Focus sur la réforme des conventions réglementées dans les SA

La loi n° 2014-1 du 03 janvier 2014 a habilité le gouvernement à simplifier et à sécuriser, par voie d’ordonnance, la vie des entreprises. L’ordonnance n° 2014-863 du 31/07/2014 est ainsi venue réformer, entre autres, le régime des conventions réglementées dans les sociétés anonymes.

 Conv reglementées

Cette réforme trouve en partie son origine dans les réflexions du groupe de travail Poupart Lafarge qui ont débouché sur un rapport remis à l’AMF en 2012 [1].

Avant d’examiner les apports de cette ordonnance, il convient de rappeler, brièvement, les différentes conventions qui peuvent avoir lieu dans une société anonyme.

 

I- La typologie des conventions au sein d’une société anonyme

On distingue deux catégories de conventions réglementées selon que les organes compétents exercent ou non un contrôle sur les conventions conclues au sein d’une société. Nous verrons tout d’abord le régime des conventions non soumises à un contrôle(A)avant d’aborder le sort des conventions qui doivent faire l’objet d’un contrôle, autrement appelées conventions règlementées(B)

A- Les conventions échappant au contrôle

Au sein même de cette catégorie, il existe deux types de conventions. En effet, une convention échappe au contrôle des organes compétents soit parce qu’elle est purement et simplement interdite, soit parce qu’elle est dite « libre ».

1-Les conventions interdites

Les conventions interdites figurent aux articlesL225-43 (pour les SA monistes) et L225-91(pour les SA dualistes) du Code de commerce.

Les opérations interdites visées par ces deux articles sont les mêmes :

-Contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société ;

-Se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement ;

-Obtenir le cautionnement ou l’aval de la société pour les engagements des personnes visées par ces articles envers les tiers.

Quant aux personnes concernées par cette interdiction et qui doivent donc s’abstenir d’accomplir ces opérations, il s’agit :

Pour les SA à forme moniste:

-Des administrateurs personnes physiques ;

-Du directeur général ;

-Des directeurs généraux délégués ;

-Des représentants permanents des personnes morales administrateurs ;

-Du conjoint et des ascendants et descendants de ces personnes ;

-De toute personne interposée (interposée entre la société et ces personnes)

Pour les SA avec conseil de surveillance et directoire, il s’agit :

-Des membres du directoire;

-Des membres du conseil de surveillance personnes physiques ;

-Des représentants permanents des personnes morales membres du conseil de surveillance

-Du conjoint, ascendants et descendants de ces personnes ;

-De toute personne interposée.

L’interdiction de ce type de conventions a pour but de protéger le patrimoine de la société, lequel encourrait un réel danger si elles étaient permises.

Enfin, la sanction qui frappe la conclusion de ces conventions c’est la nullité absolue, qui ne peut donc pas être couverte par un acte confirmatif et qui peut être invoquée par tout intéressé.

2-Les conventions libres

Les articles L225-39 (SA moniste) et L225-87 (SA dualiste) du Code de commerce disposent que deux conventions peuvent être conclues librement au sein d’une SA:

En premier lieu, les conventions « portant sur des opérations courantes conclues à des conditions normales », par opérations courantes il faut comprendre les opérations ordinaires de la société, et s’il y a contestation, ce  caractère courant sera apprécié par le juge du fond [2]

Les conditions normales renvoient aux conditions appliquées aux conventions de la société avec les tiers cocontractants, il s’agit donc des conditions habituelles.

Le second type de conventions libres concerne celles conclues avec une filiale détenue à 100 %: Il s’agit ici de l’un des principaux apports de l’ordonnance du 31/07/14 et qui sera traité dans la seconde partie de cet article.

Bles conventions réglementées

 Objet de la réforme, elles sont régies dans le Code de commerce aux articles L225-38 pour les SA à structure moniste et  L225-86  pour les SA à structure dualiste.

Le régime de ces conventions a pour but de prévenir les situations de conflits d’intérêts dans lesquelles peuvent se trouver les personnes visées par ces deux articles si elles seraient autorisées à contracter avec la société.

Afin d’atteindre cet objectif, le législateur a prévu pour ces conventions une procédure d’autorisation préalable. C’est donc un contrôle à priori qui est exercé par l’organe compétent.

Pour  traiter ces conventions, il convient de répondre à trois interrogations:

Quelles sont les personnes concernées par cette réglementation ? Quelles sont les opérations qui doivent faire l’objet d’un contrôle ? Et quels sont les organes compétents pour exercer ce contrôle ?

Tout d’abord, les personnes visées par ce dispositif :

Pour les SA avec conseil d’administration, l’article L225-38 du Code de commerce prévoit la soumission à l’autorisation préalable de toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre la société et :

-L’un des directeurs généraux délégués ;

-L’un des administrateurs ;

-Les actionnaires disposant d’une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s’il s’agit   d’une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l’article L233-3 du Code de commerce.

Quant aux sociétés anonymes  avec conseil de surveillance, l’article L225-86 du même code  soumet à l’autorisation préalable toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre la société et :

-L’un des membres du directoire ;

-L’un des membres du conseil de surveillance ;

-L’ un actionnaire disposant d’une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s’il s’agit d’une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l’article L233-3

On voit donc que le champ d’application de ce dispositif est assez large, car il vise un nombre important de personnes.

Comme on peut le relever à lecture de ces deux articles, ces personnes sont aussi soumises au contrôle dans les cas où elles traitent avec la société anonyme par « personne interposée » Cette interposition de personne doit être prouvée, à titre d’exemple, la Cour d’appel de Paris a retenu cette interposition dans une affaire où le président d’une SA qui est titulaire d’un bail commercial était indirectement associé de la société propriétaire des locaux par l’intermédiaire de sociétés écrans [3]

 

Cette procédure de contrôle s’applique aussi bien dans le cas où ces personnes ont un intérêt direct dans la convention à conclure, que dans les cas où cet intérêt serait indirect, ce qui a pour conséquence une extension du dispositif, car au vu de la jurisprudence, on a plutôt une conception extensive de la notion d’intérêt indirect.

Enfin, sont aussi concernées par cette autorisation préalable, aux termes de l’alinéa 3 de l’article L225-38 « les conventions intervenants entre la société anonyme et une entreprise si le directeur général, l’un des directeurs généraux délégués ou l’un des administrateurs de la société anonyme est propriétaire de cette entreprise ou est associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, membre du conseil de surveillance de l’entreprise ou, de façon générale, dirigeant de cette entreprise »

Cette même disposition est prévue à l’alinéa 3 de l’article L225-86 pour les membres du directoire ou du conseil de surveillance de la SA dualiste.

Il s’agit ici des conventions conclues entre deux sociétés ayants des dirigeants communs et qui représentent, en pratique, la majorité des conventions réglementées car cette hypothèse de dirigeant commun à deux sociétés est très fréquente dans les groupes de sociétés.

Il s’agit donc d’un champ d’application personnel assez important.

Le champ d’application matériel de ce régime ne l’est pas moins .En effet, les conventions concernées sont nombreuses :

Les articles L225-38 et L225-86 du Code de commerce ne listent pas les conventions qui doivent être soumises à une autorisation préalable. En effet, ces articles disposent que « Toute convention… » Étant précisé que le terme « convention » est plus large que celui de « contrat ».

En vérité, pour définir le champ d’application des conventions réglementées, il faut faire la lecture des articles L225-39 et L225-43 qui concernent respectivement les conventions libres et les conventions interdites.

Les conventions réglementées sont celles qui ne sont ni libres, ni interdites, elles sont ainsi délimitées de manière résiduelle par le Code de commerce, ce qui fait que le champ d’application de ces conventions est considérablement large, par conséquent, une liste exhaustive est inenvisageable.

En se reportant à la jurisprudence, on peut inclure dans ce champ d’application les opérations suivantes :

– L’indemnité exceptionnelle allouée au président du conseil d’administration d’une SA en raison de la cession de ses actions et de la cessation consécutive de ses fonctions [4]

-La convention d’assistance conclue entre une société et son actionnaire (une autre société) le plus important, en même temps administrateur, moyennant une rémunération annuelle [5]

– Le cautionnement intervenu entre des sociétés ayant un dirigeant commun [6]

Il faut indiquer que la forme de cette convention importe peu, elle peut s’agir d’un contrat écrit mais pas nécessairement.

Enfin, l’organe compétent pour exercer le contrôle sur ces conventions :

En vérité il ne s’agit pas d’un seul organe car ce contrôle se déroule en plusieurs étapes, plus précisément, en cinq étapes qu’on peut  simplifier de la façon suivante :

Tout d’abord, l’administrateur ou le directeur général ou le directeur général délégué ou l’actionnaire intéressé (qui s’apprête à conclure une convention réglementée avec la société), doit informer le conseil d’administration (même obligation pour les personnes concernées dans les SA dualistes qui doivent informer le conseil de surveillance) (L225-38 et L225-88)

Ensuite, avant la conclusion de cette convention, le conseil d’administration ou de surveillance doit se réunir  pour voter l’autorisation ou non de cette convention, étant précisé que l’administrateur ou le membre du conseil de surveillance intéressé par cette convention est exclu du vote.

Une fois le conseil d’administration ou de surveillance aura donné son autorisation, il faut en plus que le président de l’un ou de l’autre des conseils avise le commissaire aux comptes des conventions autorisées, et ce dans un délai d’un mois à compter du jour où elles ont été conclues (Art R225-30 Code de commerce)

Ce commissaire aux comptes doit alors rendre à l’assemblée générale ordinaire un rapport spécial dont le but est d’informer les actionnaires sur le contenu des conventions autorisées, il doit le soumettre à la prochaine assemblée générale au moins quinze jours avant la réunion de celle-ci.

Enfin, l’assemblée générale ordinaire statue sur ces conventions autorisées pour les approuver ou non, les personnes intéressées par ces conventions ne peuvent prendre part à l’assemblée. Cette assemblée peut approuver la convention, auquel cas elle produit ses effets à l’égard des tiers sauf si il y a fraude (L225-41 et L225-89) .Si l’assemblée décide de ne pas approuver la convention qui lui est soumise, celle-ci produit tout de même ses effets à l’égard des tiers, là aussi, sauf fraude (L225-41 et L225-89) mais dans le cas ou la convention désapprouvée produirait des conséquences préjudiciables pour la société, ces conséquences seront mises à la charge de « l’intéressé » c’est-à-dire à la charge de l’administrateur ou actionnaire ou autre personne vue précédemment, qui aura conclu la convention désapprouvée avec la société (L225-41 et L225-89 dernier alinéa).

Après avoir exposé tout ce processus de contrôle des conventions règlementées, s’il est une remarque qui s’impose c’est celle de dire qu’il s’agit d’un régime plus au moins complexe, avec une autorisation préalable, un rapport d’un commissaire aux comptes, et une approbation à postériori .Cette complexité du régime est l’une des raisons pour lesquelles le législateur est venu, en suivant les recommandations de la pratique, simplifier et clarifier ce régime .Mais qu’en est il vraiment ?

 

II-La réforme du régime des conventions règlementées dans les SA

L’objectif de cette réforme consiste à simplifier et clarifier le régime des conventions réglementées (A) mais on va voir qu’en vérité le législateur n’a pas fait que simplifier (B).

 

A- Les allègements du dispositif

L’une des mesures phares de cette réforme est sans doute celle qui exclut du dispositif les conventions conclues avec une filiale à 100% .En effet, grâce à cette réforme, les « conventions conclues entre deux sociétés dont l’une détient, directement ou indirectement, la totalité du capital de l’autre » sont désormais des conventions libres figurant donc aux articles L225-39 et L225-87du Code de commerce. Cette soustraction au régime des conventions réglementées est motivée par l’idée selon laquelle ces conventions ne génèrent pas de véritables risques de conflits d’intérêts, d’ailleurs, cet argument est clairement mis en avant dans le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance [7] et dans lequel il est dit que « La mise en œuvre des dispositions du Code de commerce conduit à prendre en compte un très grand nombre de conventions, alors même que, dans la majorité des cas, aucune situation de conflits d’intérêts n’existe véritablement »

Mais si une SA détient 100% du capital de la filiale, cela signifie que cette dernière est nécessairement une EURL ou une SASU dont le seul actionnaire est justement la SA.

Sans nuance de cette exigence de 100%, le dispositif n’aurait pas profité  aux autres formes de  sociétés qui nécessitent plusieurs associés car cette pluralité d’associés exclut une détention de la totalité du capital par un seul associé. Fort heureusement la réforme a tenu compte des recommandations du rapport de l’AMF et a prévu dans les articles précités le cas ou la loi requiert un nombre minimum d’associés pour certaines formes de sociétés, par exemple, deux associés dans les SNC, SCI, sept associés dans les SA …etc. De cette façon, la filiale peut être, par exemple, une SNC avec deux associés : La SA qui détiendrait 98 ou 99% de son capital et un autre associé qui détiendrait 2 ou 1 %, la SA ne détient pas 100% du capital de la SNC, mais si elle conclut une convention avec la SNC, elle échappe tout de même au contrôle.

B- Les nouvelles contraintes

Dans le souci d’améliorer la transparence des conventions réglementées, le législateur a crée de nouvelles obligations au risque de contredire l’objectif de simplification affiché par l’ordonnance.

En premier lieu, le conseil d’administration (ou de surveillance) se voit désormais obligé de motiver l’autorisation préalable qu’il aura accordée à une convention réglementée, en effet, l’articles L225-38 du Code de commerce est complété par l’alinéa suivant : « L’autorisation préalable du conseil d’administration est motivée en justifiant de l’intérêt de la convention pour la société, notamment en précisant les conditions financières qui y sont attachées. » La même obligation est faite au conseil de surveillance (L225-86)

Selon le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance « une telle obligation, non contraire à l’objectif de simplification, devrait permettre aux actionnaires d’approuver ou non les conventions en connaissance de cause »

Grace à cette mesure, les assemblées d’actionnaires vont disposer de plus d’éléments pour approuver ou non les conventions autorisées.

L’autre mesure, c’est celle qui instaure un examen annuel des conventions conclues et autorisées au cours d’exercices antérieurs dont l’exécution a été poursuivie au cours du dernier exercice. Cette obligation figure aux nouveaux articles L225-40-1 du Code de commerce  pour les SA de type moniste et L225-88-1 pour les SA de type dualiste. Là aussi on pourrait très bien dire que la création d’une obligation nouvelle à la charge des conseils est antinomique avec la volonté de simplification proclamée par l’ordonnance. Toutefois, cette nouvelle obligation présente une utilité certaine car elle assure une meilleur transparence de ces conventions, elle a d’ailleurs été proposée dans le rapport de l’AMF de 2012[8], en effet, la proposition 27 de ce rapport prévoit de  « Passer en revue annuellement au conseil d’administration les conventions réglementées dont l’effet perdure dans le temps. »

Les articles précités disposent que « les conventions conclues et autorisées au cours d’exercices antérieurs sont … examinées…» Ce terme n’est pas d’interprétation univoque, en effet, il peut être interprété comme un simple examen de la convention sans déboucher sur une décision quelconque de la part du conseil compétent, mais il peut aussi être interprété de façon plus extensive en disant que le conseil doit, à l’occasion de cet examen, décider si  la convention va être maintenue ou non [9].

Une fois l’examen fait, le conseil d’administration ou de surveillance doit communiquer ces conventions au commissaire aux comptes afin qu’il puisse établir le rapport qu’il doit remettre à l’assemblée des actionnaires. Là aussi c’est une nouvelle mesure prévue aux articles L225-40-1 et L225-88-1 du Code de commerce.

Enfin, une dernière mesure vient siéger au treizième alinéa de l’article L225-102-1 du Code de commerce. Cet alinéa concerne l’hypothèse où une société mère détient directement ou indirectement plus de la moitié du capital d’une filiale, et qu’un mandataire social ou un actionnaire important (+10 des droits de vote) de la première (la société mère) viendrait conclure une convention de façon directe ou par personne interposée avec la filiale. Dans ce cas, ces conventions devront figurer dans le rapport transmis par le conseil d’administration ou de surveillance aux actionnaires de la société mère afin qu’ils puissent exercer leur droit de regard.

Bien évidement, ce dispositif d’information ne s’applique pas aux conventions courantes conclues dans des conditions normales.

Pour finir, cette ordonnance est entrée en vigueur le 03 Aout 2014 sauf pour le nouveau dispositif d’examen annuel prévu aux articles L225-40-1 et L225-88-1 du Code de commerce au sujet duquel l’article 38 de l’ordonnance prévoit que le conseil d’administration ou de surveillance peut ne pas l’appliquer aux conventions autorisées avant la publication de l’ordonnance et qui sont des conventions entre la SA et sa filiale à 100% ,tout simplement parce que ces conventions ne sont plus des conventions réglementées, donc il n’est plus justifié de les soumettre au nouveau dispositif d’examen.

 

Benabdelaziz Naoufel 

Master 2 Droit des structures et des activités de l’entreprise.  

Université Paris X Nanterre La Défense.

 

1 : http://www.amf-france.org/Publications/Rapports-des-groupes-de-travail/Archives.html?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2Fa985cfe0-4354-4fca-aba4-234cdf408d74

2 : Exemple :Cass. Com., 26 févr. 2008, n° 07-15.269, n° 312 F – P + B)

3 : CA Paris, 16e ch. B, 20 nov. 1998, n° 1996/20138

4: Cass. com., 18 oct. 1994, n° 92-22.052/V, n° 1950 P: Bull. civ. IV, n° 304)

5 : CA Paris, 6 févr. 1998, Bull. Joly Sociétés 1998.333, note A. Couret

6 : CA Paris, 3e ch., sect. A, 26 juin 1990, n° 89/11361)

7 : V chapitre 3 du rapport : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029322182

8 : Rapport précédent de l’AMF

9 : V par exemple : L’avis du Pr Bruno Dondero (RTD com. 2014. 641)

 

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