Les droits de la défense et la procédure de sanction devant l’Autorité des marchés financiers.

L’Autorité des marchés financiers (« AMF ») est une autorité publique indépendante dotée non seulement d’un pouvoir réglementaire, mais également d’un pouvoir répressif exercé par sa Commission des sanctions. L’attribution d’un tel pouvoir par le législateur en 19891 à une autorité disposant déjà d’un pouvoir de décision individuelle et d’injonction, ainsi que d’un pouvoir réglementaire en matière financière, c’est-à-dire assimilable à un pouvoir exécutif et législatif, semblait pourtant heurter le principe de séparation des pouvoirs qui constitue le principe de base de notre système politique. Néanmoins, la spécificité du domaine financier, ainsi que la recherche d’une célérité accrue, avaient abouti à conférer un pouvoir de sanction à la Commission des opérations de bourse (« COB »), ancêtre de l’AMF2.

A cet égard, l’AMF est une entité originale, puisqu’elle comprend à la fois l’organe décidant de l’opportunité des poursuites, le Collège, et l’organe chargé de sanctionner les éventuels manquements, la Commission des sanctions.

La nature administrative de l’AMF amène par ailleurs à s’interroger sur l’existence et la mise en œuvre desdroits de la défense : à partir de quand sont-ils mis en œuvre ? S’appliquent-ils de la même manière durant la phase d’enquête et devant la Commission des sanctions ? Est-il possible d’y déroger ?

En droit interne, aucune disposition de la Constitution ne garantit de manière explicite les droits de la défense. Le Conseil constitutionnel a donc eu recours aux « Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la République »3, avant de les rattacher à la « garantie des droits » proclamée par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 17894.

Au plan européen, toute infraction recevant la qualification de « pénale » constitue une accusation au sens de l’article 6§1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (« CESDH »), impliquant l’obligation de respecter les droits de la défense. En outre, malgré l’absence d’incrimination pénale au regard du droit interne, la Cour Européenne des Droits de l’Homme apprécie la nature de la sanction et les caractères de l’acte délictueux pour décider si le litige constitue ou non une accusation en matière pénale. Aussi existe-t-il des sanctions relevant de la compétence des juridictions administratives en droit interne, et qui sont pourtant considérées comme étant de nature pénale par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

C’est ainsi que la jurisprudence a enjoint l’AMF de respecter les droits de la défense5, comprenant notamment le droit au procès équitable ou encore le droit à la présomption d’innocence. En première analyse, il est possible de relever que la mise en œuvre des droits de la défense diffère selon le moment de la procédure de sanction : le respect de ces droits est naturellement lié à la phase contentieuse, ouverte par la notification des griefs, et n’est donc pas a priori applicable avant celle-ci (I). Pour autant, les prémices d’une telle protection apparaissent bien avant la notification des griefs (II).

  1. La mise en œuvre des droits de la défense assujettie à la notification des griefs

La procédure de sanction devant l’AMF se compose de trois phases distinctes : (i) une phase d’enquête ou de contrôle, (ii) la notification des griefs aux personnes faisant l’objet de poursuites, ayant pour effet de saisir la Commission des sanctions, et, enfin, (iii) une phase contentieuse devant la Commission des sanctions. Les recours contre ses décisions sont formés devant le Conseil d’Etat ou la Cour d’appel de Paris, selon la nature de la personne mise en cause6.

Les garanties du procès équitable prévues par l’article 6 de la CEDH ne sont pas applicables lors de la phase d’enquête préalable, diligentée par le Secrétaire Général de l’AMF. Ainsi, ce n’est qu’à compter de la notification des griefs que les droits de la défense ont vocation à s’appliquer. En effet, le Conseil d’Etat affirme de manière constante7 que « le principe des droits de la défense […] s’applique seulement à la procédure de sanction ouverte par la notification de griefs par le Collège de l’AMF et par la saisine de la Commission des sanctions, et non à la phase préalable des enquêtes »8.

Dès lors, les droits de la défense s’appliquent postérieurement à la notification des griefs et donnent lieu notamment à un débat contradictoire, ou encore à l’application du principe d’impartialité au moyen d’une procédure de récusation9.

Pour autant, force est de constater que des manifestations des droits de la défense existent avant la notification des griefs. L’affirmation du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation selon laquelle le principe des droits de la défense ne s’applique pas au stade de l’enquête n’implique pas pour autant qu’il ne faille pas préserver ceux-ci, en vue de leur pleine jouissance à compter de la notification des griefs.

A cet effet, le Conseil d’Etat impose que les enquêtes se déroulent « dans des conditions garantissant qu’il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés »10. Quant à la Cour de cassation, celle-ci veille au respect du principe de loyauté dans l’administration de la preuve11.

  1. L’existence d’une protection des droits de la défense tout au long de la procédure

S’il n’existe pas de droits de la défense à proprement parler au stade de l’enquête, ceux-ci méritent une protection, opérée par le biais de l’administration de la preuve. Le principe de loyauté qui y est attaché apparaît alors comme un contrepoids face à l’absence de contradictoire lors de l’enquête. A cet effet, les enquêteurs doivent notamment respecter les règles relatives aux auditions (convocation huit jours au moins avant l’audition, rappel du droit de se faire assister par un conseil…). Leur violation constituerait un manquement au principe de loyauté dans l’administration de la preuve, justifiant l’annulation de la procédure12.

Aux yeux d’une partie de la doctrine, l’absence de contradictoire durant la phase d’enquête constitue une atteinte importante aux intérêts des personnes visées par la procédure. Un auteur souligne que « le devoir de loyauté […] ne constitue pas […] une compensation satisfaisante à l’absence du contradictoire, compte tenu de la faible portée qui lui est attribuée et de la difficulté pour les justiciables, en pratique, d’invoquer ce dernier »13.

Toutefois, il ne s’agit pas de compenser l’absence de contradictoire par le devoir de loyauté : à cet égard, un auteur a mis en évidence qu’il « est prématuré, au stade des investigations, d’employer les termes « droits de la défense », car personne n’est mis en cause »14.

Cette analyse semble opportune : l’essence du contradictoire est de permettre à une partie de discuter l’énoncé des faits et les moyens juridiques opposés par ses adversaires. Ce principe suppose un débat entre plusieurs parties sur la base d’un dossier d’enquête suffisamment étayé pour permettre de conclure à un manquement, ce qui n’est pas le cas au stade de l’enquête.

L’objectif n’est donc pas de reconstituer le contradictoire pendant la phase de l’enquête, mais d’éviter que toute atteinte aux droits de la défense soit irréversible. A cette fin, la protection assurée lors de l’enquête par le devoir de loyauté paraît satisfaisante.

Yann FOUQUET-MICHEL

1 Loi n° 89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier 

 2 M. Cohen-Branche, Le droit répressif non pénal : un droit plus adapté ? L’exemple de l’Autorité des marchés financiers. Revue de Droit Pénal n° 9, sept. 2009, étude 22, §2 à 4

 3 Décision DC n° 76-70, 2 déc. 1976

 4 Décision DC n° 2006-535, 30 mars 2006

 5 Cf. CE, 15 mai 2013, n° 356054 : «la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers doit être regardée comme décidant du bien-fondé d’accusations en matière pénale au sens des stipulations […] de la [CESDH] »

 6 Art. R. 621-44 et s. du Code monétaire et financier

 7 Cf. notamment CE, 15 mai 2013, n°356054

 8 En ce sens, la Cour de cassation estime qu’au stade de l’enquête, « le principe du contradictoire ne s’impose pas, dans la mesure où aucun grief n’a été notifié » (voir Cass. com., 6 fév. 2007, n° 05-20.811)

 9 Cf. CA Paris, 24 oct. 2013, n° 2012/14904

 10 CE, 12 juin 2013, n° 359245

 11 A titre d’exemple, voir Cass. civ. 1, 8 mars 2012, n° 10-26.288

 12 Cass. com., 24 mai 2011, n° 10-18.267

 13 C. Le Corre, Les droits de la défense mis à l’épreuve par l’évolution des pouvoirs d’enquête de l’AMF, RLDA n° 93, mai 2014, p. 95

 14 E. Dezeuze, A. Baratte, Les droits de la défense face à l’Autorité des marchés financiers, Rev. Lamy Droit des affaires, n° 40, juillet 2009

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.