Loi sur la destitution du président de la République: vers une désacralisation de la fonction présidentielle?

Le 21 octobre 2014, le Sénat adoptait le projet de loi organique sur l’application de l’article 68 de la Constitution, relatif à la destitution du Président. Le chef de l’Etat, « clef de voûte » des institutions, pourra désormais être destitué en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».

Cette évolution du statut pénal du Président fait-elle de lui un justiciable comme les autres?

Le responsabilité du Président: une problématique de longue date

L’ancien article 68 disposait que “le président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison”.

Cette rédaction révélait de manière limpide la quasi-irresponsabilité du Président: la lourdeur de la procédure ainsi que la notion de « haute trahison » rendait pratiquement impossible l’hypothèse d’une destitution. Cette immunité présidentielle avait été étendue par le Conseil Constitutionnel aux actes détachables accomplis en dehors du cadre de ses fonctions.

En réaction à ce privilège de juridiction, le groupe socialiste de l’Assemblée avait déposé en 2001 une proposition de loi constitutionnelle visant la modification de l’article 68, avec un objectif clair: « faire du chef de l’Etat un véritable Président-citoyen. »1

La réforme constitutionnelle de 2007 est venue modifier la rédaction des articles 67 et 68 sur le statut juridique du Président. Néanmoins, l’application de l’article 68 rendait indispensable l’adoption d’une loi organique. Sept années auront donc été nécessaires pour aboutir à ce renouvellement du statut juridique du Président. L’adoption de cette loi marque-t-elle pour autant un réel tournant?

Les effets de la loi votée par le Sénat

La nouvelle rédaction de l’article 68 opère un basculement majeur: celui du passage de la notion extrêmement restreinte de « haute trahison » à celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat « . Ce nouveau cadre de responsabilité reste cependant assez flou quant à la réalité juridique qu’il recouvre. Le rapport de la Commission Avril, apporte un éclairage sur la nature de cette procédure de destitution, qui a été conçue comme une responsabilité politique, et non pas une responsabilité pénale. La procédure de destitution couvre l’hypothèse dans laquelle il serait constaté qu’un comportement du chef de l’Etat « porterait atteinte à la dignité de sa fonction » ou qu’il n’assurerait plus « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics« . L’engagement d’une telle procédure est encadré par des contraintes liées au vote, la majorité des deux tiers étant requise tant pour l’initative parlementaire de mise en cause que pour la destitution elle-même votée par la Haute Cour.

Il reviendrait aux parlementaires d’apprécier la qualification de « manquements ». A cet égard, la mesure de destitution représenterait un bouleversement de l’équilibre du régime, le Parlement voyant ses pouvoirs accrus face à un Président dont la fonction serait affaiblie.

Le 19 novembre, le Conseil constitutionnel a jugé conforme la loi organique prévoyant les conditions de destitution du chef de l’Etat. Cette loi pourra donc être promulguée par le Président de la République.

 

Chloé Guettman

 

 

EN SAVOIR PLUS

 

Frédéric Rouvillois, Droit constitutionnel, Tome 2 « La Ve République« .

Senat.fr « Destitution du Président de la République: un projet de loi organique précise les conditions de la procédure. »

 

 

 

 

  1. 1. Exposé des motifs de la proposition.

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