L’affaire Gasquet : quand le sport fait la loi

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Il n’est pas inhabituel pour un juriste de critiquer le droit international, en ce qu’il n’est pas souvent respecté par les acteurs internationaux contrevenants. Néanmoins, il existe un phénomène bien connu : les règles internationales les mieux respectées sont les règles sportives. Et en effet, il est difficile d’imaginer une équipe de football rejouer un match comme bon lui semble lors d’une coupe du monde, où un cycliste braver une interdiction de sa fédération avec l’appui de sa patrie d’origine. L’affaire Gasquet, qui a été extrêmement médiatisée cet été, en est un exemple criant.

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Pistes de réflexion

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La lex sportiva pose problème aux juristes. Ces règlementations sont vraiment à la frontière du droit. Elles ne s’appliquent qu’à certaines catégories de population – les licenciés d’une discipline – et sont appliquées par des autorités indépendantes et sans aucun rapport avec le gouvernement – les fédérations -.

 

Et c’est quand une infraction tombe à la fois sous le coup d’une règle juridique et d’une règle sportive que de nombreux écueils se dressent. Par exemple, si un rugbyman blesse gravement un joueur sur le terrain :

  • La victime possède-t-elle une action devant sa fédération ?
  • La victime peut-elle engager une responsabilité pour faute sur le fondement du code civil ?
  • Les deux actions sont-elles cumulables ?
  • La fédération peut-elle prendre des sanctions pécuniaires ?
  • La justice peut-elle prendre des sanctions sportives ?

Rien que la caractérisation de la faute n’est pas exempt de difficultés (qu’est ce qu’une faute ? est-elle différente dans le sport et en droit ? qui est responsable, le joueur ou sa fédération ?…). Et encore, nous n’envisageons que les questions civiles, mais on peut envisager des sanctions pénales, financières, familiales, administratives…

Petit point rapide sur le tennis et ses problématiques

L’achitecture du monde tennistique

Le tennis est un sport qui est longtemps resté atypique de part sa structure (et qui l’est toujours). Ses débuts ont été marqués par une opposition forte entre les « amateurs » et les « professionnels ». Sans rentrer dans les détails d’une histoire particulièrement intéressante qu’est celle de ce sport, c’est en 1968 que le tournoi de Wimbledon est « ouvert » (« open ») aux professionnels. On commencera dés lors à parler d' »ère open ». C’est la naissance du tennis tel qu’on le connait aujourd’hui, qui sera véritablement ouvert dans les années 1972-73.

Avant ce tournant, les joueurs étaient soit amateurs, et chapeautés par une fédération, soit professionnels, et soutenus par des promoteurs. En 1972, les joueurs décident de s’unir dans l’Association of Tennis Professional, la fameuse ATP. Désormais, cette entité gère l’ATP Tour, c’est à dire l’ensemble des tournois qui se déroulent tout au long de l’année, dont les plus connus sont les anciens Masters Series, appelés désormais masters 1000.

En revanche, les quatre tournois majeurs (les « grands chelems » : Roland Garros, Wimbledon, US Open, Australian Open) sont gérés par une Fédération Internationale de Tennis, qui s’occupe également, avec l’aide des fédération nationales, de l’organisation de la « Coupe du monde » de tennis par équipe : la coupe Davis.

Trois acteurs gèrent donc le monde du tennis : majoritairement l’ATP, puis la Fédération Internationale de Tennis (FIT) et les fédérations nationales (pour la France, la FFT).

Le dopage dans le tennis

Malgré ce que l’on pourrait penser, ou ce que l’on entend souvent sur des joueurs athlétiques, comme Nadal par exemple, le tennis n’est que peu touché par le dopage. En 1995, Mats Willander (un grand champion de ce sport) est contrôlé positif à la cocaïne, c’est à dire la même substance qui est aujourd’hui au coeur de l’affaire Gasquet. Karel Novacek est également confondu la même année. Aucun de ces deux joeurs ne subira de sanction (ils étaient tous deux en fin de carrière). Un espagnol, Ignacio Truyol, est contrôlé positif aux anabolisants en 1996 (un an de suspension). Le tennis a ensuite été quelque peu traumatisé par une sombre affaire : celle du tchèque Petr Korda, contrôlé positif à la nandrolone, jamais sanctionné, mais obligé d’arrêter sa carrière face aux quollibets des autres joueurs. C’est en 1998.

A partir de 2000, plusieurs argentins seront contrôlés positifs à diverses substances avec des sanctions éclectiques : Juan Ignacio Chela en 2000 (trois mois de suspension), Guillermo Coria en 2001 (sept mois de suspension), Mariano Puerta en 2004 (qui récidivera et sera suspendu pour huit ans, et donc ne rejouera plus), Guillermo Canas en 2005 (deux ans de suspension).

Durant les années 2000, de nombreux joueurs sont d’abord accusés par l’ATP de dopage, avant que cette dernière elle-même ne se rétracte. Seul Bohdan Ulihrach, un tchèque, sera finalement suspendu deux ans, dont une seule année effective.

Plusieurs autres joueurs seront ensuite condamnés, encore avec des fortunes diverses : l’anglais Greg Rusedski, le slovaque Karol Beck, et la suissesse Martina Hingis. Le tennis a donc connu 12 cas de dopage.

Richard Gasquet contrôlé positif à la cocaïne

Les faits

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Vient alors le cas Gasquet. Pour mesurer l’impact sur le tennis français, et mondial d’ailleurs, de cette affaire, il faut revenir en quelques lignes sur le statut de Richard Gasquet. Champion du monde junior, proclamé par le milieu tennistique français comme le successeur de Yannick Noah (seul français à jamais avoir gagné Roland Garros), il a atteint à 23 ans la septième place mondiale, ce qui en a fait pendant quelques temps le meilleur joueur français. Il a gagné à 15 ans un match sur l’ATP Tour, ce qui en fait le plus jeune vainqueur de match officiel. Le cas Gasquet est donc très médiatisé pour deux raisons :

  • C’est un des meilleurs joueurs français, dont il a même été le chef de file.

  • C’est un joueur internationalement reconnu, que les spécialistes considéraient comme un sportif avec une importante marge de progression.

 

Le 9 mai 2009, les médias annoncent que Richard Gasquet est contrôlé positif à la cocaïne. Il devait normalement débuter le tournoi de Miami, mais s’était entre-temps déclaré forfait. Il est provisoirement suspendu le 11 mai 2009. Le 29 juin, il est entendu par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), qui déclare le 15 juillet le suspendre pour deux mois et demi. La sanction est telle qu’en prenant en compte le temps de suspension provisoire, Gasquet peut reprendre la compétition le lendemain. Le 6 août, la FIT et l’Agence Mondiale Anti-dopage (AMA) font appel. Le joueur français n’a toujours pas repris la compétition.

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Le droit

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En tennis, nous l’avons vu, il existe une dualité. En sport, ce sont en général les fédérations internationales qui prédominent (comme la FIFA pour le football par exemple). Pour le tennis, la FIT est concurrencée par l’ATP, tant et si bien que cette dernière a bien plus de pouvoirs. Après plusieurs années de concurrence, les deux organismes ont procédé à un accord : c’est la FIT qui procède aux contrôles antidopages. Ce système est d’ailleurs biaisé, car si cela ne pose pas de problème pour les épreuves effectivement organisées par la FIT, l’ATP tour, qui représente la majorité des tournois, ne peut se voir imposé de contrôles qu’avec l’accord de l’ATP. Autrement dit, c’est une association de joueurs de tennis qui autorise la fédération à contrôler… les joueurs de tennis.

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Rien donc d’étonnant à ce que Richard Gasquet ait été entendu par une formation de la FIT : le TAS. En bon juriste, et sans donc porter aucun jugement sur l’affaire, il convient d’examiner les arguments présentés.

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La ligne de défense de Richard Gasquet est la suivante :

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  • Il n’était pas en compétition, puisqu’il avait déclaré forfait pour le tournoi de Miami. La prise de substances telles que la cocaïne n’est pas proscrite hors compétitition.

  • Il n’est pas toxicomane, et a dû être contaminé au cours d’une soirée à laquelle il a participé à Miami. Il a notamment évoqué le nom d’une partenaire qui aurait pu le contaminer.

  • Le taux de cocaïne dans son sang est minime : 151 nanogrammes de drogue par millilitre d’urine, ce qui correspond à un dixième de la dose « classique » d’une prise de cocaïne. Au départ, suite à une erreur, les communiqués officiels parlaient de 1,46 microgrammes.

  • Un test capillaire prouve qu’il n’est pas un consomateur habituel de ces produits.

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Pour l’accusation, l’affaire est toute autre :

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  • Rien n’indique que Richard Gasquet n’aie pas déclaré forfait parce qu’il avait déjà été contrôlé, ou qu’il connaissait l’imminence du contrôle (ce qui est malheureusement fréquent en tennis).

  • Le seuil autorisé de cocaïne par l’AMA est de 50 nanogrammes de drogue par millilitre d’urine, il est donc bien sous le coup d’une interdiction.

  • Que Richard Gasquet soit consommateur habituel ou non n’importe pas, puisqu’il suffit d’une fois pour être condamné de fraude.

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Après délibération, le TAS a suspendu Richard Gasquet pour deux mois et demi. « Bien qu’étant coupable de s’être exposé à un tel risque, sa faute n’est pas significative » considère le tribunal, avant d’observer « qu’il aurait été injuste et disproportionné d’infliger une sanction de douze mois de suspension à Richard Gasquet, étant donné le caractère exceptionnel et probablement unique de l’incident ». La FIT et l’AMA, considérant que cette sanction est beaucoup trop clémente, ont fait appel de la décision du TAS.

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Suites de l’affaire

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Pour l’instant, Richard Gasquet est en attente d’un nouveau verdict, toujours du TAS, qui a quatre mois pour rendre son jugement d’appel. En attendant, le même tribunal doit se prononcer sur une éventuelle seconde suspension provisoire dans les jours à venir. S’il ne suspend pas Gasquet, celui-ci tentera de se préparer pour l’US Open, l’un des quatre grands tournois de l’année.

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Des éléments viennent tout de même s’ajouter à cette affaire. Dés après sa mise en accusation, le sportif a porté plainte auprès du procureur de Paris pour «administration de substance nuisible ayant porté atteinte à son intégrité physique». Il vise notamment la femme qui l’accompagnait au cours de la soirée, qui aurait pu en l’embrassant le contaminer. De son côté, la jeune femme a porté plainte pour diffamation.

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Il y a quelques jours, le retour des tests capillaire a confirmé que le tennisman n’était pas consommateur régulier de cocaïne, mais a en revanche confirmé que sa compagne en était bien une, ce qui contredit les dépositions de cette dernière, et conforte la ligne de défense du joueur.

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Les arguments médicaux développés par les différents médecins spécialistes du sujet varient. Pour certains, le taux très bas de cocaïne dans le sang n’est pas significatif. En effet, s’il est mesuré une heure après l’administration, c’est très peu, en revanche s’il est mesuré après trois jours, cela signifie qu’énormément de substances étaient dans le sang. Plusieurs médecins observent également que la cocaïne est l’un des pires produits possibles dans une optique de dopage, notamment en raison des risques cardiaques. Cela dit, d’autres commentateurs évoquent les cas Willander ou Hingis.

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Conclusion

 

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Sur ces cas comme l’affaire Gasquet, toute avancée est complexe parce qu’elle déchaîne les passions et les commentaires tout-azimuts. La multiplication d’entités est également complexe : la FIT compétente, le TAS comme formation de jugement, l’ATP observatrice, l’AMA vigilante, et la justice « classique » spectatrice, sauf pour des recours annexes comme la diffamation ou l’atteinte à l’intégrité physique.

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Le code qui s’applique ici est celui de l’AMA, qui punit d’ordinaire de deux ans ce type d’infractions. En France, le code du sport, à l’article L232-9 notamment, reprend les règles internationales en vigueur.

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Ainsi, malgré une certaine complexité médiatique et institutionnelle, on remarque que le procès de Richard Gasquet est dilligenté par des instances internationales uniquement,approuvées par le droit français. De là à espérer que la lex sportiva inspire les autres instances internationales, il n’y a qu’un pas que l’on espère franchir un jour.

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Antoine Faye

 

 

Pour en savoir plus :
Des difficultés pour caractériser une faute sportive : l’exemple du rugby.

Pour les néophytes ou les connaisseurs, l’article wikipedia sur le tennis.

Tennis et dopage

Article wikipedia sur Richard Gasquet

Pour des précisions sur l’affaire Gasquet, le site officiel du joueur et la plupart des sites de quotidiens d’information en relatent les différents épisodes.

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