La réforme du Conseil constitutionnel : la grande absente du quinquennat Hollande ?

Alors que le projet de loi de protection de la Nation devait constituer la réforme constitutionnelle symbolique du quinquennat Hollande, il semble que la grande absente de ce mandat soit bien celle du Conseil constitutionnel. Les récentes déclarations de Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel depuis février dernier, vont d’ailleurs dans ce sens, ce dernier ayant clairement exprimé son souhait « de faire [du Conseil] une Cour constitutionnelle de référence »[1].

Quis custodiet ipsos custodes[2] ? Cette question posée par le poète romain Juvénal au premier siècle après J.-C, à propos des gardiens des demeures romaines, et étendue par Platon aux dirigeants de la Cité, pourrait sans doute être transposée à nos Sages. En effet, ne sont-ils pas les gardiens modernes du pacte républicain au travers d’une norme, la Constitution ?

Alors que l’existence du Conseil n’est plus contestée, sa légitimité et son statut restent des problématiques actuelles. En effet, quoi de plus naturel sachant que le contentieux constitutionnel véhicule des sujets de plus en plus techniques, en lien direct avec l’exercice des libertés fondamentales, en témoigne la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015[3] ? Si le journal Le Monde, le 28 avril 2015[4], à l’occasion de la première saisine présidentielle du Conseil, soulignait que celui-ci « n’est pas [pour autant devenu] une Cour suprême », il est néanmoins incontestable qu’il s’est progressivement érigé en véritable gardien des droits et libertés au-delà même de la lettre et de l’esprit de la Constitution.

Or, « [comment] expliquer que des juges non élus, désignés par des détenteurs d’une partie du pouvoir politique, puissent s’opposer à ce qui est […] la nation souveraine ? » Telle est l’interrogation soulevée par le doyen Vedel dès 1988[5]. Si l’existence d’une justice constitutionnelle n’est plus contestée, une autre question reste en suspens : Le Conseil, en ce qu’il a largement échappé à ses créateurs depuis sa célèbre décision du 16 juillet 1971[6], ne doit-il pas être urgemment réformé ?

Les cinq ans de la question prioritaire de constitutionnalité en 2015 ne sont-ils pas l’occasion de s’interroger sur la place du Conseil dans nos institutions ? Si la Cour européenne n’a pas encore tranché la question de son statut, y compris dans son récent arrêt du 17 septembre 2015, Renard contre France[7], le risque de contrariété avec l’article 6§1 n’est pourtant pas négligeable en ce qu’il garantit l’accès à un tribunal indépendant et impartial.

Une réforme est alors devenue inévitable, à l’image de celle opérée le 1er avril 2015 concernant une autre éminente institution : le Tribunal des conflits. En effet, s’il n’était plus acceptable que le garde des Sceaux assure sa présidence, peut-on tolérer que la composition du Conseil constitutionnel reste éminemment politique à l’heure du contrôle a posteriori des lois ? Un sujet brûlant après les récentes nominations de Lionel Jospin par Claude Bartolone, suite au décès de Jacques Barrot, et de Laurent Fabius par François Hollande en février 2016.

Une condition de qualification n’est-elle alors pas devenue nécessaire, le choix des membres étant encore libre voire discrétionnaire ? Un encadrement plus strict ne serait pas inédit dans l’espace européen, en témoigne l’article 159 de la Constitution espagnole qui dispose que « [les] membres de la Cour constitutionnelle sont nommés parmi les magistrats et les procureurs, les professeurs des universités, les fonctionnaires publics et les avocats », tout en précisant que « tous seront des juristes à la compétence reconnue, exerçant leur profession depuis plus de quinze ans ». De telles exigences ne justifieraient-elles pas encore davantage le terme de Sages ?

Par ailleurs, le Conseil peut-il convenablement faire face à l’abondance du contentieux alors qu’il n’est composé que de neuf membres ? Nos voisins européens ont fait le choix de doter leur Cour constitutionnelle de davantage de juges, à savoir quinze en Italie et seize en Allemagne. La question se pose au regard tant du nombre que de la difficulté des textes examinés dans le cadre du contrôle a priori, en témoignent la loi Macron[8] ou la loi sur la transition énergétique[9] des 6 et 17 août 2015. L’examen de questions si cruciales, touchant aux libertés tant individuelles que collectives, ne mérite-t-il pas des moyens supplémentaires ?

Modifier le Conseil est une nécessité, non en raison de son échec, mais au contraire de sa vive réussite, marquée par l’extension du contrôle de constitutionnalité aux lois en vigueur dans le cadre des instances en cours impliquant de simples particuliers. Dès 2004, Dominique Rousseau, dans son ouvrage Le Conseil constitutionnel en questions[10], estimait d’ailleurs que « [le] Conseil constitutionnel a réussi, c’est pourquoi il faut le changer ».

C’est dans cette perspective que Laurent Fabius, actuel président du Conseil constitutionnel, compte orienter son évolution, « juridictionnalisation et simplification »[11]en seront alors les maîtres mots. Une réforme d’autant plus nécessaire à la suite des propos de Jean-Louis Debré, pour « tenter de reconstruire, si c’est [encore] possible, l’image du Conseil constitutionnel que le livre […] vient malgré lui de saccager »[12].

Si cette institution a souvent été critiquée en raison de son évolution vers le statut de juridiction, en témoignent les virulents propos d’Albin Chalandon en 1986, alors garde des Sceaux, le temps n’est-il pas venu de prendre acte de ce changement plutôt que de contester une réalité devenue incontestable, et de faire enfin du Conseil constitutionnel une véritable juridiction ?

 

Laure MENA

Étudiante du Master 2 Droit public de l’économie, Université Paris 2 Panthéon-Assas

[1] Laurent Fabius, « Le Conseil constitutionnel doit être une balise dans une société française anxiogène», Les Echos, 27 mai 2016.

[2] Traduction du latin : Mais qui gardera ces gardiens ?

[3] Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

[4] Patrick Roger, « Non, le Conseil constitutionnel n’est pas une Cour suprême », Le Monde, 28 mars 2015.

[5] Georges Vedel, « Le Conseil constitutionnel, gardien du droit positif ou défenseur de la transcendance des droits de l’homme », Revue Pouvoirs, n°45 – L’URSS de Gorbatchev – avril 1988 – p.149-159.

[6] CC, n° 71-44 DC, 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

[7] CEDH, n°s 3569/12, 9145/12, 9161/12 et 37791/13, 17 septembre 2015, Renard et autres contre France.

[8] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

[9] Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

[10] Dominique Rousseau, « Le Conseil constitutionnel en questions », L’Harmattan, 2004.

[11] Laurent Fabius, « Le Conseil constitutionnel doit être une balise dans une société française anxiogène», Les Echos, 27 mai 2016.

[12] Martine Lombard, « Une démolition du Conseil constitutionnel par son ancien président », Blog juspoliticum, 30 mai 2016.

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