L’immunité parlementaire au secours du candidat Fillon

     La campagne présidentielle 2017 restera définitivement marquée par l’affaire Fillon. En soulevant l’incompétence du parquet national financier, son camp en appelle à la séparation des pouvoirs et à l’autonomie parlementaire.

Les relations contractuelles entre le député et ses assistants parlementaires ne seraient en réalité pas détachables de l’exercice du mandat parlementaire, faisant dès lors obstacle à ce que le juge judiciaire en contrôle la « consistance »[1].

 

I- Le mandat parlementaire : une immunité générale à l’égard du juge ?

 

     L’autonomie des pouvoirs constitutionnels « relève du respect du principe de la séparation des pouvoirs » [2], fondée sur l’article 16 de la Déclaration de 1789, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel, ce qui inclut celle des assemblées. Cette autonomie est d’abord « financière » conformément à l’article 7 de l’ordonnance du 7 novembre 1958. Les assemblées disposent ainsi librement de leurs crédits de fonctionnement.

L’autonomie des assemblées trouve également son prolongement dans l’indépendance de la fonction parlementaire garantie par l’article 26 de la Constitution, lequel consacre un régime d’immunités : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie […] ».

Toutefois, la séparation des pouvoirs ne confère pas aux parlementaires une immunité juridictionnelle générale. Le juge constitutionnel estime que l’autonomie des assemblées parlementaires doit être conciliée avec le droit au recours[3]. Le Conseil d’État a néanmoins jugé dans l’arrêt Papon de 2003[4] qu’il n’appartenait pas au juge administratif de connaitre du régime des pensions des parlementaires dès lors qu’il fait partie du statut du parlementaire, « dont les règles particulières résultent de la nature de ses fonctions ; qu’ainsi, ce statut se rattache à l’exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement ».

Cette solution ne semble toutefois pas avoir fait l’unanimité au sein du Conseil d’État. Le commissaire du gouvernement, L. Vallée[5], estimait que la pension ne présentait pas de lien particulier avec la mission constitutionnelle confiée au parlementaire, et qu’un litige de pension n’avait « rien à voir avec l’exercice par le député de son mandat ». L’affaire Fillon conduit ainsi à se demander si la fonction d’assistant parlementaire participe à l’exercice du mandat parlementaire.

 

II- La participation du collaborateur à l’exercice du mandat parlementaire

 

     L’article 18 du règlement de l’Assemblée nationale précise que : « Les députés peuvent employer sous contrat de droit privé des collaborateurs parlementaires, qui les assistent dans l’exercice de leurs fonctions et dont ils sont les seuls employeurs. Ils bénéficient à cet effet d’un crédit affecté à la rémunération de leurs collaborateurs ».

Selon J-E. Schoettl, le collaborateur est lié au parlementaire qui l’emploie intuitu personae. Ces relations contractuelles sont, selon les professeurs Avril et Gicquel[6], indétachables de l’exercice par le parlementaire de son mandat. Porter un jugement sur l’activité de l’assistant reviendrait ainsi à porter un jugement sur l’activité du parlementaire. Le contrôle du contenu de ces contrats relèverait, selon ces auteurs, de la compétence non pas du juge ordinaire, mais du bureau de l’assemblée parlementaire. Les différends opposant les parlementaires à leurs collaborateurs relèvent pourtant de longue date de la compétence du conseil des prud’hommes.

Certains professeurs[7] invitent à une lecture stricte de l’exercice du mandat parlementaire. L’indépendance des parlementaires serait ainsi « fixée et complètement déterminée par les immunités dont jouissent les parlementaires en vertu de l’article 26 de la Constitution ». Ces immunités constituent une exception au principe général de soumission des parlementaires au droit commun ; aussi, comme toutes exceptions, elles doivent s’interpréter strictement. La première immunité concerne les poursuites engagées du fait des « opinions ou votes » émis par le parlementaire « dans l’exercice de ses fonctions », ce qui n’est pas applicable à l’affaire Fillon.

La seconde immunité vise le cas où le parlementaire fait l’objet d’une « arrestation (…) ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté », sauf « crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive ». Ces mesures ne peuvent être mises en œuvre qu’avec l’autorisation du bureau de l’assemblée concernée. L’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale n’était donc pas requise pour que le parquet national financier se saisisse et procède à des investigations, sauf à considérer qu’une perquisition est une mesure restrictive de liberté.

La mise en examen[8] de F. Fillon, à la suite de sa convocation le 15 mars dernier, pourrait rendre réaliste l’hypothèse d’un report de l’élection présidentielle consécutive au retrait du candidat[9].

 

Jeanne Patard

A retrouver dans le numéro du Petit Juriste : Le Petit Juriste, n°39, Avril 2017 (à télécharger)

[1] J-E. Schoettl, « De la compétence contestable du parquet national financier (en particulier) et de l’autorité judiciaire (en général) pour connaître de l’affaire dite des collaborateurs parlementaires de François Fillon », Petites affiches, 14/02/2017, n° 32, p. 4.

[2] CC, n° 2000-448 DC, 25 juillet 2001.

[3] CC, n° 2011-129 QPC, 13 mai 2011.

[4] CE, Ass., n° 254850, 4 juillet 2003, Papon.

[5] L. Vallée, « Le régime des pensions des anciens parlementaires échappe au contrôle de la juridiction administrative », Dalloz, RFDA 2003 p.917.

[6] P. Avril et J. Gicquel, « Collaborateurs parlementaires : respectons le droit », Le Figaro, 8/02/2017.

[7] D. Baranger, O. Beaud, J-M. Denquin, O. Jouanjan, P. Wachsmann, « L’affaire Fillon n’est pas un coup d’Etat institutionnel », Blog de jus politicum, 2017.

[8] Non avérée au jour de la rédaction de cet article.

[9] L. Mena, « Coup de tonnerre électoral : un report est-il encore envisageable ? », Le Petit Juriste, 4/03/2017.

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