Le bail mobilité : le nouveau bail des jeunes ?

Grande surprise du Gouvernement d’Édouard PHILIPPE, la disparition du ministère du Logement est inédite dans l’histoire la Vème République et suscite encore la perplexité des professionnels de l’immobilier [1].
Pour autant, la question du logement compte parmi les priorités du Gouvernement et plus précisément du ministère de la Cohésion des territoires, auquel a été rattachée la problématique du logement, qui a présenté les grandes orientations de son plan logement le 20 septembre dernier [2]. Après le lancement d’une concertation des parlementaires, des élus locaux et des acteurs du logement, le projet de loi intitulé « évolution du logement et aménagement numérique » (ELAN) a été officiellement présenté au public le 13 décembre 2017 [3]. Il devrait être présenté en Conseil des ministres fin mars avant une adoption définitive prévue avant l’été.

Au sein du projet de loi ELAN figure une innovation sur laquelle il convient de s’attarder : le bail mobilité.
Comme son nom l’indique, cette mesure vise à renforcer la mobilité des citoyens, en particulier des étudiants et des jeunes actifs, bien qu’aucune condition d’âge ne soit requise [4]. Ce dispositif repose sur le constat que « le logement, qui devrait être au service des individus, participer pleinement à leur autonomie, à leur mobilité et à leur épanouissement, est trop souvent une source de préoccupations, un frein, parfois même un obstacle »[5].

L’article 29 du projet de loi institue ce bail mobilité et énumère ses principales caractéristiques[6]. Il s’agirait d’un bail meublé, d’une durée comprise entre un et dix mois et convenue entre les parties lors de la conclusion du bail, tout en permettant au locataire de donner congé à tout moment en respectant un préavis d’un mois. En l’état actuel du projet, il est imposé la conclusion du bail mobilité par un écrit doté de mentions obligatoires. Le non-respect de cette formalité serait sanctionné par une requalification du contrat en bail meublé.
En dépit des objectifs louables de cette mesure, il convient malgré tout de s’interroger sur son opportunité dans la mesure où elle reprendrait en grande partie les dispositions de la loi du 6 juillet 1989[7] applicables au bail d’habitation classique (I), bien que certaines dérogations soient prévues (II).

I – La soumission du bail mobilité à la loi de 1989

Le Gouvernement a entendu calquer la réglementation du bail mobilité sur celle du bail d’habitation classique. Le choix d’insérer un article 47 consacré au bail mobilité dans la loi de 1989 démontre déjà la proximité des deux dispositifs.

Ainsi, le projet de loi énumère les nombreuses dispositions de la loi de 1989 également applicables au bail mobilité[8], à savoir :

  • L’interdiction des discriminations (Art. 1er),
  • L’exigence d’un état des lieux (Art. 3-2),
  • Les clauses réputées non écrites (Art. 4),
  • L’encadrement de la rémunération des gestionnaires locatifs (Art. 5),
  • L’obligation de délivrer un logement décent (Art. 6) dont les critères sont précisés par le décret du 30 janvier 2002,
  • Les obligations du locataire (Art. 7),
  • La prescription triennale des actions dérivées du bail (Art. 7-1),
  • L’interdiction de la sous-location et de la cession (Art. 8),
  • Certaines règles de la colocation (Art. 8-1 I à IV),
  • L’encadrement des loyers en zone tendue (Art. 18 et 25-9 I),
  • Le non-cumul du cautionnement et d’une autre garantie sauf si le locataire est un étudiant ou apprenti (Art. 22-1),
  • La liste limitative des pièces justificatives pouvant être exigées (Art. 22-2) fixées dans le décret du 5 novembre 2015,
  • La définition du logement meublé (Art. 25-4),
  • L’inventaire du mobilier (Art. 25-5).

Cette liste permet de constater que les grands principes régissant le bail d’habitation sont conservés. À l’instar du bail classique, le régime du bail mobilité serait d’ordre public et exclurait les logements-foyers et les logements conventionnés.

En cas d’immeuble en copropriété, le bailleur devra pareillement communiquer au locataire les extraits du règlement de copropriété relatifs à la destination de l’immeuble, la jouissance et l’usage des parties privatives et communes ainsi que ceux précisant la quote-part afférente au lot loué dans chacune des catégories de charges. Dès lors qu’il s’agit d’une obligation incombant au bailleur, celui-ci ne pourra valablement se prévaloir de la violation de cet article.
De même, le bailleur devra notifier au locataire le nom ou la dénomination et le domicile ou siège social du nouveau propriétaire de l’immeuble en cas de mutation à titre onéreux ou gratuit.

Au regard de la proximité existante entre le bail mobilité et le bail d’habitation, l’on peut s’interroger sur la pertinence de ce nouveau mécanisme.

II – L’instauration de dispositions propres au bail mobilité

En dépit de la reprise de la majorité de la réglementation du bail d’habitation classique, l’intérêt du bail mobilité réside dans les dispositions qui lui sont propres. Ce dispositif confère une meilleure flexibilité au locataire (A) mais au détriment du bailleur (B).

A) Un renforcement de la mobilité du locataire

Le bail mobilité tend à assouplir la conclusion et les modalités de résiliation du bail afin de renforcer la mobilité professionnelle du locataire. Cette finalité teinte indéniablement les règles de ce bail.
Aussi, ce contrat serait conclu pour une durée minimale d’un mois et maximale de dix mois, contre un an pour le bail meublé et trois ou six ans pour le bail non meublé. Indéniablement, la réduction de cette durée favoriserait le déplacement des jeunes qui peuvent voir la conclusion d’un bail classique comme une contrainte pour un emploi ou un stage de quelques mois. De plus, cela concurrencerait les locations de courte durée du type Airbnb.

Néanmoins, il est possible que les bailleurs soient frileux vis-à-vis de ce nouveau bail qui va créer un roulement fréquent de locataires et des vacances locatives. Effectivement, le bailleur n’a pas intérêt à conclure ce type de bail au risque de se retrouver régulièrement avec un logement vide et une perte de loyers consécutive. De surcroit, la conclusion régulière de baux implique la réalisation de formalités (signature du bail, vérification des pièces justificatives, état des lieux d’entrée, de sortie, etc) que le bailleur souhaite généralement éviter. Ce faisant, il est fort probable que les bailleurs vont privilégier le bail classique assurant une plus grande stabilité.

À l’expiration du délai fixé dans le contrat, les parties ne pourraient pas conclure un nouveau bail mobilité sur le même logement. Si le bailleur et le locataire souhaitent poursuivre leur relation contractuelle, ils devront conclure un bail meublé classique. De même, en cas de maintien du locataire dans les lieux et de non-contestation de la part du bailleur, un bail meublé sera automatiquement créé. Il s’agit d’éviter une succession frauduleuse de baux mobilité, qui aurait pour effet de créer une précarité pour les locataires par le contournement des règles plus protectrices du bail d’habitation.

En dépit de la durée stipulée dans le contrat, le locataire pourrait résilier le contrat à tout moment, à condition de respecter un délai de préavis d’un mois et de notifier le congé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, signification par exploit huissier ou remise en main propre. Le locataire se verra redevable des loyers exigibles jusqu’à l’expiration du délai de préavis au terme duquel il perdra tout titre d’occupation sur le logement.
Sur ce point, le projet ne prévoit aucune spécificité par rapport au bail meublé résiliable à tout moment avec un préavis d’un mois.

B) Une perte de protection pour le bailleur

La souplesse du bail mobilité se traduit par une perte de garantie pour le bailleur. Ainsi, aucun dépôt de garantie ne pourrait être exigé par le bailleur, qui bénéficiera tout de même d’un contrat de cautionnement et éventuellement de la garantie VISALE si son locataire y est exigible. Cette règle surprend dès lors que le bailleur met non seulement à disposition son immeuble mais également du mobilier. C’est ainsi que le bail meublé classique accorde au propriétaire un dépôt de garantie correspondant à deux mois de loyer, ce que l’on ne retrouve malheureusement pas ici. Par ailleurs, aucune clause de solidarité ne pourra être stipulée en cas de colocation, le projet de loi réputant une telle clause non écrite.

Le bailleur n’est pas libre dans la fixation du montant du loyer en zone tendue et se doit de respecter l’encadrement des loyers fixé par arrêté préfectoral. Le projet de loi prohibe également toute révision du loyer en cours de bail, ce qui semble faire obstacle à la stipulation d’une clause d’indexation. Les charges sont réglées forfaitairement concomitamment au paiement du loyer, sans possibilité d’une régularisation ultérieure. Le cas échéant, le bailleur devra donc supporter les conséquences d’un mauvais calcul du loyer ou des charges.

La réduction des garanties offertes au bailleur risque de constituer un frein au succès du bail mobilité. Il est fort probable que les parties préfèreront souscrire un bail meublé classique qui octroie plus de protection au locataire et plus de garanties au bailleur, tout en accordant une certaine flexibilité au preneur eu égard à la faible durée du contrat et aux facilités de résiliation conférées au locataire (voir le tableau comparatif).

En dépit d’une volonté de souplesse, le bail mobilité présente des inconvénients et des lourdeurs susceptibles de constituer un obstacle à sa mise en œuvre. Aussi, l’on peut penser que le bail mobilité sera réservé aux locations de très courte durée pour lesquelles une location touristique s’avérerait trop onéreuse.

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Aurélie BRÉCHET

[1] Guillaume ERRARD, L’absence de ministère du Logement crispe les experts de l’immobilier, 17 mai 2017, Le Figaro.
[2] Yves ROUQUET, Stratégie logement : le plan du gouvernement, 22 septembre 2017, Dalloz actualité.
[3] Yves ROUQUET, Loi « logement » : le fond et la forme, 15 décembre 2017, Dalloz actualité.
[4] Pierre DE PLATER, Projet de loi ELAN : focus sur le bail mobilité, 6 mars 2018, Village de la justice.
[5] Synthèse de l’avant-projet Loi logement Conférence de consensus, 12 décembre 2017, Ministère de la Cohésion des territoires.
[6] Avant-projet de Loi logement, article 29.
[7] Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
[8] Supra n°6.
[9] Décret n°2002-120 du 30 janvier 2002.
[10] Décret n°2015-1437 du 5 novembre 2015.

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