La généralisation de la médiation de consommation

« Consommateurs, défendez-vous ! » aurait été un slogan approprié pour décrire la période récente qui a vu une densification considérable du droit de la consommation, en grande partie sous l’impulsion du droit européen. Nous sommes constamment aux prises avec le droit de la consommation ; que ce soit en magasin : dans l’affichage du prix, sur un site d’achat en ligne : concernant le délai de rétractation, ou encore en prenant le train ou l’avion : quant aux indemnisations liées aux retards. Mais solliciter le respect de ses droits de consommateur à un coût. Dans la majorité des cas, ce coût en temps et en argent d’une action judiciaire se révèlera supérieur au profit qui en sera retiré et à l’enjeu du litige avec pour conséquence un découragement, de fait, du consommateur s’estimant lésé. Cette disproportion qui est inhérente au contentieux de la consommation constitue, pour chaque consommateur, la limite concrète de son accès au droit.

L’ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015 et son décret d’application n° 2015-1382 du 30 octobre 2015 visent à repousser cette limite en facilitant l’accès au droit des consommateurs grâce à la généralisation des modes alternatifs de résolution des conflits dans la consommation de masse.

Ces textes transposent en droit français la directive n° 2013/11/UE du 21 mai 2013 dite « RELC » relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation qui prévoit, en son article 5, que tout professionnel doit proposer à ses clients consommateurs une procédure gratuite de médiation en vue de la résolution amiable des litiges individuels de consommation.

Désormais, tout consommateur est donc en droit d’avoir accès à un Médiateur de la consommation. Si le professionnel peut ériger son propre dispositif de médiation, il est tout autant permis qu’il oriente son client vers un Médiateur du secteur économique.

La simplicité voulue par les auteurs du texte ne doit pas occulter l’existence de certaines règles organisant les rapports des protagonistes entre eux.

Voici une présentation sommaire des règles essentielles :

1) En ce qui concerne le consommateur :
– Il doit, préalablement à la saisine du Médiateur, avoir adressé au professionnel une réclamation écrite ;
– Il doit introduire sa demande dans un délai d’un an à compter de cette réclamation ;
– Il ne peut introduire sa demande lorsqu’une instance judiciaire est en cours ou lorsque sa demande est en cours d’examen par un autre Médiateur.

2) De son côté, le Médiateur désigné par le professionnel :
– Doit faire montre de diligence, de compétence, d’indépendance et d’impartialité ;
– Il ne doit posséder aucun lien hiérarchique avec l’entreprise ;
– Son budget doit être distinct de celui de l’entreprise et « suffisant » ;
– Lorsqu’il est rémunéré par le professionnel, cette rémunération doit être indépendante des résultats de sa médiation.
– Il doit disposer d’un site internet propre faisant notamment mention de ses coordonnées, de son parcours et du type de litiges pour lesquels il peut être saisi.

3) Quant au professionnel, ses obligations portent essentiellement sur l’information délivrée au consommateur :
– Il doit faire figurer sur son site internet ses conditions générales de vente ou de service, ses bons de commande, ou tout autre support adapté, les coordonnées du ou des médiateurs compétent(s) en cas de litige ainsi que le site internet de ce ou ces médiateur(s).

– Un bouleversement dans le paysage français ?

Nombre d’entreprises françaises ce sont dotées, dès les années 1990, de Médiateurs d’entreprise : RATP en 1990, SNCF en 1994, La Poste en 1995, ENGIE en 1999, EDF en 2002 ou encore, BNP PARIBAS en 2002. Toutes ces médiations ont été initialement mises sur pied dans le cadre de négociations entre la direction générale de chaque entreprise et des associations de consommateurs.

Sont ensuite apparues des entités de médiations dites sectorielles comme par exemple le Médiateur des transports, celui de l’assurance ou celui de l’énergie.

Il y aura donc peu de création de médiateurs mais plutôt une réappropriation de la directive par les médiateurs existants au travers d’une réorganisation des processus mis en place par leurs entités actuelles de médiation.

– Quels avantages pour le consommateur lambda ?

Gratuité : entièrement à la charge du professionnel, le médiateur et le service qui travaille pour lui sont gratuits pour le consommateur.

La preuve : C’est bien connu, d’un point de vue strict, ce qui ne peut être prouvé n’existe pas. Or, sur le terrain de la preuve, la médiation de consommation présente un avantage décisif.

Sans accès aux divers outils d’analyse du professionnel, le consommateur n’est pas toujours en mesure de déterminer où, comment et en quoi l’exécution du contrat a pu connaître un dysfonctionnement ; il ne peut démontrer que le résultat de ce dysfonctionnement.

Chaque Médiateur a nécessairement des liens privilégiés avec le professionnel et peut, à ce titre, solliciter de celui-ci, plus aisément que le consommateur, tous les éléments de nature à éclairer l’avis qu’il rendra. Et au fond, quel serait l’intérêt pour un professionnel de refuser de coopérer avec un service qu’il aura mis en place et vers lequel il dirigera ses clients ?

– Quels risques cette transposition amène-t-elle ?

Cette généralisation est a priori une bonne chose, mais il est à craindre que la qualité de la médiation de consommation baisse dans la mesure où le volume des affaires traitées par les différents médiateurs pourrait mécaniquement augmenter. Un médiateur submergé de saisines ne pourrait pas étudier tous les dossiers avec la même attention si les moyens mis à sa disposition ne suivent pas.

Il est également à craindre que dans l’esprit du consommateur le Médiateur ne soit qu’un super service de réclamations. Une bonne communication sur ce qu’est ou n’est pas la médiation de consommation s’avèrera sans doute nécessaire car les professionnels doivent anticiper cette confusion naturelle des consommateurs entre le service relation client et le Médiateur.

Cette confusion se comprend d’autant que la condition d’une réclamation préalable au professionnel entraîne la transmission de cette même demande au Médiateur. Le service relation client ayant, de facto, pour rôle de prévenir la survenance de contentieux, les Médiateurs de la consommation pourraient devenir le second degré d’un processus « précontentieux » à deux étages.

Malgré la porosité des frontières entre les deux, le service relation client se conforme principalement aux fameuses « conditions générales de vente » et aux politiques d’après-vente fixées par le professionnel. Tandis que le Médiateur (tenu de posséder des connaissances en droit) se réfère au contrat tout en ayant la possibilité de s’en écarter lorsque l’emploi de la technique juridique aboutirait à une solution qu’il pense inéquitable pour le consommateur.

– Une indépendance du Médiateur est-elle possible lorsque le professionnel finance le processus ?

Absence de lien hiérarchique, autonomie de budget et rémunération décorellée des résultats de sa médiation suffisent-ils à garantir une indépendance totale du Médiateur de la consommation vis-à-vis du professionnel dont il est une émanation ? La directive ne prévoit rien en terme de budget minimal ou maximal, c’est une marge laissée aux professionnels. C’est donc à eux de décider du budget qu’ils jugent adéquat pour que leurs services de médiation fonctionnent. Peu ou prou, cela leur laisse donc la possibilité d’influer sur le poids du Médiateur sur leur entreprise.

On relève enfin que l’avis du Médiateur n’a, sur le papier, que la force obligatoire que les médiés veulent bien lui accorder. Ainsi son avis vaut recommandation.

– S’agit-il d’une véritable « médiation » ?

Il existe de nombreuses définitions de la médiation, et par suite de nombreux débats quant à ce qu’elle est ou devrait être. On peut suggérer d’en rassembler les caractéristiques en disant qu’il s’agit d’un processus polymorphe purement extrajudiciaire et polyvalent qui interfère, comme la conciliation, dans l’exploration des voies d’apaisement des situations conflictuelles et la quête d’une justice dite « alternative », le plus souvent grâce à l’intervention d’un tiers dépourvu d’autorité et qui tente de les amener à une résolution de leur différend via la reconstruction de la communication entre les parties prenantes.

Notre Code de la consommation, en son article L151-1 entend le terme « médiation » comme « tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige ».

Les deux définitions laissent supposer que ce sont les parties qui parviennent à résoudre leur litige, le Médiateur intervenant comme tiers aidant à l’apaisement des différends en permettant la reconstruction des points de vue avec pédagogie.

En pratique, la médiation de consommation revient à ce que le consommateur, comme le professionnel, s’en remettent au Médiateur pour trancher leur différend en équité. La consommation impliquant de très nombreux litiges aux enjeux modestes pour lesquels il n’est ni possible ni viable de réunir physiquement les parties, tout se fait par écrit. D’où la confusion possible, là encore, avec un service de réclamations « bis ».

Ce processus serait peut-être mieux qualifié s’il l’on parlait plutôt « [d’]amiable composition », en effet, l’amiable composition peut être définie comme un mode de règlement des litiges en vertu duquel les parties s’accordent pour conférer à un tiers (l’amiable compositeur) mission de statuer en équité.

Quoi qu’il en soit, la médiation avait été créée par certaines entreprises dans le but d’améliorer leur image. C’est l’une des raisons, en dehors des avantages pour les consommateurs et de la réglementation nouvelle, qui explique que ce mode alternatif de résolution des différends a vocation à s’épanouir dans notre paysage juridique avec le risque, néanmoins, de s’éloigner avec le temps du sens premier du terme « médiation ».

Yann GUSTAN

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