LE PROJET DE LOI MACRON : Vers un bouleversement des contrats de distribution et du contentieux concurrentiel

Le projet de loi pour la croissance, l’activité, et l’égalité des chances économiques, dit projet de loi « Macron » visant à relancer l’économie en supprimant de nombreuses entraves à la concurrence dans différents secteurs, introduit marginalement des modifications substantielles en matière de contrats de distribution et de contentieux concurrentiel.

  • L’encadrement des contrats de distribution

Modifié par un amendement n°1681, le projet de loi Macron comprend désormais un article 10 A prévoyant l’introduction d’un nouveau titre IV intitulé « Des réseaux de distribution commerciale » au sein du livre III du Code de commerce. Cet article annonce la création de futurs articles L 341-1, L 341-2 et L 341-3 du Code de commerce.

Le futur article L 341-1 dispose que l’ensemble des contrats conclus entre un fournisseur et un distributeur « et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d’exercice par cet exploitant de son activité commerciale prévoient une échéance commune », de telle sorte que « la résiliation d’un de ces contrats vaut pour l’ensemble des contrats conclus ». Est ainsi institué un principe d’échéance et de résiliation commune de l’ensemble des contrats constitutifs de la relation entre un fournisseur et son distributeur (contrat d’affiliation à un réseau, d’approvisionnement, etc.) à la réserve expresse des contrats de bail.

L’article L 341-3 complète l’article L 341-1 en énonçant que ces contrats ne peuvent pas être conclus pour une durée supérieure à 9 ans et ne peuvent être renouvelés par tacite reconduction.

L’article L 341-2 énonce que toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation de ces contrats de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale du distributeur est réputée non écrite. Cette prohibition concerne directement les clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation post-contractuelles fréquemment stipulées dans les contrats de distribution.

Ces dispositions sont très clairement les fruits de l’avis de l’Autorité de la concurrence de 2010 relatif aux contrats d’affiliation dans le secteur de la distribution alimentaire[1]. L’Autorité relevait notamment que les contrats d’affiliation d’un distributeur à un réseau étaient généralement de longue durée et tacitement renouvelables. Ces contrats comportent des clauses de non-concurrence ou de non-réaffiliation post-contractuelles qui interdisent à l’ancien affilié d’exercer la même activité ou de conclure un contrat avec une enseigne concurrente après la fin de son contrat, et étaient généralement complétés d’autres contrats de nature différente dont les échéances se chevauchaient.

L’Autorité avait souligné que ces clauses étaient de nature à empêcher toute mobilité des magasins entre enseignes et nuisaient par conséquent au bon déroulement du jeu concurrentiel. De plus,  elles érigent des barrières artificielles à l’entrée des marchés concernés ce qui rend extrêmement difficile l’entrée sur le marché de nouveaux groupes de distribution.

Le projet de loi Macron reprend pour une bonne partie les propositions de l’Autorité qui préconisait la limitation de la durée des contrats d’affiliation à 5 ans maximum, la limitation du recours aux clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation post-contractuelles, ainsi qu’une harmonisation des modes de résiliation des différents contrats conclus entre la tête de réseau et le distributeur.

Cependant, ce bouleversement de l’équilibre de la relation de distribution commerciale n’est pas sans susciter quelques interrogations quant à sa compatibilité avec le droit communautaire. Ainsi, le règlement 330/2010 relatif aux restrictions verticales exempte les clauses de non-concurrence post-contractuelles lorsqu’elles concernent des biens ou des services identiques à ceux qui étaient l’objet du contrat de distribution, les seuls locaux ou terrains sur lesquels le distributeur a exercé son activité pendant la durée du contrat, et qu’elles sont limitées dans le temps à 1 an[2].

Ces mesures fortes tranchent avec la jurisprudence en la matière et marquent une immixtion caractérisée du législateur dans cette sphère contractuelle. Le risque le plus évident est une déstabilisation des réseaux existants mis en place sur la base d’un modèle aujourd’hui remis en cause. Ainsi, les réseaux de commerce indépendants, représentés notamment par le système de coopération commerciale incarné par Leclerc ou Intermarché, craignent un report massif des adhérents vers les groupes intégrés tels que Carrefour ou Casino (pour ne citer que la grande distribution alimentaire), pourtant soumis eux aussi à ce nouveau dispositif législatif.

  • L’enrichissement et la simplification des procédures contentieuses devant l’Autorité de la concurrence

L’une des mesures phares du projet de loi Macron a trait à l’hypothèse spécifique de l’existence d’une position dominante et de la détention par une entreprise ou un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail d’une part de marché supérieure à 50 %. Si l’exploitation de cette position soulève des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevés que l’entreprise ou le groupe d’entreprises pratique en comparaison des moyennes habituelles, l’Autorité de la concurrence peut prononcer une injonction structurelle en l’absence d’engagements de la part de ces opérateurs de nature à remédier aux préoccupations de concurrence.

Par conséquent, l’Autorité pourra contraindre les enseignes à une vente forcée de leurs magasins en cas de situation de position dominante. Cette mesure existe déjà dans certains départements et collectivités d’outre-mer, à la différence que la condition de parts de marché n’est pas exigée. Cependant, il est à noter qu’elle n’a jamais été utilisée.

Ce pouvoir conféré à l’Autorité est problématique à deux égards. D’une part, il met en cause des situations qui peuvent résulter d’un développement interne, non soumises au contrôle des concentrations, respectant parfaitement les règles de concurrence.  D’autre part, on peut s’interroger sur la conformité de telles mesures à la Constitution notamment quant au droit de propriété, la liberté d’entreprendre et à légalité des délits et des peines en l’absence de commission d’un abus.

Tout comme en matière de distribution, la présente disposition s’inspire fortement d’un avis de l’Autorité du 11 janvier 2012 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris[3], soulignant que l’injonction structurelle serait le seul moyen efficace lui permettant de remédier à la concentration élevée du marché à Paris.

L’autre réforme emblématique du contentieux concurrentiel est l’introduction de la procédure de transaction remplaçant ainsi la procédure de non-contestation des griefs inspirée du modèle déjà existant devant la Commission européenne.

L’un des inconvénients de la procédure de non contestation des griefs est son absence de prévisibilité puisqu’elle porte uniquement sur un pourcentage d’une amende dont on ne connaît pas le montant. Au contraire, le projet de loi prévoit que la transaction sera prévisible car les négociations avec le rapporteur général porteront sur le montant nominal et non plus un pourcentage. Cependant, cette réduction ne sera communiquée que sous la forme d’une fourchette nominale de l’amende, réservant ainsi le pouvoir de décision du collège de l’Autorité sur le montant final.

On peut tout de même regretter l’absence de cohabitation des deux régimes. La non contestation des griefs aurait pu être maintenue après la notification des griefs en cas d’échec des discussions transactionnelles avant la notification des griefs.

En outre, la loi Macron va permettre à l’Autorité de la concurrence de rejeter une saisine contentieuse dans l’hypothèse où les pratiques invoquées seraient de dimension locale et susceptibles d’être traitées par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans les conditions de l’article L. 464-9 du code de commerce. Cette mesure a pour objectif de simplifier et d’alléger les procédures contentieuses devant l’Autorité. Elle prévoit aussi d’accélérer le traitement des affaires lorsque celles-ci ont été ouvertes à la suite d’une demande de clémence des parties en comportant un seul tour de contradictoire, contre deux normalement.

 

Floriane CADIO DE KERMAINGUY

Kevin NEGRONI

 

[1] Avis de l’Autorité de la concurrence n° 10-A-26 du 7 septembre 2010 relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants et les modalités d’acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire

[2] Article 5-3 du règlement 330/2010

[3] Avis de l’Autorité de la concurrence n° 12-A-01 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris

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