Le témoignage des enfants dans le cadre des violences conjugales

Dans une décision du 2 juin 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation affirme à propos du témoignage des descendants d’un couple que « les dispositions de l’article 205 du Code de procédure civile relatives aux divorce ne sont pas applicables devant la juridiction pénale en raison du principe de la liberté de la preuve ».

Un époux en instance de divorce a été condamné pour des faits de « violences volontaires sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint » survenus entre 2009 et 2013.

L’époux mis en cause a formé un pourvoi en cassation en exposant trois moyens, et parmi eux l’accusé rejetait la prise en compte du témoignage de ses enfants dans le cadre de la procédure.

La liberté de la preuve en procédure pénale limitée par le Code de procédure civile

L’article 427 al. 1 du Code de procédure pénale (CPP) pose une liberté de la preuve « hors les cas où la loi en dispose autrement ».

Parmi les exceptions, la Cour de cassation a décidé que l’article 205 du Code de procédure civile (CPC) prohibait l’utilisation de témoignages des enfants du couple ou d’un des parents dans le cadre d’une procédure criminelle ayant un lien avec une procédure de divorce.

Le 05 février 1980, la Chambre criminelle prohibait « l’audition des enfants [qui] ne pouvait en l’espèce qu’aboutir à l’inobservation de la règle de droit » énoncée par l’article 205 CPC. En l’espèce, la procédure concernait l’audition des enfants d’un couple durant une procédure pour faux témoignage dans le cadre d’un divorce. Recevoir le témoignage des enfants aurait permis de contourner la règle interdisant d’auditionner les enfants d’un couple dans le cadre d’une procédure de divorce.

Ainsi, dans cette affaire, c’est l’exception à la liberté de la preuve qui s’appliquait. En effet, l’audition des enfants dans la procédure criminelle aurait eu directement des conséquences dans le cadre de la procédure de divorce entre les deux époux.

Le 04 janvier 1985, la Chambre criminelle renouvelait sa décision pour le même motif : ne pas détourner la règle du Code de procédure civile par un recours à la justice pénale.

 

L’exception à la liberté de la preuve adoucie par la Cour de cassation

Dans l’arrêt rendu le 02 juin 2015, la Chambre criminelle décide que les témoignages des descendants à propos de violences conjugales sont recevables. La décision est motivée par l’inapplicabilité devant la juridiction pénale de l’article 205 du Code de procédure civile en raison du principe de la liberté la preuve.

S’agirait-il d’un revirement de jurisprudence ? En l’espèce, il n’y aucune relation entre cette procédure relative à des violences conjugales subies par l’épouse et une procédure de divorce. D’ailleurs, cette solution avait déjà été appliquée par la Chambre criminelle le 21 février 2006 dans un cas identique. En effet, les enfants avaient témoigné dans le cadre d’une procédure relative aux violences conjugales subies par leur mère et non à l’appui de la demande de divorce déclenchée par leur mère. C’est pourquoi la Cour de cassation avait affirmé que l’article 205 du CPC « n’était pas applicable en l’espèce, en l’absence de griefs invoqués à l’appui d’une demande de divorce ou en séparation de corps ». Les circonstances sont les mêmes dans l’arrêt du 2 juin 2015.

Cependant il est possible de se poser la question d’un revirement de jurisprudence en raison de la généralité de l’attendu de principe de l’arrêt rendu en juin, rédigé ainsi : « les dispositions de l’article 205 du Code de procédure civile ne sont pas applicables devant la juridiction pénale en raison du principe de la liberté de la preuve ». Ici, la Cour de cassation explique de manière très générale que l’article 205 CPC n’est en aucun cas applicable devant la juridiction pénale, peu importe les circonstances de l’espèce, que la procédure criminelle soit liée à une procédure de divorce ou non.

En conclusion, si la volonté de la Chambre criminelle est d’opérer un revirement de jurisprudence, les témoignages des enfants seront admis dans toutes les procédures pénales, même lorsqu’elles sont en lien avec une procédure de divorce. Cela permettra alors de contourner l’article 205 CPC dans certains cas identiques à celui du 5 février 1980.

Il faudra maintenant attendre d’autres arrêts pour connaître la volonté de la Chambre criminelle et ainsi répondre à cette question : les témoignages des enfants sont-ils recevables dans tous les cas ou seulement lorsque le témoignage n’a aucune conséquences sur la procédure de divorce en cours ?

 

Anne-Claire DUBOIS

 

Bibliographie

Cass. crim., 02 juin 2015, n°14-85.130

Violences conjugales : recevabilité du témoignage des descendants – Dalloz Actualité par Sébastien Fucini – 22 juin 2015

Libre administration de la preuve testimoniale des descendants – JCP G Semaine juridique (édition générale) p1155-1556

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