La reconnaissance de la nécessaire pénalisation du droit de l’environnement

Commentaire de la circulaire de la Ministre de la Justice du 21 avril 2015 portant orientation de politique pénale en matière d’atteintes à l’environnement.

Le droit de l’environnement n’est plus l’apanage de l’administration et du juge administratif. Désormais, le droit pénal s’en empare pleinement. La circulaire de la Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, du 21 avril 2015 exprime largement la pénalisation du droit de l’environnement. Cette circulaire tend même à la spécialisation de la justice pénale en matière d’environnement afin de mieux pouvoir les appréhender, les faire cesser, et plus important, les faire réparer. L’ambition clairement affichée est d’apporter une réponse pénale la plus efficiente possible aux atteintes causées à l’environnement. Aperçu.

 La spécialisation environnementale de la justice pénale

De la désignation d’un magistrat référent en matière de contentieux environnemental

La circulaire du 21 avril 2015 place comme priorité de spécialiser chaque parquet afin de pouvoir appréhender les infractions environnementales de la façon la plus adéquate possible en fonction des enjeux locaux.

La Ministre de la Justice affiche clairement ici sa volonté d’adapter l’organisation des parquets en cohérence avec les enjeux contemporains et conformément à une « préoccupation grandissante de la société quant aux enjeux de la protection de l’environnement ».

L’objectif de la désignation d’un magistrat référent en matière de droit de l’environnement est double. Il s’agit de clarifier les compétences en la matière et de rendre plus efficient un contentieux dont actuellement peu de magistrats sont spécialistes. Ce magistrat sera dès lors l’interlocuteur privilégié des administrations spécialisées (DREAL, DDT, DDAF, ONF, ONCFS services des collectivités territoriales…), mais également des associations de protection de l’environnement engagées dans un dialogue avec les parquets afin de rendre plus « pédagogique » la sanction de l’infraction environnementale.

La désignation d’un tel magistrat référent s’accompagne notamment de « protocoles d’accord » entre les parquets et les différentes administrations étatiques compétentes dans la constatation et la poursuite des infractions pénales environnementales. L’objectif clairement affiché par le Ministère de la Justice est la coordination des réponses pénales et administratives afin de garantir la réparation effective des atteintes causées à l’environnement. Cette circulaire consacre donc de longs développements à l’explicitation de la mise en place de cette coordination judiciaire et administrative en privilégiant la coopération de l’ensemble des institutions concernées.

En outre, l’efficacité de la réponse pénale est recherchée d’un point de vue procédural ; la Garde des Sceaux indiquant l’enquête de flagrance ou de proximité comme la plus adaptée à l’identification du délinquant environnementale ainsi qu’à la réparation des atteintes constatées. C’est ainsi l’ensemble des outils processuels pénaux qui sont mobilisés afin créer une véritable justice pénale environnementale.

De l’importance de la collaboration des associations de protection de l’environnement dans le dispositif pénal

Outre le dialogue avec le futur magistrat référent, les associations agréées de protection de l’environnement sont clairement identifiées par la circulaire du 21 avril 2015 comme des interlocuteurs privilégiés de la justice pénale.

Cette reconnaissance se fait à deux égards. D’abord, dans l’importance de la participation des parquets et plus précisément du procureur général dans l’accord d’agrément aux associations de protection de l’environnement en application de l’article R. 141-9 du code de l’environnement. Conformément aux dispositions de ce texte, le procureur général doit pleinement exercer son droit de regard dans l’octroi des agréments aux associations.

Ensuite, l’importance de l’action des associations de protection de l’environnement dans le dispositif pénal est reconnue dans la circulaire commentée par le rôle primordial de ces structures dans le porter à connaissance des infractions environnementales. Il est dès lors reconnu que le rôle des associations dans ce domaine est complémentaire des administrations verbalisatrices.

Le monde associatif, en tant que « sentinelle de l’environnement », mais également en tant qu’éventuelle partie civile au procès pénal, est explicitement associé à la répression des infractions. Le Ministère de la Justice semble d’ailleurs privilégier la poursuite d’une procédure classique au recours à la transaction pénale.

Le recours à l’alternative aux poursuites encadrées par la Chancellerie

La limitation du recours à la transaction pénale aux cas d’infractions les moins graves

D’aucuns ont pu critiquer l’extension du champ d’application de la transaction pénale par l’ordonnance du 11 janvier 2012 en ce qu’elle permettrait de transiger dès lors qu’une infraction environnementale était constatée et ce, pour l’ensemble de ces infractions environnementales. En effet, une transaction systématique ne semble pas la plus adaptée à empêcher la récidive des auteurs d’infractions. La circulaire datée du 21 avril 2015 vient tenter de faire taire ces critiques en enjoignant le Ministère public à ne recourir à la transaction pénale que dans les cas d’infractions environnementales les moins graves :

« Le recours à cette procédure doit donc être réservé aux infractions de faible gravité, et exclu lorsque les faits ont été commis de façon manifestement délibérée, ont été réitérés, ou ont causé des dommages importants à l’environnement ou à des victimes. De même, il doit être écarté lorsque des victimes ont porté plainte et ont demandé réparation du préjudice ».

De cette façon, le recours à la transaction pénale ne peut être engagé, selon cette circulaire que dans les cas où l’action publique est mise en œuvre sur initiative du parquet. Or, la plupart des infractions à caractère environnemental se trouvent souvent rapportées par des voisins, riverains, victimes et bien souvent par les associations de protection de l’environnement. Dans l’ensemble de ces hypothèses, une plainte est généralement déposée et la réparation du préjudice environnemental réclamée.

Le champ d’application de cette procédure est donc sensiblement réduit, cette démarche témoignant de la prise de conscience du ministère de la justice, non seulement de la fréquence des atteintes à l’environnement pénalement répréhensibles, mais également du caractère peu « pédagogique » de la transaction pénale. Celle-ci revient en effet parfois, pour les délinquants environnementaux, à s’acquitter d’un droit de polluer.

Enfin, cette limitation explicite par la chancellerie du recours à la transaction pénale semple poser deux difficultés. D’abord, elle apparaît contraire à l’ordonnance de 2012 qui visait justement à recourir le plus facilement, le plus efficacement et le plus souvent possible à cette procédure qui permettait une réparation immédiate des atteintes à l’environnement. Ensuite, le dépôt de plainte et la demande de réparation du préjudice, autrement dit la constitution de partie civile court-circuiteront, en pratique, l’action des parquets qui choisissent de proposer ou non au délinquant environnemental de transiger dès la constatation de l’infraction. Le dépôt de plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction limite semblerait limiter le rôle des procureurs dans la répression des atteintes à l’environnement. L’on pourrait en conclure que la Chancellerie se donne pour mot d’ordre de réparer au mieux les atteintes causées à l’environnement tout en garantissant les droits des parties civiles. De cela émerge une difficulté: celle de savoir quand le procès pénal (et la réparation du préjudice alléguée par la partie civile) ou la transaction avec le délinquant environnementale est la procédure la mieux adaptée afin de réparer les atteintes.

Une réserve, toutefois, doit être apportée concernant les éventuelles restrictions de recours à la transaction pénale. La circulaire commentée ne fait que donner des instructions aux parquets, sans avoir la capacité d’imposer juridiquement un tel comportement (bien que, nous le verrons ci-dessous, la nature de la présente circulaire peut-être discutée). En la matière, le décret du 24 mars 2014 relatif à la transaction pénale en matière environnementale n’apporte pas de telle précision. Il faut donc retenir qu’en l’état du droit positif, la transaction pénale peut être mise en oeuvre dès lors que l’action publique n’a pas encore été mise en mouvement.

Le recours aux alternatives à la poursuite mieux encadré

Bien que le cas particulier de la transaction pénale soit largement abordée par a circulaire et cristallise à notre sens un bon nombre de problématiques tant d’ordre juridique que politique, elle n’est pas la seule alternative aux poursuites mentionnées par la circulaire d’avril 2015.

La circulaire reconnait la vertu pédagogique des alternatives aux poursuites, dans les cas les moins graves. Là encore, le concours des agents verbalisateurs et des administrations compétentes est sollicité pour la mise en place, par le magistrat référent, de la composition pénale, la médiation pénale ou encore du classement sous condition de régularisation ou de travaux. Le rappel à la loi est quant à lui cantonné aux infractions ayant été régularisées ou n’ayant pas entraîné de dommages à l’environnement. Outre les administrations spécialisées, le rôle du milieu associatif est également implicitement reconnu lorsqu’il est fait référence au succès pédagogique des stages de citoyenneté. Ces stages sont mis en place dans le cadre de la composition pénale pour des infractions telles que celles à la réglementation sur l’usage des engins motorisés dans les espaces naturels (art. L. 361-2 et suivants du code de l’environnement). Ces stages sont proposés à l’initiative d’organismes tels que l’ONCFS ou les fédérations de chasse, mais également par les associations de protection de l’environnement, à l’image de la FRAPNA dans la Loire par exemple.

L’ensemble des directives émises par le Ministère de la justice a un but explicite : celui de la recherche constante de la remise en l’état des milieux atteints par les infractions, que les délinquants environnementaux soient poursuivis (procès pénal) ou non (alternatives aux poursuites). Pour ce faire, il s’agit donc pour les administrations concernées comme pour les parquets, de mettre en œuvre une réponse pénale la plus adaptée à cet objectif.

Conclusion : une circulaire dont la valeur juridique reste à déterminer

Enfin, se pose la question de la valeur juridique de cette circulaire et donc son opposabilité. En effet, il est classiquement admis que les circulaires sont opposables dans l’hypothèse où elles sont interprétatives, impérative ou « inconditionnelles et précises » (CE, 18 décembre 2002, Duvignères). En d’autres termes, les circulaires ont le caractère d’un acte réglementaire dès lors qu’elles créent du droit. Or, concernant la transaction pénale, la circulaire du 21 avril 2015 citée précédemment est sans nul doute interprétative de l’ordonnance du 11 janvier 2012, relative à la transaction pénale, et impérative dans sa formulation : « il doit être écarté ». Ce caractère impératif se retrouve par ailleurs tout au long de la circulaire.

Cette question pose le problème de la responsabilité de l’Etat en cas de non respect de la circulaire, notamment dans l’hypothèse où il transigerait avec un délinquant environnemental alors même qu’une action en réparation est introduite par une association de protection de l’environnement.

La question de la valeur juridique de la circulaire du 21 avril 2015 n’est pas sans incidences quant à son objectif qui est d’institutionnaliser et de mettre en œuvre une politique pénale environnementale efficiente sur l’ensemble du territoire. Du caractère « impératif » ou non des dispositions de cette circulaire dépend sa mise en œuvre et donc une répression systématique et adaptée des infractions environnementales.

Gaëtan Bailly

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