’agit de décider après réflexion. Cette obligation pèse sur les juges et ce peu importe que la formation de jugement soit collégiale ou non ; en cela, le délibéré est consubstantiel à la mission de tout juge. Cette règle est d’ordre public car elle vise à protéger les droits des plaideurs (CA Paris, 5 avril 1973). L’article 1476 du Code de procédure civile est donc relativement classique : dès lors que les arbitres estiment qu’ils ont en leur possession tous les éléments pour trancher le litige, ils décident de mettre l’affaire en délibéré, ils fixent pour se faire la date à laquelle il sera prononcé et ils communiquent aux parties ladite date. Le code de procédure civile prévoit trois exigences au sujet du délibéré arbitral : il doit y avoir une délibération réelle qui soit secrète [1] et celle-ci doit nécessairement aboutir au prononcé d’une sentence : les arbitres sont donc astreint à une véritable obligation de résultat. D’ailleurs, il est possible pour une partie de contester la réalité d’une délibération mais elle devra en rapporter la preuve (CA Paris, 3 octobre 2002).

La participation d’un arbitre à un délibéré ainsi qu’à chacune des étapes conduisant à l’élaboration de la sentence constitue des étapes conduisant à l’élaboration de la sentence constitue, selon la Cour d’appel de Paris, « une garantie morale ou psychologique que leur point de vue sera entendu, même s’il n’est pas adopté… ; l’obligation d’instruire et de juger ensemble est reconnue de manière unanime, la force du principe de collégialité reposant à la fois sur la volonté des parties et sur la nécessité d’un tribunal arbitral impartial et indépendant [2]. »

justice le petit juriste

Ce qui parait constituer une simple formalité procédurale s’avère être en réalité un élément capital [3] dans le déroulé de toute procédure arbitrale [4] car les parties se voient interdire toute communication ou toute présentation d’un moyen nouveau, à moins que le tribunal arbitral ne le leur demande (article 1476 al. 2 du CPC). Le tribunal arbitral doit rester « maître de la procédure a toute liberté pour organiser son délibéré [5]. Comme l’a très justement souligné Monsieur Horacio Grigera Naon, le délibéré n’intervient pas qu’à l’issue de la procédure puisqu’il l’irrigue dans son intégralité : les arbitres peuvent discuter entre eux de la nécessité de produire des pièces, de la démarche à suivre pour mettre en œuvre une procédure d’audition des témoins…

Au-delà des aspects procéduraux, le délibéré permet aux arbitres d’échanger des idées, de faire connaissance mais aussi de détecter le défaut d’impartialité de l’un des 3 arbitres. Les délibérations illustrent le rôle très important joué par le président du tribunal arbitral qui doit, dans le cadre de celles-ci, affirmer son autorité sur ses co-arbitres, s’assurer que toutes les opinions ont pu être échangées. Le rôle du président s’accentue davantage lorsqu’il y a un arbitre qui n’est pas encore tout à fait rompu à ce type d’exercice : il pourra le guider et s’assurer qu’il a pu faire part de ses convictions sur l’affaire. Le président du tribunal peut proposer pour l’audience de délibéré un projet de sentence accompagné d’un questionnaire à l’attention des co-arbitres afin de discuter au mieux de la solution à apporter au litige. Le délibéré arbitral relève de ce fait d’un véritable exercice de collaboration entre les arbitres et le président apparait ainsi comme le garant des vues des autres arbitres : il ne peut imposer une opinion majoritaire car il doit dans le même temps protéger toute vision minoritaire.

La question des délibérations induit également celles des fameuses « opinions dissidentes. » Ces dernières peuvent apparaitre dès lors qu’il y a une forte divergence d’opinions entre les arbitres. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9 octobre 2008 apporte une solution intéressante à ce sujet. Effectivement, selon les juges du fond, le secret du délibéré ne fait pas par principe obstacle à l’expression d’opinions dissidentes ou séparées et ce d’autant plus qu’il ne saurait y avoir une quelconque absence de conformité à l’ordre public international dès lors que le principe de la collégialité et du délibéré a bien été respecté. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 avril 2011 confirme cette analyse[6]. Il convient de noter au passage le fait que l’article 1469 du CPC n’est applicable en matière d’arbitrage international que si la loi française est applicable à la procédure arbitrale. Dans le cadre d’un arbitrage CCI, il n’y a aucune disposition concernant le secret du délibéré ou la question des opinions dissidentes. La pratique des opinions dissidentes semble enfin devoir faire l’objet d’une approche différente en fonction du type d’arbitrage auquel on doit faire face : il y a plus de chance d’en trouver à l’occasion d’un arbitrage d’investissement qu’à l’occasion d’un arbitrage ad hoc et cela en raison de la malléabilité de certains concepts attachés à ce type de contentieux.

Une fois que les arbitres ont valablement délibéré et qu’ils sont d’accord sur la solution à apporter, ils signent tous la sentence (article 1473 du CPC) et si une minorité refuse de la signer, les autres arbitres doivent mentionner ce refus ; ces dispositions sont prescrites à peine de nullité (1480 du CPC). Une fois la sentence prononcée, le tribunal arbitral est dessaisi et cette dernière acquiert l’autorité de la chose jugée (elle peut être assortie de l’exécution provisoire) et elle doit être notifiée aux parties (article 1484 du CPC).

                                                                                                         Guillaume Martin

Pour en savoir plus :

  • Quelques réflexions sur la pratique du délibéré arbitral par Jacques Mestre – Revue de l’arbitrage 2012 – N°4 – p.779 – 792

[1] L’indication dans une sentence qu’elle a été rendue à l’unanimité ne viole pas l’exigence légale du secret du délibéré (Bordeaux, 14 janvier 1993, Revue arbitrage, 1993.682)

[2] Cour d’appel de Paris, 16 janvier 2003, Revue arbitrage 2004.368

[3] Matthieu de Boisséson : « le délibéré arbitral fait corps avec l’essence de l’arbitrage. Même un arbitre unique délibère, dans le dialogue intérieur qu’elle entretient. »

[4] Pour Dominique Hascher, l’exigence d’un délibéré arbitral figure au rang des principes fondamentaux de la procédure arbitrale.

[5] Cour d’appel de Paris, 10 février 1984, Revue arbitrage 1985.176

[6] Revue arbitrage 2011.575

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