Le régime concordataire de la laïcité en Alsace-Moselle jugé conforme à la Constitution


Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de cette exception territoriale, le Conseil Constitutionnel a préféré faire appel à l’intention du pouvoir constituant, écartant ainsi quelque peu la question de la laïcité. Une décision discutée mais forte de sens.


 

Par-delà l’agitation médiatique provoquée par les débats autour de l’adoption de la loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels, une décision du Conseil Constitutionnel de ce premier semestre 2013 mérite tout particulièrement que l’on y revienne. L’Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité avait posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), arguant de la non-conformité des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X. En effet, le Bas-Rhin, le Haut-Rhin ainsi que la Moselle constituaient par le passé le territoire d’Alsace-Moselle, perdu par la France lors de la guerre de 1870 et donc absent du territoire national en 1905 lors de l’adoption de la Loi de séparation des Eglises et de l’Etat.

Cette nouvelle loi, faut-il le rappeler, constituait dans son essence une rupture des engagements contractés par la France un siècle plus tôt, en 1801, dans le cadre du Concordat napoléonien. C’était alors un système de coopération qui prévalait – système remis progressivement discuté puis remis en cause avec la loi de 1905. Les alsaciens comme les mosellans, redevenus citoyens français à la fin de la Première guerre mondiale, n’entendirent pas renoncer à l’application de ce droit devenu local ; dans un esprit de réconciliation, il fut décidé en 1919 que l’Alsace-Moselle resterait soumise au régime concordataire. Cependant, à mesure que s’affirmait la prééminence d’un principe de laïcité en France, cette situation originale de coexistence n’a pas manqué de provoquer débats et discordes.

Alsace-Moselle

Le dernier rebondissement de cette discussion remonte donc à l’examen par le Conseil de cette QPC : cette dernière ne porte pas sur la conformité de l’ensemble des dispositions du régime concordataire, mais sur l’une des plus emblématiques, à savoir le traitement des pasteurs des églises consistoriales. Trois visions de la question étaient en présence :

–          La première, conception défendue justement par l’Association, plaçant la laïcité au cœur de l’équilibre constitutionnel de la France, et arguant de l’impossibilité du maintien d’une telle disposition, celle-ci méprenant visiblement le principe de laïcité dans son essence.

–          L’autre, admettant l’exigence de laïcité, mais affirmant la conformité du régime concordataire avec la Constitution, au nom d’une interprétation plutôt « souple » du principe et de son application. Celle-ci fut notamment défendue par les responsables religieux appelés à s’exprimer.

–          Enfin, une conception différente rappelant la protection constitutionnelle des droits locaux, y compris la spécificité du droit local alsacien et mosellan, consacré par un principe fondamental reconnu par les lois de la République par le Conseil en 2011 (2011-157 QPC du 5 août 2011).

Cette dialectique multiple est tout à fait évidente au regard d’une audience qui mérite d’être visionnée tant celle-ci symbolise ces antagonismes profonds. Le Conseil Constitutionnel se trouvait donc à la croisée des chemins, et il était finalement attendu de lui qu’il tranche entre ces trois conceptions, apportant par là même un éclairage plus précis sur le principe de laïcité en France. Pourtant, le Conseil finit par rappeler la présence, dans les travaux préparatoires de la Constitution de 1946, d’une majorité d’interventions en faveur de la spécificité du droit d’Alsace-Moselle.

Il y est, comme le rappelle Marc Guillaume dans le commentaire de cette décision, clairement spécifié que le principe de laïcité n’a pas vocation à s’opposer au maintien de cette originalité française. Ainsi, au-delà d’une forme de frustration quant à la clarification espérée du principe de laïcité, il faut tout de même saluer une forme de retour aux fondamentaux de la part du Conseil. Même si l’on imagine bien que se mêle à cette démarche une volonté de ne point trop s’engager dans un débat profondément diviseur, ce rappel de la supériorité de la volonté du constituant n’en demeure pas moins être un rappel sérieux au rôle originel du Conseil constitutionnel.

Romain SIMMARANO

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