Les parlementaires, justiciables ?

Serge Dassault a finalement vu son immunité parlementaire levée. Le sénateur et ancien Maire de Corbeil- Essonne (1995-2009), soupçonné d’être impliqué dans une affaire de corruption et d’achats de voix, pourra désormais être entendu par la justice. Le Conseil d’État, déjà saisi d’une affaire concernant ses comptes de campagne municipale, avait auparavant prononcé l’annulation de son élection en 2008, et l’avait condamné à une peine  d’un an d’inéligibilité. 

L’opposition du bureau du Sénat à la demande faite par les Magistrats financiers d’auditionner leur pair a réalimenté une vieille polémique, qui met en cause l’immunité parlementaire. Cette protection juridique  permettrait uniquement  aux parlementaires de se protéger les uns les autres et les placerait donc au-dessus de la loi (voir les affaires Guérini ou Flosse). Certains politiques demandent donc sa suppression ou tout du moins une réforme de ce mécanisme de protection parlementaire.

A quoi sert donc cette immunité ? Comment fonctionne-t-elle ?

Qu’est-ce que l’immunité parlementaire ?

L’immunité parlementaire est consacrée à l’article 26 de la Constitution. On y lit qu’ « aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions » et qu’ « aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie ». Une exception est faite en cas de  « crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive ».

L’immunité est donc double. D’une part on trouve l’irresponsabilité qui protège le parlementaire de toute poursuite pour des actions accomplies dans l’exercice de son mandat (non détachables de ses fonctions).

D’autre part, l’inviolabilité empêche toute mesure coercitive à l’encontre d’un parlementaire sans la mainlevée de son immunité par ses pairs. Elle ne vise que les activités extra-parlementaires (détachables de ses fonctions), mais n’empêche pas à un parlementaire d’être mis en examen.

Cette nouveauté a été mise en place par la  révision constitutionnelle du 4 août 1995 qui avait justement pour but de faciliter la levée de l’immunité en autorisant des  poursuites au cours d’une session parlementaire.

Pourquoi existe-t-elle ?

Cette coutume venue de Grande-Bretagne, existe plus ou moins, sous différentes formes, depuis la Révolution française. Elle vise à garantir l’indépendance des représentants du peuple et éviter les éventuelles pressions politiques.  Le « Gouvernement des Juges »[1], tant redouté en France, est rendu impossible, les représentants du peuple ne pouvant être soumis à l’arbitraire du juge. Néanmoins, à l’heure de l’État de droit certains estiment que cette protection n’est plus qu’un privilège dénué de toute justification. L’immunité n’aurait pas raison d’être dès lors que l’acte concerné n’a pas un lien strict avec l’exercice du mandat parlementaire ou avec la liberté d’expression.

Surtout il faut revenir à la conception de la séparation des pouvoirs où les parlementaires étaient vus comme l’incarnation de la représentation nationale. La désacralisation de ses représentants a conduit à une moins grande méfiance du pouvoir judiciaire qui s’est même vu devenir l’allié objectif du peuple. Le rôle du juge serait donc de contrebalancer les excès des pouvoirs législatifs et exécutifs, devenus une même entité de par le fait majoritaire. Dès lors seule l’opposition parlementaire jouerait encore le rôle de contre-pouvoir parlementaire et pourrait justifier le rôle de l’immunité.

Il est, enfin, intéressant de noter que cette immunité a été élargie aux parlementaires européens, dans le même but d’éviter les pressions politiques et garantir leur indépendance[2]. En effet d’après les dispositions de l’article 10 du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne du 8 avril 1965, pendant la durée des sessions du Parlement européen, ses membres bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur État.

Comment lève-t-on une immunité parlementaire ?

Tout dépend des cas ! L’irresponsabilité a un caractère absolu, aucune procédure ne permet de la lever. Concrètement un parlementaire, lorsqu’il est dans son rôle (interventions et votes en séance publique, en commissions, propositions de lois, amendements, rapports ou avis, questions, actes accomplis dans le cadre d’une mission confiée par les instances parlementaires) ne pourra se voir être poursuivi par la justice, même après son mandat. Une jurisprudence exclue ainsi de cette irresponsabilité les parlementaires s’exprimant à travers une mission gouvernementale[3]. Il est à noter néanmoins que ces derniers restent soumis aux règlements de leurs assemblées qui prévoient un régime disciplinaire.

Il en est autrement en ce qui concerne l’inviolabilité. Tout d’abord elle ne concerne que les délits et crimes. Il est donc faux de penser que les parlementaires ne payent pas leurs contraventions (allez demander à JV. Placé !). Les demandes d’autorisation, d’arrestation, ou de mesures privatives ou restrictives de liberté concernant par exemple un député sont formulées par le Procureur général près la cour d’appel compétente, transmises par la Garde des Sceaux au Président de l’Assemblée nationale, instruites par une délégation du Bureau puis examinées par le Bureau. La demande ne fait l’objet d’aucune publication et la plus grande confidentialité entoure leur examen. Seule la décision du Bureau est publiée au Journal officiel.  Et c’est là l’autre apport de la loi de 1997 : ce sont désormais les bureaux des deux assemblées qui délibèrent  à huis clos. L’ancien système prévoyait des discussions publiques des assemblées sur les levés d’immunité, mais il a été jugé attentatoire à la présomption d’innocence.

En cas de refus, une nouvelle demande peut être formulée sur la base de nouveaux éléments.  Néanmoins, cette inviolabilité ne peut être opposée en cas de flagrant délit ou de condamnation définitive.

Les assemblées peuvent toutefois demander la suspension des poursuites, ou de toute mesure restrictive de liberté, pour la durée de la session. En cas de vote favorable de l’assemblée, cette décision s’impose aux autorités administratives et judiciaires. Cette disposition n’exclue pas la possibilité pour le parlementaire d’être jugé après son mandat[4].

Les députés européens bénéficient d’une procédure propre. Tout d’abord l’autorité judiciaire compétente d’un État membre adresse au président du Parlement européen une demande de levée d’immunité d’un eurodéputé ; cette demande est dans un premier temps communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission des affaires juridiques qui l’examine sans délai puis présente une proposition motivée et neutre dans un rapport, . Ensuite, le rapport de la commission est inscrit d’office en tête de l’ordre du jour de la première séance du Parlement où les députés votent pour ou contre la levée de l’immunité du député. Enfin, le Président du Parlement européen communique la décision au député européen concerné et à l’autorité compétente du pays qui a demandé la levée de l’immunité[5]. C’est ce qui s’est notamment déroulé pour la levée de l’immunité de Marine Le Pen accusée de propos racistes en France.

Qu’est-ce qui peut évoluer?

Comme vu précédemment, une partie de la classe politique et de l’opinion publique souhaite la suppression de cette immunité. Cette hypothèse est néanmoins hautement improbable. N’oublions pas que les parlementaires sont les représentants de la Nation, élus par le peuple. L’irresponsabilité est donc primordiale à leur indépendance et leur liberté. On ne peut risquer de voir des députés ou sénateurs soumis à des pressions de l’exécutif ou de la justice en raison de leurs idées.

En ce qui concerne l’inviolabilité le débat est tout autre. Peut-on justifier que des parlementaires échappent à la justice  par la seule volonté d’un Bureau ? Bureau qui est lui-même composé de pairs qui votent dans le plus grand anonymat?

Car il faut surtout se rappeler que si l’affaire a pris une telle proportion, c’est d’abord dû au vote anonyme d’un élu de gauche, opposé à la mainlevée de l’immunité de S. Dassault. Pour éviter d’éventuelles tractations secrètes, il est donc proposé de transférer cette compétence aux assemblées. Les parlementaires pourraient ainsi s’exprimer publiquement sur les raisons de leurs votes.

Il est important de noter que les parlementaires français sont parmi les mieux protégés d’Europe. Les parlementaires britanniques, par exemple,  ne bénéficient  d’aucune protection dans le cadre d’une enquête de justice.

Un exemple à suivre ?

                                                                                              Salah Smimite

Comité rédactionnel local LPJ Evry



[1] Edouart Lambert, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux États-Unis

[2] Cass. crim. 26 juin 1986

[3] Décision n° 89-262 DC du 07 novembre 1989

[4] Cass. crim. 3 février 1955

[5] Règlement intérieur du Parlement européen, art. 6 et 7

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